Les facteurs territoriaux de la détresse en agriculture

Il est malheureusement connu depuis longtemps que les agriculteurs ont un taux de suicide supérieur à la moyenne dans de nombreux pays, y compris au Québec. Pour faire face à ce problème, les pouvoirs publics et les organisations professionnelles offrent diverses ressources souvent centrées sur de l’aide individuelle. Ainsi, au Québec, l’organisation Au coeur des familles agricoles offre des services d’aide en déployant notamment des travailleurs de rang sur tout le territoire.

Une nouvelle recherche interroge la validité de ces approches centrées sur l’individu et invite à regarder le problème sur le plan systémique. Les données d’une ligne d’assistance téléphonique, la Nebraska Rural Response qui existe depuis 1984 et des entrevues avec certains intervenants ont permis d’établir une relation forte entre la santé financière des fermes et la santé mentale des agriculteurs. Plus que le « besoin d’être écouté », ce sont les questions financières (faillite, successions, fiscalité, accès au crédit, etc.) qui sont les motifs d’appel les plus fréquents. Les troubles psychologiques qui en sont issus sont des troubles d’adaptation et des troubles dépressifs, qui peuvent survenir sans antécédents de troubles mentaux et s’estompent en général quelques mois après la disparition du facteur de stress. Toutefois, ce sont aussi parmi les troubles les plus susceptibles de conduire au suicide.

Pourtant, la réponse et les interventions offertes par la ligne d’assistance priorisent une approche centrée sur la santé mentale et la thérapie. Or, une analyse géospatiale plus approfondie réalisée par les auteurs de l’article a pu établir, en analysant la fréquence des appels par comté, une ceinture de crise de santé mentale autour de 12 comtés adjacents, dominés par l’élevage, dans la région des Sandhills. Cette région subit de plein fouet les effets économiques négatifs de l'industrialisation de l'agriculture, la flambée du prix des terres agricoles, la volatilité des prix et le pouvoir de marché des acteurs de l'aval. La survie des fermes familiales y est particulièrement difficile, dans un contexte de dévitalisation rurale et de restructuration économique. Pour les auteurs, ces résultats témoignent de l’existence de zones rurales sacrifiées et étayent leur hypothèse selon laquelle les ressources disponibles pour les agriculteurs en détresse, en ciblant les réponses individuelles des agriculteurs au stress, ne s'attaquent pas aux causes plus structurelles du phénomène.

Les enseignements

Cet article aborde une question de fond sur un sujet difficile. Il ne s’agit bien évidemment pas de remettre en cause le travail de proximité réalisé par les travailleurs de rang et toutes les personnes qui proposent un appui aux agriculteurs en détresse. Mais en nous proposant de décaler le regard que nous pouvons avoir sur la détresse agricole vers ses causes plus structurelles, les auteurs viennent rappeler que les approches individuelles de lutte contre ce phénomène renvoient en quelque sorte le problème sur la personne en difficulté, comme d’ailleurs cela est souvent fait sur des questions sociales comme le chômage ou l’endettement. Vivre dans une zone rurale sacrifiée est une source de stress social et économique. L’une des forces souvent relevée de l’agriculture de proximité est d’occuper le territoire et d’habiter les rangs. Le mérite de cet article est de nous rappeler que le développement de l’agriculture relève aussi de choix collectifs.

pdf N°25, fiche n°5 – janvier 2023 – mars 2023

Fiche n°5, Bulletin n°25 – janvier – mars 2023
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Cette veille bibliographique vous est offerte par le groupe de recherche Agriculture, territoires et développement de l’Université Laval avec le soutien du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec.

À retenir