Facteurs de succès de mise en œuvre d'un projet de forêt nourricière

Cet article s'intéresse au parcours de mise en œuvre des forêts nourricières (commerciales ou à but non lucratif), en abordant les facteurs de succès sous un angle entrepreneurial. Les auteurs défendent leur approche en mentionnant que la majorité des recherches sur les forêts nourricières se sont surtout attardées à leurs bénéfices socio-culturels et environnementaux, mais très peu à leur planification, à leur organisation, à leur gestion et à leur soutien financier dans le temps, des éléments pourtant clés pour permettre et soutenir la viabilité de tout projet, qu'il soit communautaire, personnel ou professionnel. Ces facteurs ont d'ailleurs inspiré la conception de la première feuille de notre outil collaboratif.

Les forêts nourricières imposent un changement de paradigme à l'ensemble des acteurs, intervenants et citoyens impliqués dans leur mise en oeuvre, car ce sont des projets qui s'inscrivent dans la durée: elles visent une optimisation des ressources sur une période plus ou moins longue, alors que les modèles plus classiques d'agriculture (sociale ou commerciale) ciblent leur maximisation à court terme. Un jardin communautaire a le potentiel de générer des récoltes satisfaisantes dès la première saison, alors que la forêt nourricière demandera un entretien soutenu pendant plusieurs années avant d'offrir le même résultat. Les enjeux de la mobilisation, de l'animation et du financement doivent ainsi être abordés de façon complètement différente.

En amont de la forêt nourricière: comment assurer le succès du projet?

Avant toute chose, il importe de préciser que certains éléments sont fondamentaux à l'élaboration d'un projet de forêt nourricière:

  • L'accès, à long terme, à un terrain suffisamment grand et propre à la culture:
    • Une terre dégradée, quoique plus abordable, impliquerait encore plus de temps et de moyens financiers pour offrir une production satisfaisante;
    • Un site hors périmètre urbain, même s'il était possiblement plus grand (et moins cher), compliquerait la participation de certains bénévoles et limiterait les possibilités de distribution;
    • Les forêts nourricières n'étant pas « déménageables » , il faut trouver une façon de sécuriser l'usufruit du site sur une très longue période, ce qui peut nécessiter un certain effort de négociation entre le propriétaire (municipalité, institution, entreprise ou particulier) et le promoteur (entreprise, particulier ou OBNL);
  • Des options de financement adaptées (forme juridique du promoteur, critères d'admissibilité, contribution du milieu, reddition de compte):
    • Les premières années d'entretien (taille, paillage, désherbage, tuteurage, protection hivernale...) sont cruciales pour le succès de la forêt nourricière, alors que les possibilités de revenu ou d'autres retombées sont limitées;
    • Des méthodes de financement non traditionnelles (sociofinancement) peuvent être intéressantes à explorer;
    • Une association avec un projet de recherche pour démarrer peut être une méthode efficace pour diversifier les partenaires et assurer l'implantation, l'entretien, le suivi et le remplacement des plants pendant les premières années (voir le projet de forêt nourricière de Saint-Valérien piloté par Biopterre et le Groupe SYGIF);
  • Une règlementation (souvent municipale) dans laquelle s'inscrit les usages que comportent les systèmes agroforestiers et l'agriculture urbaine.

Sur ces éléments de base s'ajoutent ensuite des facteurs plus « humains » ne pouvant absolument pas être négligés:

