ℹ️ Contexte
Cette note fait partie du carnet "La communauté de pratique comme stratégie de transfert de connaissances dans le champ de l’innovation sociale", un mémoire qui propose un regard critique sur le déploiement de la démarche Passerelles 1 (2018-2022) et qui vise à identifier les conditions de succès et les facteurs à considérer pour ce type particulier de communautés de pratique (CdP).
Table des matières | Résumé | Références
La démarche Passerelles entre 2018 et 2021 constitue un terrain intéressant pour mieux comprendre les conditions de succès des communautés de pratique (CdP) dans le champ de l’innovation sociale, caractérisées notamment par une large variété des organisations d’attache et par des ressources limitées. Cette recherche a permis d’étudier la phase de démarrage de ces CdP, à travers un regard sur les activités observées sur l’ensemble de la plateforme collaborative, en s’appuyant sur l’évaluation et des consultations et en étudiant six cas.
La recherche a permis entre autres d’identifier que le contexte organisationnel a une grande influence sur le dynamisme des CdP. Ce facteur est susceptible d’influencer à son tour d’autres leviers, tels que l’engagement des membres, les capacités d’animation, le temps et les ressources disponibles ainsi que la reconnaissance de l’importance des CdP.
Le contexte au sein de l’écosystème a également une influence, notamment sur le climat, le langage commun, l’ouverture aux divergences et le potentiel de collaboration entre les CdP. À cet égard, il semble important de travailler sur un changement culturel pour créer un « écosystème apprenant » et des « territoires apprenants » qui favorisent la libre circulation de savoirs ouverts.
Un travail doit également être effectué auprès des organisations d’attache et des bailleurs de fonds pour démontrer le potentiel structurant des CdP, par exemple pour soutenir l’action collective, pour contribuer à la transformation en profondeur des pratiques et pour plus facilement recourir à l’intelligence collective dans l’objectif de résoudre des enjeux complexes.
Le soutien à la conception, à l’animation et à la mobilisation des savoirs a été identifié comme un élément qui peut avoir une influence déterminante dans le succès des CdP et leurs effets au sein de l’écosystème. Cependant, la force de soutien devrait être accrue pour répondre à l’ensemble des besoins identifiés et devrait être axée sur le développement des capacités, notamment l’animation, la collaboration et la documentation.
Les outils numériques disponibles semblent avoir un effet réel, mais limité sur le dynamisme des CdP. L’utilisation d’outils adéquats peut permettre un plus large éventail d’activités favorisant la collaboration et le co-apprentissage. Le recours à des outils plus conviviaux est susceptible d’accroître les échanges informels et le développement d’une identité.
Assurer l’accès à une plateforme éthique dédiée au champ de l’innovation sociale semble pertinent et peut favoriser l’engagement d’une diversité de réseaux, mais un tel outil doit être plus convivial et performant pour répondre aux attentes et aux pratiques numériques. De plus, un modèle assurant la soutenabilité d’un tel outil doit être identifié. Les communs numériques ainsi que l’interopérabilité entre les plateformes semblent des approches prometteuses pour y parvenir. Accroître la souveraineté numérique s’avère également une réponse concertée nécessaire pour faire face aux enjeux sociaux, culturels et démocratiques découlant du capitalisme algorithmique.
Une nouvelle condition de succès des CdP a été identifiée, soit la capacité à organiser les connaissances issues des activités du groupe. Il serait intéressant d’explorer plus en profondeur les facteurs qui peuvent favoriser une meilleure captation, diffusion, organisation et actualisation des ressources partagées et des nouvelles connaissances générées par les membres d’une CdP. Nous pouvons supposer que des méthodologies adaptées, des outils numériques adéquats, un travail sur la curation et la valorisation des contenus ainsi qu’un soutien personnalisé peuvent y contribuer.
Cette recherche a mis en lumière de nouvelles questions à explorer, notamment la fluidité entre les approches d’apprentissage, la fluidité entre le caractère formel ou informel des approches, ainsi que l’animation des intersections qui se créent naturellement entre les CdP.
Sur ce dernier point, si les fonctionnalités de partage permettant des collaborations entre les CdP sur Passerelles n’ont pas apporté les résultats escomptés, l’expérience a permis d’émettre une hypothèse prometteuse pour y parvenir. Les communautés thématiques semblaient en effet permettre d’ouvrir des intersections et des espaces de chevauchement entre les CdP privées.
Par leurs thématiques plus larges et leur mandat plus ouvert, ces espaces, qui ont surtout été utilisés pour des activités de veille et de la diffusion de ressources stratégiques, ont le potentiel de créer des ponts entre divers milieux. Nous croyons qu’il serait intéressant de concevoir ces zones comme des « communautés passerelles » et de les animer comme tel pour permettre l’émergence de collaborations inédites, pour constituer des répertoires communs, pour stimuler l’innovation radicale, pour soutenir les écosystèmes et pour accroître les capacités de transformation systémique.
