5.3. Continuum collaboration – transfert : essai de schématisation | Mémoire sur les communautés de pratique / discussion

ℹ️ Contexte 
Cette note fait partie du carnet "La communauté de pratique comme stratégie de transfert de connaissances dans le champ de l’innovation sociale", un mémoire qui propose un regard critique sur le déploiement de la démarche Passerelles 1 (2018-2022) et qui vise à identifier les conditions de succès et les facteurs à considérer pour ce type particulier de communautés de pratique (CdP).
Table des matières | Résumé | Références

Cette recherche a permis d’étudier les conditions de succès des CdP comme stratégie de transfert de connaissances (TC). Ces démarches posent des défis importants, dont certains semblent propres au champ de l’innovation sociale. Néanmoins, les CdP s’avèrent des stratégies pertinentes dans le cadre d’une approche interactive de TC et présentent des potentiels intéressants.

Les cas étudiés ont permis de constater qu’inversement, les CdP bénéficieraient d’une meilleure intégration des processus de TC dans leur conception et leur animation. La collaboration ancrée dans une pratique commune et le TC se complètent et se renforcent mutuellement.

Il serait par ailleurs intéressant d’aborder les dynamiques de collaboration et de TC comme des composantes d’un même continuum. En plus d’un équilibre à trouver entre la participation et la réification, nous pourrions parler de processus circulaire entre les échanges et la production de connaissances.

C’est ce que propose cet essai de schématisation. La proposition reste embryonnaire et mériterait d’être débattue, approfondie et expérimentée.

Figure 15 - Essai de schématisation du continuum collaboration - transfert

Ce schéma rappelle qu’une communauté naît de l’engagement volontaire d’individus qui se regroupent pour approfondir leur pratique commune. D’autres CdP, formalisées ou non, animées ou non, co-existent dans le même environnement. Des croisements s’effectuent et créent des intersections, qui constituent de nouveaux espaces de mise en commun, de négociation de sens, de délibération et de création de connaissances.

Alors que les CdP sont davantage étudiées sous l’angle de la collaboration entre les individus qui la composent, un continuum est ici proposé entre cette collaboration (en rose) et les processus de TC (en vert). Si la collaboration et le TC sont idéalement présents dans toutes les activités d’une CdP, une place majeure peut parfois être prise par l’un ou par l’autre.

La collaboration peut d’abord être vue comme une entraide, soit un soutien mutuel entre les membres dans le cadre de leur pratique. Cette entraide émerge souvent pour répondre à un défi ponctuel, un besoin spécifique, une recherche de ressource, une démarche d’idéation ou une demande d’avis. L’intelligence collective est mise à profit pour répondre à un appel à la communauté.

Dans le cadre de ces échanges, des connaissances sont partagées. Il s’agit généralement des savoirs expérientiels, qui sont liés à un contexte et qui sont parfois tacites. Leur explicitation permet de les rendre visibles, dans un langage partagé et compréhensible par l’ensemble de la communauté.

Les demandes de précision, les bonifications par les pair·es, l’ajout de nouvelles perspectives et les débats entourant des divergences permettent d’approfondir et d’enrichir ces connaissances. Cette collaboration peut également mener à la création de nouvelles connaissances. Cette co-construction des connaissances bénéficie à l’ensemble de la communauté, dépassant la réponse au besoin initial.

Pour répondre à des enjeux transversaux ou des besoins de développement des compétences, la CdP peut organiser des activités. Des échanges thématiques, des rencontres libres, des webinaires, des séminaires, des colloques, des activités de co-développement professionnel et des expérimentations peuvent par exemple permettre de contribuer à la création de références communes.

S’il n’est pas accompagné d’un processus de réification, ces échanges peuvent tomber dans l’oubli et les discussions peuvent se répéter, donnant parfois l’impression de tourner en rond. Les approches de documentation des connaissances pratiques développées dans les démarches de TC peuvent ici être utiles. L’objectif est alors de conserver des traces et de constituer une mémoire collective.

La documentation est généralement un des rôles qui est attribué à la personne responsable de l’animation. Pourtant, il s’agit d’un rôle à part entière qui devrait être assumé par une personne dédiée et à partir de méthodologie adaptée et d’un soutien externe stratégique. Le travail sur les processus et la documentation demandent des compétences, une posture et un état d’esprit bien différents.

La constitution d’un répertoire partagé devient le socle de la communauté. Elle génère du sens et propose des repères identitaires qui consolident l’engagement. Elle permet de générer des ressources utiles pour les membres. Certaines de ces ressources voyagent au-delà de la CdP pour alimenter d’autres personnes qui agissent dans le même champ et qui facilitent l’intégration de recrues. Elles deviennent des références, des prises de position, des créations artistiques ou des parcours d’apprentissage, par exemple.

Au fil du temps, le groupe peut générer une surabondance de contenus. Les outils numériques facilitent la documentation tout comme ils permettent une accumulation qui peut devenir vertigineuse. Les membres peuvent avoir de la difficulté à identifier la bonne ressource en fonction de leurs besoins, ce qui est d’autant plus frustrant quand ils se doutent que l’information existe sans arriver à la repérer.

Les environnements sous pression, le désir de performance, la complexité des enjeux et la nécessité de démontrer des résultats accentuent le besoin de repérer facilement et rapidement un outil spécifique. Or, un répertoire partagé vaste et mal organisé génère un sentiment d’impuissance, une surcharge mentale, voire une certaine anxiété.

