1.1. Les communautés de pratique | Mémoire sur les communautés de pratique / problématique

ℹ️ Contexte 
Cette note fait partie du carnet "La communauté de pratique comme stratégie de transfert de connaissances dans le champ de l’innovation sociale", un mémoire qui propose un regard critique sur le déploiement de la démarche Passerelles 1 (2018-2022) et qui vise à identifier les conditions de succès et les facteurs à considérer pour ce type particulier de communautés de pratique (CdP).
Table des matières | Résumé | Références

Si le concept de CdP a généré beaucoup d’intérêt dans les entreprises privées depuis trente ans, nous observons une grande variété d’organisations et de réseaux, plus ou moins formels, opter pour cette approche dans une diversité de secteurs (économie sociale, action communautaire, culture, développement des communautés, transition écologique, santé, éducation, etc.). Les personnes qui mettent sur pied une CdP expriment souvent un sentiment d’isolement dans leur pratique et l’impression de réinventer la roue en déployant des initiatives. Elles souhaitent généralement entrer plus facilement en contact avec des pair·es, mener des activités de veille, être soutenues dans leur pratique, accéder à des ressources stratégiques, mettre en commun des expériences et des connaissances, collaborer sur des enjeux ou des projets communs, faire évoluer les pratiques, faciliter l’innovation et la recherche de nouvelles solutions et s’ouvrir à des possibilités de collaboration avec des réseaux périphériques.

Ces démarches présentent des caractéristiques très variées, concernant le mandat, les objectifs, la taille, la composition, le niveau d’ouverture, les stratégies d’animation, la nature des activités, le rythme, le contexte de déploiement, les ressources disponibles, les outils utilisés et les modalités d’évaluation. Nous constatons également que le niveau d’engagement des membres et le succès de ces démarches sont très variables.

1.1.1.  Définition des communautés de pratique

Nous reprenons ici la définition la plus souvent utilisée pour décrire les CdP.

« Les communautés de pratique des groupes de personnes qui se rassemblent afin de partager et d’apprendre les uns des autres, face à face ou virtuellement. Ils sont tenus ensemble par un intérêt commun dans un champ de savoir et sont conduits par un désir et un besoin de partager des problèmes, des expériences, des modèles, des outils et les meilleures pratiques. Les membres de la communauté approfondissent leurs connaissances en interagissant sur une base continue et à long terme, ils développent ensemble de bonnes pratiques. » (Wenger, McDermott et Snyder, 2002, p.8)

Le cadre théorique propose une définition plus complète des CdP et présente certaines limites à cette définition. Comme nous le verrons, les trois principaux piliers reliant ces démarches collectives sont l’apprentissage, la collaboration et l’innovation.

Il importe de distinguer les CdP d’une équipe de travail ou d’une activité de formation. Il est intéressant de constater que certaines démarches qui se réclament du concept de CdP ne correspondent pas aux caractéristiques mises de l’avant par cette définition et que, inversement, certaines démarches correspondant parfaitement à cette définition ne se définissent pas toujours comme des CdP.

Il est utile de se rappeler que la CdP est un concept large, aux frontières parfois floues et qui a parfois bénéficié d’un phénomène de mode donnant lieu à une panoplie d’expériences plus ou moins structurées.

1.1.1.  Les communautés de pratique au Québec

Au Québec, les acteur·trices qui s’intéressent aux CdP sont de nature très variée. Nous voyons des projets émerger dans les milieux institutionnels (ministères, universités, groupes de recherche, établissements de santé, etc.), communautaires (OBNL, réseaux d’organismes, groupes de défense de droits, etc.), économiques (coopératives, organisations de développement, incubateurs, etc.), territoriaux (groupes professionnels, tables de concertation régionales, démarches de développement social, etc.), militants (luttes citoyennes, démarches concertées de transition socioécologique, groupes de réflexion politique, etc.), informels (rassemblements citoyens, groupes d’intérêts, réseaux spontanés, etc.) ou hybrides (regroupant divers milieux, par exemple une communauté portée et animée par un ministère, mais composée de professionnel·les d’horizons variés et d’élu·es municipaux). Si l’élément qui unit ces personnes est généralement une pratique partagée, il peut également s’agir d’intérêt commun, d’enjeux connexes ou de projets semblables sur des territoires différents.

