Prendre soin ensemble: Auto-organiser le soin en commun

Témoignages provenant de la série Prendre soin ensemble: ou comment la Covid-19 a permis d'expérimenter des politiques des communs en santé et qui présente un retour des Ateliers pour la Refondation de l'Hôpital Public en France.

Auteur·rices

Le collectif Primitivi est basé à Marseille depuis près de 20 ans et est peuplé de vidéo-activistes aux champs d'action multiples (réalisations de films, organisations de projections/débats, de rencontres, de projections de rue, relais d'infos, collages, ateliers, ...) mais toujours guidé par les mêmes lignes politiques : occuper le terrain, conquérir la parole et produire des images avec celles et ceux qui luttent !

Verbatime

  • Le covid quand il est arrivé, c’était un choc supplémentaire... On a fermé des services, notamment pour l’hôpital pour enfant. Au début, on était un peu d’accord parce qu’on ne savait pas ce que c’était que cette pandémie.
  • Mais très vite on s’est rendu compte qu’on avait les moyens de continuer, et surtout, que les enfants qu’on lâche en fermant les structures, ils se retrouvent à la maison, ils souffrent, ils régressent et les parents sont débordés.
  • Il n’était pas possible de continuer comme ça. On a mis en place des réactions... on a continué à travailler dans des instances qui étaient fermées... sans le dire. 
  • Au début, on nous incitait à faire de la téléconsultation, ce qui est devenu, avec mes patients, un désastre pour certains. Donc ont recommencé à faire venir les gens au CMP, même si c’était interdit à l’époque.

Ça nous a amenés à construire des alternatives à ce qui était des décisions officielles. Et petit à petit on a vu qu’on a pu ouvrir, et même les structures officielles, la direction a autorisé la réouverture des structures à la fin de la première vague. Et depuis, ça n’a pas fermé. 

  • De mon côté, je l’ai vécu aussi parce qu’on avait ouvert une petite salle Covid pour faire des examens.
  • On n’avait pas de matériel, on n’avait pas de masque, pas de test... c’était vraiment très compliqué. Donc on avait réussi à se mutualiser. Les communes nous avaient donné des équipements de fortune (des masques et des blouses des cantines).
  • On avait fait une petite salle pour examiner les gens. Le message à l’époque, en mars 2020, c’était «n’allez plus chez votre médecin».
  • Donc du coup on avait ouvert cette petite salle et on s’est retrouvé en conflit les institutions officielles qui sont arrivées 3 semaines après, avec un papier de 17 pages et des normes et des trucs administratifs un peu habituel... et donc qui n’était pas vraiment adapté à ce qu’on vivait sur le terrain. On avait des collègues qui travaillaient avec des sacs de poubelles... et on venait nous demander des équipements... en fait, ils nous demandaient quelque chose de normal... sauf qu’en situation dégradée, c’est quelque chose qu’on ne pouvait pas donner.
  • L’administration était perdue. Donc ils se sont mis un peu retrait, et ils ont laissé faire les soignants qui sont dans la plupart des cas auto-organisés. Et l’administration suivait. 
  • Ce qui était très étonnant, car il y a toujours un conflit avec l’administration pour les financements, les lits... et là tout semblait aller. « On a besoin d’ouvrir tant de lit pour le Covid» Ok.

On s’était tous auto-organisé. On crée cette tribune pour faire prendre conscience aux acteurs de terrain qu’il y avait quelque chose qui s’était passé là. Tout d’un coup, l’administration avait lâché, et que c’était vers ça qu’il fallait tendre politiquement.

  • Qu’il fallait changer de gouvernance à l’hôpital... dès qu’on laissait les soignants faire, ça se passait quand même beaucoup mieux. 
  • Et puis il ne faut pas être dupe, c’est aussi parce que la contrainte budgétaire avait été levée.
  • La Covid-19, ça a été très tragique au niveau de l’hôpital, parce qu’on a perdu énormément de patients. Par contre, il y a quelque chose qui a été très couette, ce que les administratifs, la gouvernance qu’on a actuellement et qui est gérée par des gens qui n’ont jamais mis les pieds à côté d’un patient...