Le travail d’organisation des contenus, souvent négligé, devient essentiel. Il s’agit de classer les contenus et de faciliter leur découvrabilité. Une catégorisation arborescente est parfois préférable, alors qu’une organisation organique circulaire qui s’appuie sur des graphes de connaissances interreliées peut devenir une solution intéressante dans le cadre de CdP plus vastes ou plus hétérogènes. Ce travail de curation vise également à valoriser et contextualiser les connaissances.

Une approche éditoriale claire, définie collectivement et reflétant la culture du groupe peut proposer des balises pour orienter cette organisation. Une telle politique permet aussi de définir la pertinence, la crédibilité et l’importance de chaque élément de connaissance. La valeur accordée à une connaissance ou à une forme de connaissance peut — et devrait — devenir l’objet de débat sémantique, voire idéologique. Un travail de curation ne devrait pas viser une simplification ou une uniformisation, mais devenir un reflet de la diversité des perspectives qui composent le groupe et de la capacité d’autocritique de ses membres.

Pour assurer une pérennisation et une capacité de diffusion, les efforts consacrés au TC doivent bénéficier d’une systématisation des connaissances. La constitution de guide, d’outils de transfert, de cartographies d’initiatives, des cadres de référence ou de récits collectifs, par exemple, permettent une accessibilité plus large. Cela permet aussi de créer des objets frontières capables de voyager au-delà de la CdP, alimentant les capacités de collaboration au sein des intersections.

Pour que ces objets bénéficient aux personnes qui les reçoivent, une appropriation est nécessaire. Cette appropriation est souvent accompagnée d’une traduction de sens ou de médiation. Elle nécessite une adaptation au contexte et aux besoins, ce qui est susceptible de générer de nouvelles transformations.

La transformation de la connaissance transférée contribue à son actualisation. Ici encore, un processus d’explicitation et de documentation peut s’avérer utile, pour que les nouvelles expérimentations et les innovations qui en découlent puissent bénéficier à l’ensemble du groupe.

L’actualisation au fil des expériences est souvent un enjeu dans les démarches de TC. Un outil produit évolue et se transforme en fonction des nouvelles pratiques qui en découlent. Les initiatives et les méthodologies s’influencent mutuellement, permettant de dégager de nouvelles perspectives et de nouvelles hypothèses de travail.

Cela permet d’identifier de nouveaux besoins et de nouveaux enjeux. Le contexte de la pratique lui-même évolue rapidement et demande une révision des approches ou impose une remise en question des fondements.

Les objets issus d’un processus de transfert de connaissances s’actualisent à travers les échanges entre les personnes impliquées ou impactées. Ce nouveau cycle de collaboration peut s’appuyer sur une veille, qui permet de repérer les innovations, d’identifier les besoins et de préciser les enjeux. Cette veille peut également être prospective, permettant de capter des signaux faibles, d’identifier des tendances lourdes ou de définir collectivement des futurs souhaitables.

Les actions présentées dans la partie droite du schéma permettent un co-apprentissage, une acquisition personnelle de connaissances, un développement des compétences et un empouvoirement. Cela permet d’accroître les capacités d’actions individuelles et collectives.

Les actions à gauche du cadran permettent quant à elles une transformation des pratiques individuelles, organisationnelles et collectives. Ces transformations peuvent être incrémentales ou radicales, voire en rupture avec les systèmes dominants. Elles peuvent à leur tour contribuer à des changements de modèles et des changements systémiques.

Nuances

En réalité, l’enchainement de ces actions ne s’effectue pas de manière linéaire. Le processus reste itératif et organique. Les frontières entre la collaboration et le transfert restent fluides, de même qu’entre l’apprentissage et l’évolution des pratiques. L’objectif ici est de démontrer l’interdépendance entre différentes fonctions.

Intentions

Le fait de rendre visibles, de concevoir et d’animer ces différentes actions permettrait de dynamiser les CdP et de mieux soutenir l’action collective. De plus, cela permettrait d’accroître le potentiel de collaboration au sein d’un écosystème plus large.

Une schématisation des processus au sein d’une CdP permettrait également de mieux orienter les efforts de soutien, notamment concernant le coaching et le développement des compétences. Un soutien axé sur l’empouvoirement des membres d’une CdP autour de la collaboration et du transfert de connaissances permet de passer d’une communauté d’experts à une communauté experte.

Approfondir, expérimenter et valider de tels modèles pourrait ultimement contribuer à accroître la reconnaissance des CdP et à justifier l’importance de leur fournir les ressources nécessaires.

Cela permettrait également d’alimenter la réflexion sur le développement d’outils numériques qui répondent de manière plus conviviale et ciblée aux besoins de collaboration et de documentation des connaissances pratiques, tout en encourageant la valorisation, la mise en commun, le croisement et l’actualisation de divers types de savoirs ouverts.

Suite : 6.0. Conclusion | Mémoire sur les communautés de pratique

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Dec. 6, 2023

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Dec. 6, 2023, 5:36 p.m.

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Joël Nadeau. (2023). 5.3. Continuum collaboration – transfert : essai de schématisation | Mémoire sur les communautés de pratique / discussion. Praxis (consulted July 17, 2024), https://praxis.encommun.io/en/n/_YMFyFmhYGN_oI2iNOz_cR_yJa4/.

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