L’abonnement aux systèmes de paniers : une affaire de famille ?

L’agriculture soutenue par la communauté (ASC), impliquant un système de paniers alimentaires prépayés par les consommateurs et livrés sur une base régulière au cours d’une saison, a constitué une innovation dans le paysage des circuits courts alimentaires lorsque ce mode de distribution alimentaire s’est développé. Une des caractéristiques qui démarque les ASC des autres canaux de commercialisation en circuits courts est le partage des risques entre producteurs et consommateurs. Du fait de ses spécificités et de son caractère solidaire, l’abonnement à un panier ASC a été beaucoup étudié. Les motivations généralement identifiées chez les consommateurs renvoient au souci d’un approvisionnement local en produits alimentaires (souvent des fruits et légumes) frais et de qualité et au soutien à une agriculture de proximité. Cependant la plupart des études sur les consommateurs en ASC se concentrent sur les motivations et les enjeux pour l’abonné et négligent de prendre en compte l’ensemble du ménage. Pourtant la famille est bien connue pour être un haut lieu de décision, de négociation, d’influence et de transformation en matière d’alimentation.

Cette étude menée en Hongrie (où l’ASC reste encore marginale, malgré une croissance depuis quelques années) participe à combler ce fossé dans la recherche à travers une enquête qualitative adressant directement la question de l’influence de la relation de la personne abonnée avec son ou sa partenaire sur l’engagement en ASC. Parmi les 35 abonnés rencontrés, 31 sont en couple et la plupart sont des femmes (31) et sont abonnés depuis au moins deux ans (29) - contre 6 abonnés qui en sont à leur première année. L’analyse révèle trois types de rapports avec le conjoint ou la conjointe: il peut reposer sur la coopération, l’intégration ou le conflit en matière de cueillette des paniers, de planification des repas, de cuisine et de gestion du gaspillage alimentaire dans le cadre des ASC.

ASC et abonnement : Le rôle déterminant du conjoint ou de la conjointe

Les participants à l’étude reçoivent leur panier sur une base hebdomadaire. L’étude révèle que l’abonnement à un système de panier affecte les activités alimentaires, le rapport du couple avec l’alimentation et les relations au sein du couple ou de la famille. Cela vient notamment du fait que la quantité et même la composition exacte des paniers pour une semaine donnée ne peuvent être connues à l’avance. Les décisions relatives à « quoi préparer? » et même au « comment préparer ? » ne peuvent être donc prises qu’après réception du panier. La relation avec le conjoint ou la conjointe de la personne abonnée apparait alors décisive dans la perception positive ou négative de ces caractéristiques de l’ASC.

Dans le cas du couple coopératif, l’abonnement est celui du couple dans son ensemble. Les responsabilités relatives à la cueillette des paniers, à la cuisson, au stockage et à la réduction du gaspillage alimentaire sont partagées. Contrairement aux deux autres modèles où le conjoint ou la conjointe de la personne abonnée joue un rôle second (de support ou d’opposition), le couple assume ici solidairement le projet. Ensemble, les conjoints apprécient les bénéfices, affrontent les difficultés et partagent éventuellement la culpabilité liée au gaspillage alimentaire. La réalité est différente dans les deux autres types de relations au sein du couple. Dans le modèle de l’intégration, la personne qui est abonnée effectue les choix et tente d’influencer les goûts et les préférences de l’autre, sans vraiment rencontrer de résistance. Mais malgré ce soutien implicite, la responsabilité et la gestion des éventuelles contraintes reste avant tout les siennes. Cela peut se manifester dans ce qu’un participant a appelé la « pression de la quantité », à savoir le défi de valoriser tout le contenu du panier et d’éviter le gaspillage. Cette pression et le défi de s’adapter aux goûts de l’autre peuvent pousser jusqu’à ajouter des ingrédients à l’insu du partenaire ou à redoubler de créativité pour imaginer des activités (comme organiser une fête) afin d’épuiser les paniers.

A l’image de la relation intégratrice où la personne abonnée joue un rôle de leader, la relation conflictuelle renvoie également à des rôles définis et séparés. En revanche, elle est plus difficile à vivre et l’abonnement au système de paniers peut devenir source de tensions. Cela se traduit par exemple par la difficulté de trouver un compromis entre des préférences alimentaires divergentes au sein du couple (et parfois même de la famille dans son ensemble), par le refus de l’autre d’essayer de nouveaux produits ou de nouvelles recettes, ou même par la mise en opposition de la facilité d’une cuisine conventionnelle basée sur les épiceries avec celle basée sur le système de paniers. Les auteurs relatent que cela peut conduire à la duplication des activités culinaires (deux repas différents en parallèle, par exemple) ou même à l’abandon de l’ASC par la personne abonnée. Compte tenu de l’effet que ces relations peuvent avoir sur le renouvellement de l’abonnement ou le vécu des personnes abonnées, les auteurs suggèrent que la stratégie de communication dans les ASC en tienne compte, notamment en encourageant leurs abonnés à venir en compagnie de leur conjoint ou de leur conjointe aux séances d’information.

Les enseignements

Le paiement en avance, l’incertitude sur le contenu des paniers, la diversité potentiellement insuffisante de produits, en particulier durant la saison hivernale, ont fait l’objet de diverses interrogations concernant la pérennité du système ASC. Cette étude fait écho à d’autres travaux qui avaient souligné que les circuits courts pouvaient être source de conflits familiaux par le rallongement du temps de préparation des aliments. Cependant, elle montre qu’une diversité d’interactions plus coopératives ou conciliantes sont aussi à l’oeuvre au sein des familles et favorisent la réceptivité à ces initiatives. Finalement, cet article contribue à mettre en lumière comment, au-delà de l’espace public, le projet politique des ASC se négocie et se joue aussi dans la sphère privée, dans l’intimité même des familles concernées.

pdf N°9, fiche n°3 - février 2020 - mars 2020

Fiche n°3, Bulletin n°9 – février 2020 – mars 2020
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Ce bulletin vous est offert avec le soutien du Partenariat canadien pour l’agriculture.

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Bulletin de veille bibliographique sur l’agriculture de proximité
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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 26 octobre 2023 15:52
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Circuit court, Gaspillage alimentaire, Fiche

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Publication

1 février 2020

Modification

26 octobre 2023 17:29

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