Les CdP ont retenu l’attention du milieu de la recherche au Québec. De nombreux articles scientifiques, mémoires et thèses portent sur le sujet. Il est possible de retrouver des études de cas, des rapports d’évaluation et des guides produits dans la province. L’utilisation de CdP comme stratégie de transfert de connaissances a également fait l’objet d’expérimentations et de documentation au sein d’organismes de transfert des connaissances, tels que le Centre de transfert pour la réussite éducative du Québec (CTREQ), Territoires innovants en économie sociale et solidaire (TIESS), le Centre facilitant la recherche et l’innovation dans les organisations (CEFRIO) et Humanov-is, qui a précédemment porté le nom de Centre de liaison sur l'intervention et la prévention psychosociale (CLIPP). Si ces deux dernières organisations n’existent plus, leurs guides et recherches restent accessibles et contribuent à notre compréhension des CdP.

1.1.2.  Les technologies en soutien aux communautés de pratique

Les activités de certaines CdP se déroulent en personne, tandis que d’autres CdP sont exclusivement en ligne. Comme nous le verrons dans le cadre théorique, la distinction entre les CdP en présentiel et les CdP virtuelles est de moins en moins pertinente étant donné que la plupart des groupes sont bimodaux, alternant entre des rencontres en personne et des échanges soutenus par des outils numériques. La plupart des CdP alternent également entre des communications synchrones et asynchrones.

Le contexte de pandémie de COVID-19 a diminué considérablement les activités en personne, qui ont généralement été remplacées par des activités synchrones en visioconférence et par messagerie instantanée.

Le nombre d’outils numériques disponibles, l’augmentation continue de leur malléabilité et de leur performance, leur accessibilité, leur caractère multimodal ainsi que leur adoption de plus en plus généralisée ont transformé la nature des activités au sein des CdP, voire la nature des CdP elles-mêmes. Si l’accessibilité des outils numériques est grandissante et permet des usages plus variés et plus abordables, on peut se demander s’il s’agit d’une condition déterminante dans le succès des CdP. Cette question sera abordée dans le cadre de ce mémoire.

Le « Rapport de veille sur les usages numériques innovants dans les entreprises d’économie sociale », réalisé par le TIESS en 2017, démontre un intérêt grandissant pour l’utilisation des outils numériques pour le partage des connaissances et des pratiques, pour la collaboration entre organisations et pour soutenir pour les efforts de mutualisation des ressources (Bakayoko, Gruet et Nadeau, p. 29). L’étude met en lumière l’utilisation d’une large variété d’outils pour répondre à ces besoins.

Parmi les outils numériques disponibles, certaines familles méritent d’être mentionnées dans le contexte qui nous concerne, dans l’objectif de mieux comprendre leurs usages possibles pour soutenir la collaboration et l’accès aux connaissances.

