Les initiatives de transition socio-écologique, au contraire des approches top-bottom caractéristiques du secteur public, sont initiées par des citoyens, des milieux associatifs, écologistes et autres groupes privés dont l’objectif premier n’est pas strictement lucratif et dont l’un des objectifs finaux est de transformer le rapport de cette organisation ou de l’économie dans son ensemble à l’environnement. En effet, s’il est raisonnable de douter que l’État puisse à lui seul solutionner les enjeux environnementaux (néolibéralisme ayant atrophié les capacités d’investissement et de prise en charge d’enjeux collectifs par l’État, austérité budgétaire, absence d’une gouvernance transnationale démocratique et efficace, etc.), la transition socio-écologique n’a pas pour autant à s’appuyer exclusivement sur le secteur privé à but lucratif.

Les approches basées sur le marché sont d’un potentiel limité dans la gestion des problèmes écologiques. En effet, ceux-ci reposent sur des processus biologiques, énergétiques, chimiques et géologiques complexes, incertains, aux dynamiques non-linéaires et dont très peu de personnes peuvent manipuler les subtilités. Par conséquent, il est fort peu probable que le marché puisse intégrer la complexité des problématiques écologiques dans le mécanisme des prix. Les prix ne reflètent pas toutes les impacts environnementaux se dissimulant derrière la fabrication d’un produit ou d’un service. Finalement, le marché est un mécanisme qui par principe fait reposer sur les individus la charge d’internaliser (par le prix) les conséquences environnementales des choix économiques. Or, les problèmes écologiques ne peuvent être abordées séparément, un par un, étant donné leur interconnexion (les océans jouant un rôle dans l’absorption des gaz à effets de serre, la biodiversité marine affectant les choix alimentaires de milliards de personnes, la biodiversité végétale affectant la qualité de l’air, etc.) Les transformations des écosystèmes entraînent des conséquences pour tous (le choix individuel de payer pour une ressource non-renouvelable prive d’autres individus de celle-ci) (Akbulut et Adaman 2020). On peut même douter de l’efficacité du marché dans la production et la gestion des biens publics et des communs, ceux-ci répondant à des problèmes de coopération collective tels que si tous et toutes bénéficient de leurs bienfaits (qualité de l’eau et de l’air, valeur récréative et esthétique des espaces naturels, etc.) tous ne sont pas encouragés à participer à leur gestion et leur financement puisque ces biens sont non-exclusifs. Par conséquent, le marché conduit à une production sous-optimale des biens publics et environnementaux (Bauwens et Mertens, in Cassiers et. al. (dir.), 2018: 47).

Les motifs de création et d’implication au sein des initiatives de transition socio-écologique sont multiples et n’ont pas à être exclusivement environnementale. Certains peuvent, comme dans le cas des entreprises de l’économie sociale et solidaire, y voir une manière de satisfaire leurs besoins. Concernant les initiatives citoyennes, elles forment des lieux où plusieurs peuvent y exprimer leurs convictions. Étant basées sur une définition forte des liens sociaux, certains y trouvent un source de sociabilité.

Afin de distinguer les initiatives de transition socio-écologique d’initiatives qui, aussi louables et innovantes soient-elles, appartiennent davantage à l’économie privée traditionnelle, nous définissons les initiatives de transition socio-écologique comme les initiatives qui, en vue de transformer les rapports économie-environnement, cherchent à intervenir sur les rapports sociaux qui organisent l’économie . Autrement dit, elles utilisent des initiatives démocratiques, entrepreneuriales et solidaires afin de modifier les rapports économie-environnement. Par conséquent, elles appartiennent au secteur privé sans but lucratif. Elles sont des initiatives collectives. Si les démarches de simplicité volontaire sont maintenant relativement connues (Mongeau), les initiatives de transition socio-écologique s’en distinguent puisqu’elles dépassent l’action individuelle et proposent une action collective. Elles sont indépendantes de la politique, au sens où elles ne visent pas à redéfinir le vivre ensemble par le biais des pouvoirs publics.