Là le fait que ce soit des soignants qui se débrouillent, organisent leur temps de travail, qui organisent leur service, qui mettent les bons moyens pour le patient... En fait ça a prouvé que l’hôpital pouvait très bien fonctionner avec une gouvernance de soignants. 

  • Alors qu’aujourd’hui, nous avons presque exclusivement des gens un Bac +5, +6, mais qui ne gèrent pas de l’humain. Ils gèrent un chiffre comme il géraient une société.

Il remonte du terrain que  si, contre le moment fort de l’épidémie du Covid, on a pu sauver des gens, c’est parce que les soignants ont envoyé balader la bureaucratie. Et la bureaucratie était tellement démunie, qu’elle a dit «oui, allez-y». 

  • J’ai des copains à l’hôpital qui disent que c’était invraisemblable. On leur disait « on ne veut plus vous voir, mais par contre il nous faut 3 respirateurs, 5 bouteilles d’oxygène et vous nous libérez telle salle». On arrivait le lendemain matin et on l’avait. Alors qu’avant, on demandait ça, et 6 mois plus tard, on n’avait aucune nouvelle.
  • C’est comme ça qu’on a soigné les gens contre le Covid. Donc il faut rétablir le pouvoir des soignants, ça, c’est fondamental. 

Il faut qu’on comprenne que  la santé n’est pas une affaire technique, de toujours plus de machines, toujours plus d’équipements. La santé c’est principalement une affaire de prise en main de la santé par les individus et par les collectivités elles-mêmes. 

  • C’est ce que nous enseignent des décennies d’expérience en santé communautaire.
  • Les enjeux de la santé, ils exigent de la coopération et mon expérience elle a été toute dans la coopération.
  • Les enjeux de la santé exigent de la coopération . Mon expérience dans les hôpitaux, elle a été toute dans la coopération. J'ai vécu l'époque du SIDA, l'époque de la réduction des risques dans la toxicomanie, j'ai vécu la paupérisation de ces habitants.
  • La réponse qu'on a pu apporter, ça été  de se mettre ensemble. De se rencontrer avec les médecins, avec les institutionnels, avec les centres de santé. Voir comment on pouvait intégrer nos différents besoins. Comment on pouvait obtenir des moyens pour inventer une autre manière de soigner. 
  • Répondre aux attentes pour pouvoir les exprimer. Aujourd'hui pour beaucoup, ce sont des invisibles. Il faut qu'ils prennent la parole. Et ça se fait sur le terrain. Ça peut se faire autour de centres de santé.
  • Ce qu'on appelle la médecine communautaire, ce qu'on appelle le « aller vers »
  • Construire collectivement et démocratiquement des ressources qui leur permettent d'accéder à leurs droits. Parce qu'en France on a un système de santé qui en principe est égalitaire. Mais en pratique ça ne fonctionne pas du tout comme ça.
  • Nous on travaille beaucoup sur sortir l'hôpital de ses murs, travailler sur la Cité. Mais le service public de santé c'est uniquement l'hôpital. Or on comprend bien que la question de la santé, du soin, n'est pas uniquement centrée sur l'hôpital. En fait, la question du soin c'est complètement politique.

Il faut que l'hôpital s'ouvre. Un hôpital c'est pour « aller vers ». C'est-à-dire un hôpital qui est présent dans les quartiers à travers des équipes mobiles, des points de contact. Il faut casser « l'hôpital forteresse » et « l'hôpital flux » comme on l'a fabriqué. Parce que l'hôpital forteresse et l'hôpital flux, c'est la même chose. 

  • C'est ce qu'on a fait en créant le collectif Nord-Covid. On a réussi à monter avec l'hôpital Nord une unité covid en l'espace de 10 jours. On s'est réuni avec le collectif, des citoyens. Des personnes engagées... tout un tas de personnes.  On a confectionné des masques en direction des hôpitaux, mais pas que.
  • On a mis un dispositif en plein cœur de Cité. Des structures qui allaient permettre le dépistage (en mars 2020, il n'y avait pas d'écouvillon). Ces structures avaient pour objectif d'alléger la pression sur les hôpitaux, les urgences et les unités covid.
  • L'idée pour nous, c'était de permettre à la population, une orientation pour l'aide médicale, pour l'aide alimentaire. Nous on a trouvé ça normal d'accompagner (en plus du dépistage) les gens vers l'orientation d'aide alimentaire. Car au mois de mars, tout le monde était dans la sidération. Et nous en tant que professionnel de santé, on s'est demandé comment on peut agir, comment on peut faire.

