Une nouvelle avancée de BAnQ, relayée aujourd'hui dans La Presse (1) suscite aujourd’hui mon enthousiasme. Comme je l'écrivais déjà il y a 2 ans (2), de nouvelles façons de fonctionner, plus respectueuses de l’humain et des besoins de notre époque, émergent décidément.

« L’obscurité n’est pas terminale mais primordiale ; en elle, un nouveau moi est en train de naître, non pas dans un Big bang mais dans un murmure. Notre tâche, alors est seulement d’écouter. Ce que nous entendons devient une nouvelle lumière ». (3).

C’est aussi la conviction qui m’anime en écrivant ce billet : Nous avons tous et toutes aujourd’hui le devoir de repérer et d’amplifier de notre mieux ces murmures, ces nouveaux chemins infimes, inattendus et incertains mais bien réels qui se créent ici et là. Ils confortent en effet l’espoir qu’une autre société plus respectueuse du vivant est non seulement possible mais se crée déjà sous nos yeux (4).

Ce récent exemple de BAnQ est particulièrement éloquent pour montrer que quand l’esprit, le cœur et la volonté s’ouvrent en même temps, des accomplissements aussi inouïs que contagieux – faire plus de place aux autistes dans les équipes de travail ! – deviennent enfin possibles.

Esprit ouvert : les solutions sont déjà là, prêtes à servir dans la communauté, il suffit de les voir enfin comme telles

Dans cet exemple de BAnQ, on a su reconnaître et fait valoir jusqu’au bout quelque chose qui existait depuis toujours mais qu’on ne voyait pas à savoir que l’environnent calme, propre et ordonné des bibliothèques convient particulièrement bien au sous-groupe des autistes dotés d'un haut niveau de fonctionnement cognitif et social. Pour que ce fait du réel soit enfin « vu », il a fallu l’expertise et l’observation de l’organisme sans but lucratif, Autisme sans limites, mais aussi des apprentissages mutuels patients entre les institutions bibliothèques et ce type d’organismes.

Cœur ouvert : la mise en œuvre des solutions passe obligatoirement par la relation, la connexion aux autres mais aussi à soi-même. Celle-ci est unique à chaque instant et donc non-reproductible à l'identique dans un contexte humain différent.

À Montréal, ces apprentissages mutuels ont notamment reposé sur les efforts particuliers de Delphine Guibourgé, qui travaille depuis 10 ans à faire avancer le programme d’accessibilité universelle des bibliothèques de la Ville de Montréal. Grâce aux efforts de cette vaillante bibliothécaires et bien d’autres, l’importance du partenariat avec des organismes spécialisés comme Autisme sans limites fait maintenant partie du bagage des bibliothécaires montréalais. Grâce à cet apprivoisement mutuel établi dans la durée, cette observation de l’intervenante d’Autismes sans limites a pu enfin être entendue par des personnes en situation de s’en servir. De plus - l’article de La Presse le détaille particulièrement bien - la bienveillance de la chef de service mais aussi l’implication personnelle de certains des membres de ce service pour accueillir et accompagner ces nouveaux stagiaires autistes ont été déterminants. Ces derniers, principaux intéressés, ont d’ailleurs fait leur part pour donner et séduire en retour. Cette ouverture du cœur, cette séduction mutuelle ne pouvait être décrétée. Elle était indissociable du caractère unique des personnes présentes, de leurs efforts et de leurs compétences particulières. Si tous ont pu contribuer c’est qu’il y avait une forme de déségrégation entre type d’organismes mais aussi entre types d’employés. Un autre ingrédient essentiel était que toutes ces personnes n’agissaient plus en simples rouages inertes de leur organismes respectifs mais bien en individus capables de se (ré)approprier le sens de leur existence et de prendre leurs responsabilités, à l’égard d’eux-mêmes comme des autres. Ces individus ont tous pu abandonner, au moins en partie, la cuirasse qui pouvait les prémunir contre une altérité déstabilisante (5). La source de cette vulnérabilité et responsabilité acceptées est peut-être à trouver dans l’air du temps qui souligne tous les jours les énormes enjeux auxquels nous devrons désormais faire face collectivement.

Volonté ouverte : la mise en œuvre se fait dans un monde d’imprévus et on sait maintenant en tirer parti

Le sous-titre « apprentissages et surprises » est utilisé par La Presse pour évoquer à quel point il a fallu s’adapter en cours de route. Les obstacles n’étaient pas ceux auxquels on s’attendait, les opportunités non plus mais tout le monde a pu cheminer et adapter ses façons de faire au fur et à mesure. Cette valorisation de l’imprévu en cours d’exécution me réjouit tout particulièrement. Elle est tellement à des années lumières de ce qui était permis dans ce même service de BAnQ, il y a seulement une décennie !