  • Les logiciels de visioconférence (par exemple : Zoom, Team, Meet, Jitsi, BigBlueButton, etc.) existent depuis longtemps, mais leur usage s’est considérablement accru depuis les années 2010, puis accéléré depuis les années 2020 en raison de l’augmentation du télétravail dans certains secteurs. Leur accessibilité et leur stabilité grandissante ont probablement contribué à cet accroissement. Si ces outils ne reproduisent pas une dynamique d’échanges aussi fluide qu’en personne et qu’ils posent des défis d’animation, ils permettent néanmoins des échanges plus spontanés qu’à l’écrit en favorisant potentiellement un climat de confiance au sein d’un groupe réunissant des personnes géographiquement dispersées. La plupart de ces outils permettent maintenant une diffusion grand public simplifiée (en mode webinaire ou en diffusion sur des réseaux sociaux), facilitant l’organisation d’événements virtuels ainsi que la captation et le partage d’enregistrements.
  • Les applications de messagerie instantanée (par exemple : Slack, Teams, Messenger, RocketChat, etc.) se sont également généralisées depuis les années 2010, d’abord dans des contextes organisationnels et progressivement au sein de réseaux, groupes informels et CdP. Si le clavardage est omniprésent depuis les débuts d’internet, c’est probablement le caractère convivial, leur adaptation pour les appareils mobiles et le développement l’offre commerciale pour les organisations qui ont contribué à l’élargissement de leur adoption. Comme pour la visioconférence, ces outils permettent des échanges spontanés, voire informels, mais ne sont pas conçus pour constituer un répertoire partagé de ressources.
  • Les réseaux sociaux commerciaux (par exemple : Facebook, LinkedIn, X, Instagram, Tiktok, etc.) ont transformé les pratiques numériques. La plupart de ces plateformes permettent la création de groupes publics ou privés dans lesquels il est possible d’échanger de manière simple et conviviale. Étant donné que ces outils font l’objet d’adoption massive dans la population en général et qu’ils sont gratuits, plusieurs organisations optent pour ces solutions pour répondre à leurs besoins de collaboration. Diverses CdP vont par exemple être déployées sur des « groupes Facebook ». Cette solution a l’avantage de simplifier la mobilisation des participant·es tout en évitant d’intégrer dans leur quotidien un nouvel outil. Certaines personnes expriment cependant un inconfort lié à des frontières floues entre la vie personnelle et privée. Des responsables d’animation déplorent également la difficulté d’assurer la visibilité des publications du groupe dans un environnement numérique surchargé et dont le contenu est filtré par des algorithmes conçus pour répondre à des impératifs commerciaux. La décision en 2023 de Meta, maison mère de Facebook et Instagram, de bloquer l’accès aux articles de presse au Canada pour contester le projet de loi C-18 a également remis en question l’utilisation de ces plateformes pour les activités de veille. Ici encore, ces outils sont conviviaux, mais ils ne sont pas prévus pour faciliter la structuration de documentation partagée et la recherche dans les archives. 
  • Les systèmes de gestion de contenus (ou CMS, par exemple : Wordpress, Drupal, Joomla!, etc.) sont des logiciels, souvent libres et gratuits, que les organisations peuvent déployer de manière autonome pour construire des sites web informatifs et des espaces collaboratifs. Comme ces outils sont soutenus par de vastes communautés internationales de développeur·euses, leur évolution est constante et leur malléabilité de plus en plus grande. Ils permettent de répondre à une large variété de besoins de diffusion de contenus, de communication asynchrone et d’organisation des archives. L’installation, la personnalisation, l’adaptation au fil du temps, l’hébergement et l’entretien nécessitent cependant une expertise technologique qui peut s’avérer coûteuse. De plus, ces outils présentent parfois des limites concernant la convivialité et la performance, notamment dans des contextes de déploiement à grande échelle.

D’autres familles d’outils sont utilisées pour soutenir les activités d’une CdP, comme les chaines de courriels et les infolettres, les calendriers partagés, l’infonuagique et l’édition collaborative (Google Drive, Dropbox, etc.), les outils de gestion de la relation client aussi appelés CRM (Saleforce, Zoho, Hubspot, etc.), les outils de gestion de projet (Trello, Taiga, Asana, etc.), les applications de prise de note (Notion, Evernote, etc.), les outils de veille et de curation (Feedly, Pocket, Scoop.it, etc.) ainsi que les suites rassemblant des solutions complémentaires (Google Workspace, Teams, Nextcloud, etc.). Certains de ces outils permettent un usage de base gratuit et offrent des fonctionnalités plus avancées sur la base d’abonnements mensuels pour chaque personne utilisatrice.

Tous ces outils peuvent soutenir une partie ou une autre des activités d’une CdP. Ils sont parfois utilisés de manière complémentaire, par exemple Zoom pour la visioconférence, Facebook pour les discussions asynchrones et Google Drive pour le partage des fichiers.

Ils sont parfois utilisés exclusivement dans le contexte des activités de la CdP. Ils sont alors identifiés à la suite d’une recherche de solution, d’expérimentations ou d’une recommandation. Le choix d’outils est parfois lié à des habitudes développées dans le contexte d’une organisation de laquelle les membres ou une partie d’entre eux sont issus. Il peut donc arriver qu’une partie des membres utilise les outils pour de multiples usages alors que d’autres y auront recours seulement pour se connecter aux autres membres de la CdP.

Rappelons que l’utilisation d’outils numériques n’est pas sans soulever certains enjeux, notamment concernant l’inclusion, en raison de la littératie numérique des membres, et l'éthique. Par exemple, l’utilisation commerciale des données personnelles sur les réseaux sociaux commerciaux et les algorithmes de sélection des contenus sont susceptibles de limiter l’exposition à des points de vue divergents.

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Intégré par Joël Nadeau, le 5 décembre 2023 11:35
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5 décembre 2023

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6 décembre 2023 17:45

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