Cette note fait partie d'une série dans laquelle j'explore des questions qui m'habitent, et pour lesquelles je n'ai pas nécessairement de réponse.
Depuis 2021, nous affirmons que la mission de Projet collectif s'incarne dans deux grandes familles d'activités. D’une part, nous travaillons au renforcement des capacités des personnes, des organisations et des milieux en matière de mobilisation de savoirs et de collaboration ouverte. D’autre part, nous développons des infrastructures collectives.
Mais qu’est-ce qu’est-ce qui se cache, au juste, derrière ce concept en apparence hermétique?
Qu’est-ce qu’une infrastructure collective?
Le terme «infrastructure», appliqué à l’échelle d’un pays, d’une ville ou d’une société, est généralement utilisé pour décrire l'ensemble des installations, des systèmes et des institutions nécessaires à son fonctionnement.
On pense tout de suite aux infrastructures physiques telles que les routes, les réseaux de transport collectif, les aqueducs, les réseaux électriques et de télécommunications. Les infrastructures incluent aussi toutes les institutions – démocratiques, judiciaires, scolaires, culturelles, etc. – essentielles au bon fonctionnement de la société.
Pour qu’une infrastructure puisse prétendre être collective, une condition est certainement que les parties prenantes puissent toutes être engagées de manière active et réelle, notamment dans les structures de gouvernance et de pouvoir. Et si on parle d’une infrastructure collective à l’échelle d’une société, ces parties prenantes peuvent rapidement devenir très nombreuses – jusqu’à potentiellement englober l’ensemble de la population.
Ainsi, pourrait-on affirmer ceci?
À l’échelle d’une société, une infrastructure collective est une installation, un système ou une institution:
- essentielle au bon fonctionnement de la société;
- dont la gouvernance est ouverte et inclut toutes ses parties prenantes;
- qui appartient à toutes ses parties prenantes ou qui constitue un commun sans logique de propriété.
Quelles sont les infrastructures collectives manquantes au Québec?
Nous pourrions organiser un sommet d’une semaine sur cette question, et nous n’aurions probablement qu’effleuré la question!
Je me permets une première réponse: sauf erreur, nous n’avons pratiquement aucune infrastructure de soutien à l’émergence et à la soutenabilité de communs – des ressources partagées en dehors des logiques de propriété.
En comparaison, nous avons une solide infrastructure de soutien à l’entrepreneuriat. Qu’il s’agisse d’entrepreneuriat social, collectif ou privé, il existe une panoplie de services et d’institutions pour soutenir l’émergence et le développement de nos entreprises: incubateurs et accélérateurs, investisseurs, banques, fonds, avantages fiscaux, formations, mentorat, et j’en passe. J'en ai moi-même grandement bénéficié dans mon parcours entrepreneurial.
Nous pourrions sans doute nommer d’autres idées d’infrastructures manquantes, mais chose certaine, nous avons plusieurs infrastructures existantes – autant physiques que sociales – qui requièrent des investissements majeurs et des réformes importantes. Pensons simplement au transport collectif, à nos écoles, au système de santé, à la connectivité en région, à l’accessibilité de la justice, à nos institutions démocratiques, et j’en passe.
Comment créer une nouvelle infrastructure collective?
Ce ne sont pas que les gouvernements qui créent les infrastructures essentielles au fonctionnement de la société. Le secteur privé s’y donne à cœur joie. Pensons au transport de marchandises et aux chaînes d’approvisionnement, à l’accès aux denrées alimentaires, aux médicaments, au logement, au secteur des télécommunications, des technologies, etc.
Le mouvement communautaire, dans toute sa diversité, assure depuis des décennies la prestation de services sociaux directement dans les milieux, qu’il s’agisse de lutte à la pauvreté, de sécurité alimentaire, d’éducation populaire, d’accueil des immigrant·es, et j’en passe. Les réseaux communautaires constituent une infrastructure sociale de première ligne d’une importance cruciale. On doit en prendre conscience et en prendre soin.
Des organisations démocratiques spécifiques portent aussi des projets ambitieux qui ont le potentiel de s’élever au statut d’infrastructures. Par exemple, l’UTILE a inventé un modèle et créé des outils financiers et de gouvernance qui permettent de répondre à la pénurie de logements étudiants partout au Québec. Au Rendez-vous de l’innovation sociale organisé en 2023 par le Réseau québécois de l'innovation sociale (RQIS), son directeur général, Laurent Levesque, partageait la volonté de l’UTILE de s'institutionnaliser comme stratégie pour protéger leur modèle et en faire le moteur national de développement du logement étudiant au Québec.
Les infrastructures collectives ne sont pas initiées que par les gouvernements et la grande entreprise. Elles peuvent émerger de la société civile, des mouvements sociaux et d'initiatives terrain.
Qu’affirme Projet collectif en mentionnant vouloir créer des infrastructures collectives?
Depuis les débuts de Projet collectif, nous travaillons sur une première tentative d’infrastructure collective, la suite de plateformes En commun. Ce vaste chantier est né de constats assez généralisés: les savoirs pratiques utiles au travail terrain sont dispersés et souvent inaccessibles, les espaces de collaboration intra et intersectoriels et régionaux sont rares, de nombreux silos empêchent le croisement de perspectives, et il est difficile de dégager des vues d’ensemble de l’activité d’un secteur, autour d’une thématique ou au sein d’un territoire donné.
L’ambition de l’infrastructure En commun est grande. Notre vision est qu’elle puisse à terme soutenir le travail de centaines de milliers, voire de millions de personnes en leur permettant d’accéder plus facilement à des savoirs utiles à leur pratique, à communiquer efficacement à l’échelle de réseaux et de territoires, et faciliter le développement de capacités, de solidarités, et l’élaboration de solutions collectives à des problèmes complexes. Nous croyons qu’En commun peut jouer un rôle clé dans le fonctionnement de dizaines de secteurs de l’activité québécoise et dans la préservation de notre mémoire collective, tout en contribuant à la souveraineté numérique du Québec.
Bien sûr, nous en sommes au tout début, mais nous travaillons en ce sens, et nous faisons le pari d’initier cette future infrastructure collective de manière ouverte en réfléchissant le projet comme un commun. À ce sujet, nous menons actuellement un processus d’élaboration d’un modèle de soutenabilité d’En commun grâce au modèle de soutenabilité des communs de Barcelone. Nous présenterons dans les prochains mois les résultats de cette réflexion préliminaire et des propositions pour que le projet transitionne vers un modèle de commun porté par la communauté.
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Nous avons imaginé un autre projet d’infrastructure collective dès la fondation de Projet collectif: le Réseau d’aiguillage. Il s’agit ici de fédérer un réseau intersectoriel de personnes et de partenaires en première ligne sur le terrain, afin de déployer un service gratuit et universel d’accueil de besoins en matière d’accès et d’appropriation des connaissances. Par exemple, une personne qui souhaite créer un tiers lieu dans son village pourra interroger le service et être aiguillée vers des ressources utiles à son besoin, qu’il s’agisse de personnes, des communautés de pratique, d’organismes, de programmes de financement, etc.
Pour le Réseau d’aiguillage comme pour d’autres idées d’infrastructures collectives que nous avons dans les cartons, nous souhaitons y aller au juste rythme, en prenant le temps qu’il faut pour bien faire les choses, de manière ouverte et collaborative. N’hésitez toutefois pas à me contacter si vous souhaitez contribuer à l’émergence de ces projets!