Il faut qu'on pense la santé de manière plus globale. Comme élément émancipateur et élément d'égalité. La santé c'est vraiment un élément fondamental de démocratie. Si on a une inégalité en matière d'accès aux soins, bien cela signifie qu'il y a un problème au niveau de notre système et un problème au niveau de notre démocratie. 

  • La stratégie nationale de santé a mis au premier plan la question des inégalités sociales de santé. Mais sans comprendre que pour traiter l'inégalité sociale de santé ce n'est pas simplement une question technique de plateau, d'accès aux soins, de péréquation entre les territoires... Ça c'est important, mais ce n'est pas du tout suffisant. Il faut aussi qu'à la base, il y ait des structures d'organisation, d'auto-organisation collective qui permettent aux personnes d'exprimer leurs besoins en matière de santé et de les porter vers la scène médicale ou para-médicale.
  • Les communs c'est l'accès

    • y compris pour les plus défavorisés, sur tous les biens essentiels.

  • Les communs c'est des formes de gouvernance qui garantissent de la démocratie

    • et de l'expression non seulement des citoyens, mais des principaux intéressés, et des plus faibles parmi les intéressés. Parce que c'est comme ça qu'ils peuvent défendre leur bout de gras.
  • L'accès et la démocratie c'est la même chose. Si les plus démunis, les plus défavorisés ne sont pas dans la gouvernance, ils vont être éjectés de l'accès.
  • La troisième chose des communs, c'est le caractère « hors commerce ».

    • À partir du moment où on a un bien commun « l'eau » en Italie, la santé...
    • Ça ne veut pas dire qu'il n'y a pas des transactions marchandes quelques parts, pour assumer les coûts, mais ça veut dire que tout le dispositif il est fait pour que l'accès soit assuré.  Et pour que l'accès soit assuré, il faut que le bien dans son ensemble soit hors commerce, et ce, même si les coûts doivent être couverts.
    • Les coûts peuvent être couverts en partie par l'impôt, en partie par des prélèvements sociaux, en partie par le prix des transactions. C'est pas pareil la gratuité et « hors commerce ».  C'est pas pareil de dire « à l'hôpital, vous donnez votre carte bleue avant de rentrer, sinon on vous soigne pas » (ça c'est les États-Unis) et «  vous donnez votre carte vitale »... avec ça, l'hôpital, il est hors commerce... pour le moment, en France. -
    • Benjamin Coriat / Économiste et professeur émérite (10:47)

C'est pour ça qu'on veut repartir de la question des collectifs de soin. Comment on refait collectif de soin, pour ensuite réfléchir à une autre gouvernance. Qui corresponde à ces collectifs de soins.... et pas l'inverse. 

  • D'ailleurs ça c'est intéressant, car on peut faire un rapport à la question des logiciels à l'hôpital. On a eu une intervention du collectif Interup qui essait de promouvoir les logiciels libres, qui se mobilise contre la privatisation des données en santé. Ils pointaient le fait que  la plupart des logiciels qui sont utilisés dans les hôpitaux, sont des logiciels propriétaires, qui valent très très chers qui pour la plupart d'entre eux, ne sont pas du tout adapté au travail du soin. 
  • Ça fait une dizaine d'années que je travaille à l'hôpital. J'ai ce recul de 10 ans.  Je pense que les difficultés qu'on rencontre, c'est le fait d'être dépendant de gros éditeurs qui vendent très cher des solutions informatiques à l'hôpital. Des solutions dont on n'a pas la propriété, des solutions qu'on ne peut pas améliorer et qu'on ne peut pas partager. 
  • Une fois qu'on a signé un contrat avec un éditeur, on est pieds et poings liés avec l'éditeur. Et c'est très compliqué de se désengager si on se rend contre que la solution qui a été achetée ne correspond pas à nos besoins.
  • Nous en informatique,  le commun ça va être le logiciel et le code qu'on va partager.
  • C'est un commun parce que ça peut être une personne qui le crée, mais une autre personne qui l'améliore. C'est le logiciel libre et son code qui est open source
  • C'est important, parce que nous dans l'hôpital, on est proche des utilisateurs, on connaît leurs besoins, leurs façons de travailler.  C'est plus facile pour nous d'améliorer le logiciel, que des entreprises privées qui sont très loin de l'hôpital et qui ne partagent pas les mêmes intérêts. 