Enfin, la recherche permet de mettre au jeu une nouvelle manière de schématiser les fonctions au sein d’une CdP à partir d’un continuum circulaire entre la collaboration et le transfert de connaissances. Une telle proposition, qui doit être discutée, expérimentée et approfondie, pourrait apporter des pistes concrètes pour mieux concevoir, animer et soutenir les CdP, voire pour développer des outils numériques mieux adaptés.
Retombées de la recherche
Une version préliminaire des résultats de cette analyse a déjà alimenté la réflexion autour de la mise en place d’une nouvelle organisation responsable de porter les suites de la démarche Passerelles, un OBNL qui réunissait une centaine de membres organisationnels dès son démarrage en 2022.
Au moment de compléter la rédaction de ce mémoire, Projet collectif, dont la mission est « d’accélérer la transition vers une société plus juste, durable et équitable en facilitant la collaboration et la mobilisation des connaissances entre les personnes et les organisations qui travaillent au bien commun », travaille au déploiement de ses premiers programmes (le document original de conception de Projet collectif est disponible via ce lien).
L’organisation, co-fondée par Vincent Chapdelaine et Joël Nadeau et soutenue par une vaste équipe de collaborateur·trices, développe entre autres une capacité de soutien des CdP et à la documentation des pratiques, de même qu’un réseau d’aiguillage pour faciliter l’accès aux connaissances et aux expertises. Une refonte complète des outils numériques a eu lieu, inspirée en partie de l’analyse de besoins identifiés dans la première phase de Passerelles et des constats présentés dans ce mémoire. L’environnement numérique En commun a été mis en ligne en avril 2023.
Une articulation entre un outil de collaboration, Passerelles 2, et un outil de mise en commun des connaissances, Praxis, y est d’ailleurs développée, inspirée de l’essai de schématisation du continuum collaboration – transfert, présenté dans ce mémoire. Le cahier des charges de cette plateforme est partagé librement dans l’intention de démontrer une application concrète de ces réflexions et pour permettre au plus grand nombre de personnes de s’en inspirer pour d’éventuels développements complémentaires.
Inspiré par la littérature scientifique et par l’expérience des CdP sur Passerelles, une première version d’un guide sur l’animation est également en production.
L’élargissement de la portée de la démarche, un réseau plus structuré de soutien et une nouvelle génération d’outils numériques sont susceptibles d’accueillir un plus grand nombre de CdP et d’ouvrir davantage d’espaces de collaboration intersectorielle. Ainsi, il s’agirait d’un terrain fertile pour mener des recherches complémentaires à celle-ci, notamment pour poursuivre l’analyse des conditions de succès des CdP dans le champ de l’innovation sociale ainsi sur les nouvelles questions de recherche identifiées. Il serait intéressant d’y étudier notamment les possibilités découlant d’une animation stratégique au sein des intersections entre les CdP et des effets structurants liés à la création d’un répertoire commun de connaissances et de soutien à l’édition de savoirs ouverts.
Ceci va de pair avec un travail plus large sur les conditions favorisant la collaboration et le co-apprentissage, un projet vaste présentant de nombreux défis, mais ayant un grand potentiel. Un tel travail dépasse le mandat d’une seule organisation et devrait être porté par l’ensemble de l’écosystème.
Agir pour une société plus équitable et écologique
Dans un contexte d’urgence climatique et de potentielle multiplication des crises sociales, économiques, environnementales, énergétiques, alimentaires et sanitaires, il est important de renforcer les réseaux de soutien, de collaboration, de partage de connaissances et de co-apprentissage. Il est encourageant de voir qu’autant de groupes souhaitent aujourd’hui déployer et structurer de telles démarches.
Au-delà de l’expérimentation des projets de CdP, de mise en commun des connaissances et d’ouverture de nouvelles zones d’innovation radicale, nous apprenons à mieux travailler ensemble, à créer du sens, à nous reconnaître à travers des identités partagées et des récits communs, à guérir et grandir comme personnes, à faire émerger de nouveaux systèmes de valeurs, à donner une impulsion aux actions collectives concertées et à développer la résilience des milieux. Ceci nous invite à regarder les CdP non seulement comme des stratégies visant des résultats concrets, mais également comme des expérimentations collectives visant des transformations personnelles et collectives.
Créer et animer des réseaux de collaboration et de co-apprentissage permettent à la fois de répondre aux besoins immédiats des milieux, de repenser des modèles plus justes et équitables et de développer les capacités collectives nécessaires pour orienter les transformations systémiques en cours.