Bien que souvent formellement indépendants des pouvoirs publics, les  ITSÉ entretiennent souvent des rapports avec ceux-ci. Ces rapports peuvent prendre différentes formes: a) complémentaires (compléter, voir accompagner une offre de services publics); b) lobbying (développement en vue d’exercer une pression sur les élu.e.s); 3) alternatifs (porteurs d’un projet de transformation radicale de l’économie, se posant en alternative à l’action publique (nouvelles formes de production d’énergie, de soins de santé, etc.)); 4) hostile (s’inscrit en opposition aux politiques publiques) (Commissariat Général au développement durable, 2017).

Une initiative de transition socio-écologique peut être citoyenne ou économique. Nous distinguons ces deux types d’initiatives puisqu’elles prennent des formes légales différentes. Bien que leurs objectifs de long terme soient les mêmes, elles n’opèrent pas dans un même but, bien qu’elles ne soient pas nécessairement exclusives mutuellement.

a) Les initiatives citoyennes

Les initiatives citoyennes prennent la forme de «mouvements sociaux», c’est-à-dire que leur organisation ne prend pas la forme précise d’une organisation légale telle que définie dans une loi (entreprise, OBNL, etc.) Il s’agit d’un réseau plus ou moins formel de personnes demeurant sur le même territoire et cherchant à s’attaquer ensemble à un problème socio-écologique (alimentation, transport, travail, etc.), tel que le mouvement des Villes en transition (Chanez et Lebrun-Paré, in Audet, 2015: 142). Les mouvements citoyens sont souvent marqués par une méfiance envers l’État et les organes de gouvernance et entreprises nationales, voir internationales. À cet effet, l’échelon local est privilégié. Les initiatives citoyennes sont actives dans des initiatives d’éducation populaire et de conscientisation de l’importance de la biosphère dans le bien-être humain, agissent comme acteur politique auprès des élu.e.s afin que ceux et celles-ci adoptent des lois et règlements alignés avec l’urgence écologique, cherchent à mobiliser et intégrer davantage d’acteurs dans la transition socio-écologique ainsi que changer leurs propres habitudes (Seyfang et Smith, 2007: 595).

Un exemple paradigmatique de cette approche est le mouvement des Villes en transition (VET). Mouvement issu du courant du «low-tech» et de la simplicité volontaire, VET inscrit son action dans le principe que, bon gré mal gré, des chocs majeurs seront entraînés dans nos modes de vie par la transformation de l’environnement. Ainsi, il s’agit de construire la résilience le plus tôt possible et ne pas attendre de réformes structurelles, qui arriveront selon eux sans doute trop tard. Plutôt que de se concentrer sur la production de biens ou services, ce mouvement cherche à mettre en capacité les citoyens à redéfinir et imaginer leur espace de vie, en particulier la réduction radicale de la consommation d’énergie (Gariépy, 2018). Au Québec spécifiquement, d’autres initiatives s’inscrivant comme initiative sitoyenne de transition socio-écologique sont le Front commun pour la transition énergétique, Solon, etc. À une échelle plus territorialisée, nous pouvons penser au Bâtiment 7, une initiative organisée sur sur une base géographique et qui cherche à développer l’autonomie de ses habitants et le renforcement des liens communautaires.