Quand on dit public, on ne dit pas forcément « sous la coupe de l'État ». Inventer un nouveau service public de santé, ça peut s'organiser via des centres de santé communautaire, des centres de santé publique, en lien avec des associations, etc. 

  • On se rend compte que le fonctionnement de la Sécu il est plus proche d'un bien commun. C'était des caisses autonomes de l'État, il y avait même les salariés qui étaient majoritaires... jusqu'à ce que ça devienne paritaire et qu'au final les salariés aient moins de pouvoir. Mais là on était plus proche de ce que sont les biens communs.
  • C'est ça qui m'intéressait beaucoup, de voir qu'on a déjà un objet qui existe, qui est la sécurité sociale et qui pourrait encore mieux fonctionner. Petit à petit, on voit bien que l'État a repris la main sur la Sécu et que c'est corseté par le budget qui est voté au parlement.
  • Je pense qu'il faut être sur les deux côtés : il faudrait revoir la tarification des soins de premiers recours; et avoir une autre option que les grandes firmes pharmaceutiques quand on prescrit un médicament.

L'entité publique qui pourrait produire un médicament, on a nommé ça le « pôle socialisé du médicament » dans l'idée de ne pas repartir sur une entité publique et technocratique qui serait dans la main d'un État qui pourrait le revendre à la première occasion venue. Mais basé sur la théorie des communs, avec une volonté de pérenniser la ressource, et avec une gouvernance différente. Où on pourrait avoir des représentants de l'État, mais où il ne serait pas majoritaire ou décisionnel. Il faudrait que les professionnels puissent avoir voix au chapitre. Les citoyens, et les soignés également. 

  • Et c'est en ça qu'on se distingue de ce qu'on entend sur le « pôle public du médicament » par ce que le financement est important. Nous ce qu'on propose, c'est de partir des caisses de Sécu, d'étendre ce qui est déjà là et de partir dans une perspective optimiste.
  • On est en permanence en train de se battre pour limiter le recul... ce qui n'est pas très enthousiasmant. Mais là justement, on fait une proposition qui élargirait le champ de la Sécu et on inclurait une entité industrielle dedans. Ce qui est très révolutionnaire : avoir un pôle socialisé du médicament qui fonctionnerait sur les mêmes règles que la Sécu. Ça serait vraiment quelque chose de très puissant politiquement.

note Note(s) liée(s)

diversity_3Organisation(s) reliée(s)

bookmark Terme(s) relié(s)

padding Carnet(s) relié(s)

file_copy 141 notes
Santé - Enjeux, leviers et stratégies
file_copy 141 notes
person
Intégré par Marie-Soleil L'Allier, le 20 juillet 2023 15:07
category
Réfléchir (rapport, analyse, veille, opinion), S'inspirer (cas inspirant, utopie réelle), Transformer les institutions, COVID-19, Privatisation de la santé, Accès à la santé, inégalité et exclusion, Prendre soin ensemble, Coopérative de santé, Refondation du système de santé

Communauté liée

Santé

Communauté Passerelles

Profil En commun

forumDiscuter de la note

Localisation

Publication

20 juillet 2023

Modification

18 septembre 2023 10:06

Historique des modifications

Licence

Attention : une partie ou l’ensemble de ce contenu pourrait ne pas être la propriété de la, du ou des auteur·trices de la note. Au besoin, informez-vous sur les conditions de réutilisation.

Visibilité

lock_open public