  • Le recrutement de promoteurs motivés:
    • L'organisme ou le groupe citoyen initiateur du projet n'en sera pas nécessairement le porteur sur le long terme;
    • Il faut s'intéresser aux motivations des personnes/organisations souhaitant s'impliquer: sont-elles compatibles avec la fonction principale du projet? (production de nourriture, éducative, récréative, communautaire;
    • Pour maintenir la motivation, il faut considérer les compétences des personnes recrutées: permettront-elles de soutenir la forêt nourricière? Le contraire risque de mener à l'essoufflement de l'engagement;
    • On peut considérer l'implication d'une entreprise agroalimentaire déjà présente dans le milieu (revenu complémentaire, valorisation des récoltes...).
  • Le recours à des professionnels pour concevoir la forêt nourricière:
    • On peut penser à aller chercher l'avis d'experts, la contribution d'étudiants ou de firmes spécialisées;
    • Toujours avoir en tête la fonction principale désirée: une production alimentaire significative va demander un design efficace offrant des possibilités de rendement, une fonction plus éducative/récréative/communautaire impliquera peut-être plus de biodiversité et d'esthétisme;
    • Un aménagement prenant en compte l'avis de la communauté (planification participative) peut être un gage de l'engagement à long terme et de l'appropriation du site par les citoyens.
  • L'acquisition de connaissances et d'outils entrepreneuriaux:
    • On entend par là la gestion de ressources humaines (employées ou bénévoles), la recherche de financement (levées de fond ou demandes de subventions), la gestion de projet, la planification des investissements, la tenue de livres et le marketing (communication, promotion du projet et des activités rattachées);
    • Pour les projets communautaires, une association avec un organisme de développement économique ou l'administration municipale peut grandement aider à sécuriser ces compétences.
  • L'acquisition de connaissances et d'équipements agricoles:
    • Il s'agit d'un défi fréquent au sein des projets de forêts nourricières: la diversité de plantes (herbacées, arbustives, arborescentes, vivaces et annuelles) requiert des connaissances spécialisées pour les entretenir et les mettre en valeur;
    • L'approche par essai et erreur mène trop souvent à des pertes majeures que ne peuvent se permettre des projets déjà coûteux à implanter;
    • Le recours à des conseillers agricoles, des étudiants en agriculture, des entrepreneurs locaux est souvent essentiel pour former les bénévoles et organisations porteuses du projet;
    • Le partenariat avec la municipalité ou le propriétaire du site utilisé est essentiel pour assurer l'accès à certains équipements (électricité, machinerie, eau, etc.).

Une mise en œuvre flexible et ouverte aux opportunités

  • La diversification des sources de revenus :
    • Les besoins de la forêt nourricière ne s’arrêtent pas à l’achat initial d’arbres, de plantes et de paillis : ce dernier devra constamment être renouvelé et peut-être que la rémunération de certaines personnes clés sera nécessaire pour assurer la pérennité du projet;
    • Selon la fonction principale donnée au projet, peut-être qu’il sera impossible de tirer des revenus suffisants des récoltes : on peut alors penser à ajouter une activité de transformation pour aller chercher une valeur ajouter, organiser des repas champêtres, donner des formations payantes, etc.
    • La forme juridique du promoteur/responsable de la forêt nourricière est déterminante pour saisir les opportunités de financement sur le long terme (groupe citoyen informel, entreprise, coopérative, organisme sans but lucratif ou municipalité);
  • Réseauter, mobiliser et créer des partenariats durables :
    • Faire connaître les forêts nourricières et les services sociaux et environnementaux visés par de tels projets peut encourager des professionnels à offrir leurs services gratuitement ou à faible coût, pour le bien public, ou des mécènes à offrir un soutien financier;
    • La création de liens avec d’autres projets de forêts nourricières, le partage d’expériences et de connaissances permettent d’éviter la reproduction d’erreur, d’inspirer, de motiver, d’accélérer et de faciliter l’engagement organisationnel et citoyen (il s’agit d’ailleurs de l’intention derrière la création d’une communauté de forêts nourricières)
Facteurs de succès de la mise en œuvre d'une forêt nourricière selon la phase de développement

Un petit mot sur les auteurs

Stefanie Albrecht est doctorante en philosophie, graduée du Center for Global Sustainability and Cultural Transformation de l'université Leuphana,à Lüneburd, en Allemagne. Lors de ses études graduées, elle a collaboré avec Arnim Wiek et et Agnes Friedel, de l'Arizona State University pendant lesquelles elle s'est intéressée aux processus de transformation soutenable. Ses recherches sont liées aux systèmes alimentaires, à l'agroforesterie, à la transdisciplinarité et à l'apprentissage transformatif. 

Arnim Wiek est quand à lui professeur à la School of Sustainability de l'Arizona State University. Ses travaux portent sur une méthodologie transdisciplinaire pour la recherche transformationnelle en matière de durabilité axée sur les solutions, sur une base théorique de l'éducation au développement durable et sur des connaissances empiriques sur la gouvernance durable des systèmes/économies alimentaires, de l'eau, des villes et des nanotechnologies.

Référence:
Albrecht S. et A. Wiek (2021) Implementing sustainable food forests: Extracting success factors through a cross-case comparison. Journal of Agriculture, Food Systems , and Community Development. Vol 11, No 1. pp. 183-200. 

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Intégré par Marie-Hélène Lagueux-Tremblay, le 14 février 2024 12:30
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Planification / conception / gestion, Recrutement / mobilisation, Implantation / entretien, Financement, Article scientifique

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29 janvier 2024

Modification

20 février 2024 15:45

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