Une plus grande acceptation – y compris dans nos institutions - que notre monde est non seulement incorrigiblement « queer » - un adjectif trouvé en abondance sous la plume de Paul B. Preciado ou de Bayo Akomolafe -, c’est-à-dire forcément métissé, ni noir ni blanc, aussi complexe qu'indéfini et donc fondamentalement résistant à la computation ; Mais aussi accepter que ce monde surprenant se créé en permanence sous nos yeux et donc - aussi - qu’il est, par là même, sujet à une irréversible finitude - n’est-il pas le véritable enjeu de ce qui se joue actuellement ?

Et si nous le reconnaissions pleinement ne serions-nous pas en retour – individus, groupes ou institutions - de meilleurs instruments de transformations sociétales ?

Notes

1 : La fabuleuse histoire (d’emploi) de Youssef et d’Arnaud, La Presse 15 janvier 2023.

2 : Il s’agissait du billet : Faire advenir le futur : c’est à notre portée, 14 janvier 2021. Cet article relatait en détail la mise en place dans ce même service de l’abonnement et de l’emprunt de la Grande bibliothèque d’une nouvelle organisation du travail qui avait enfin permis aux employés de cette équipe de mieux travailler ensemble en préservant davantage l’autonomie et la contribution unique de chacun.

3 : Cette belle citation est de la new-yorkaise Maria Popova dans son article «Let This Darkness Be a Bell Tower: Rilke’s Timeless Spell for Living Through Difficult Times » publié aujourd’hui dans « The Marginalian ».  Son travail admirable – depuis 16 ans ! –, si rare et si précieux de « recommandations » c’est-à-dire de conseil de lectures hebdomadaires en ligne visant à mettre en valeur « des réflexions les plus stimulantes de la semaine en matière d'art, de science, de poésie, de philosophie et d'autres aspects de notre quête de vérité, de beauté, de sens et de vitalité créative » serait lui aussi à reconnaître et soutenir plus largement, y compris via les bibliothèques.

4 : Repérer et penser cette émergence est aussi l’intention du groupe Emergence network. Ce groupe de réflexion part de la question particulièrement pertinente : "Et si la façon dont nous réagissons à la crise faisait partie de la crise ?" On consultera avec profit leurs pages pour aller plus loin que le modeste propos de ce billet.

5 : Plusieurs auteurs ont insisté sur cette primauté de l'humain et son caractère unique dans le temps et l'espace. Ils ont nourri de leurs réflexions ce billet :

  • Félix Guattari dans « De Leros à la Borde » constate, à propos de l’humanisation des soins psychiatriques, que « seule une sensibilisation et une mobilisation du contexte social pouvaient créer des conditions favorables à de réelles transformations » et que « Le concours direct des populations concernées est nécessaire » (p. 73, de l’édition de 2012). Le même auteur observe aussi que la déségrégation entre milieux lorsqu’elle existe n’est jamais acquise : elle est forcément précaire (p.  15).
  • Dans une intervention récente, le bibliothécaire David Lankes demande aux bibliothécaires de tempérer leur tendance à vouloir normaliser - qui n'a guère été fructueuse pour servir leurs idéaux - et de prendre davantage conscience de l'importance des personnes dans un projet et ce qu'elles lui apportent d'unique :

"Si j'évoque ce décalage entre l'idéal qui nous pousse à aller de l'avant et la forme de nos communautés, c'est qu'une chose est devenue claire. Le pouvoir du changement, le pouvoir de faire face à ces problèmes est TRES local."/.../

"Nous avons vu tout au long de ce projet ce qui fonctionne, et c'est toujours une question de personnes. /.../Les gens. Des bibliothécaires, des hommes d'affaires, des législateurs et des femmes au foyer. Et cette action se déroule dans un lieu et à un moment précis."/.../

"Et voici comment nous devons être différents de ce que nous étions auparavant. Lorsque nous, bibliothécaires, nous réunissons, nous ne le faisons pas dans un environnement politique qui cherche à normaliser les choses entre nos deux communautés diverses. Nous ne créons pas de normes communes qui cherchent le dénominateur commun. Au contraire, nous nous réunissons en tant que collègues curieux et créatifs."/.../

"Nous nous réunissons pour construire un terrain de jeu d'idées et d'opportunités. Nous remplissons ce terrain de jeu d'histoires. Et puis nous prenons ces histoires et ces idées et nous invitons nos voisins locaux à jouer et à partager également."

"Il n'y a pas un seul avenir pour les bibliothèques, mais autant d'avenirs qu'il y a de bibliothèques. Et c'est passionnant."

  • Les 3 dimensions exposées dans ce billet empruntent aussi à la pensée d’Otto Scharmer et sa théorie U ainsi qu’à Ivan Illich et son ami Gustavo Esteva (voir notamment, G.Esteva, "Friedship, hope and surprise, the keys for the new era, Inaugural lecture delivered on June 15, 2021, at the 8th South South Forum on Sustainability).

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Observations bibliothèques en transition 2020-2023
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Intégré par Pascale Félizat, le 3 avril 2023 20:52

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15 janvier 2023

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27 juillet 2023 13:44

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