b) Les initiatives économiques

Les initiatives économiques se distinguent des initiatives citoyennes en tant qu’elles sont incorporées, enregistrées légalement et ayant vocation de fournir des biens et services. Les objectifs sociaux et la gouvernance démocratique y priment sur les objectifs de rentabilité (Lambert et. al., 2019: 3; Hamel, 2012: 26) (entrepreneuriat social, coopératives, OBNL, etc.) Autrement dit, en plus de produire un bien ou un service, une initiative économique de transition socio-écologique porte un objectif de démocratisation économique. Pourtant, elles ne sont pas que des entreprises traditionnelles de l’économie sociale et solidaire puisqu’aux missions économiques et sociales (création d’emploi, insertion sociale, etc.) s’intègrent une mission environnementale (éco-conception, gestion des matières résiduelles, gestion écologique des immeubles, etc.) qui est au centre de son activité, c’est-à-dire que sur le plan organisationnel, les acteurs cherchent à mettre au point des rapports de consommation, de production et de gestion en fonction de critères socio-écologiques (Hamel, 2012: 113). La participation à une telle initiative est claire puisque s’y retrouve les statuts socioéconomiques de l’économie traditionnelle (employé, client, etc.)

Les initiatives économiques ressemblent aux entreprises de l’économie sociale et solidaire. En effet, a priori, la gouvernance démocratique, la souplesse organisationnelle et l’ouverture à l’innovation sociale semble faire des entreprises de l’économie sociale et solidaire des incubatrices propices à de telles initiatives. Toutefois, ces deux types d’organisations ne sont pas nécessairement les mêmes. Comme l’indique Hamel, toutes les entreprises de l’économie sociale et solidaire n’ont pas nécessairement de réflexion écologique approfondie, de politique interne de responsabilité et d’approvisionnement environnemental, etc. Il n’existe pas de cadre de référence sur l’intégration de la dimension environnementale par les entreprises de l’économie sociale et solidaire (Hamel, 2012: 79).

L’esprit des initiatives économiques de transition socio-écologique consiste à aller plus loin que le champ traditionnel de l’économie sociale et solidaire et en occuper de nouveaux en intégrant les enjeux environnementaux aux enjeux traditionnels de l’économie sociale.

Source

Akbulut, Bengi et Adaman, Fikret (2020). Ecological Economics of Economic Democracy, Ecological Economics, article soumis, 21 p.

Audet, René (dir.) (2015). Pour une sociologie de la transition énergétique, Cahiers de recherche sociologique, no 58, Hiver 2015.

Bauwens, Thomas et Mertens Sybille (2017). Social economy and polycentric governance of transitions, in Cassiers, Isabelle, Maréchal, Kevin et Méda, Dominique (Eds). Post-Growth Economics and Society: Exploring the Paths of a Social and Ecological Transition, Taylor and Francis, Chapitre 4, 18 pages.

Gariépy, Martine (2018). Concepts et tendances du mouvement des initiatives de transition socio-écologique au Québec: une étude exploratoire, Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale, 207 p.

Hamel, Mélanie (2012). La conciliation des objectifs sociaux, économiques et écologiques d’initiatives locales d’économie sociale, Mémoire de maîtrise, Université du Québec à Montréal, Département de sociologie, https://archipel.uqam.ca/4566/

Lambert, Louise, Dedeuwaerdere, Tom, Nyssens, Marthe, Severi, Elisabetta et Brolis, Olivier (2019). Unpacking the organisational diversity within the collaborative economy: The contribution of an analytical framework from social enterprise theory, Ecological Economics, Volume 164, 9 p., https://www.sciencedirect.com/science/article/abs/pii/S0921800918320044

Seyfang, Gill et Smith, Adrian (2007). Grassroots innovations for sustainable development: Towards a new research and policy agenda, Environmental Politics, Volume 16, no 4, pp. 584-603

Laigle, Lydie et Racineux, Nathalie (2017). Initiatives citoyennes et transition écologique: quels enjeux pour l’action publique? Commissariat Général au développement durable - Délégation au développement durable, Ministère de la transition écologique et solidaire, 78 p., https://www.ecologique-solidaire.gouv.fr/sites/default/files/Thema%20-%20Initiatives%20citoyennes%20et%20transition%20%C3%A9cologique.pdf

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26 janvier 2023 16:26

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26 janvier 2023 16:26

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