Migrants et « blanchiment local » : le vrai coût de l'alimentation locale

La pandémie de COVID-19 a révélé les injustices du système alimentaire globalisé et conventionnel, en soulignant la vulnérabilité de ses travailleurs et sa dépendance aux travailleurs migrants, en Amérique du Nord comme en Europe. Cette recherche, menée en Nouvelle-Écosse, examine les conditions de travail dans les systèmes alimentaires locaux qui sont souvent considérés comme une alternative plus équitable. Les auteurs utilisent le concept de « local washing », qui pourrait être traduit par blanchiment local (comme dans éco-blanchiment), pour mettre en évidence les conditions de travail réelles dans ces systèmes, masquées par des discours politiques qui fétichisent l’approvisionnement local.

Le Programme des travailleurs agricoles saisonniers (PTAS) permet aux agriculteurs canadiens de faire venir des travailleurs étrangers (majoritairement du Mexique, du Guatemala et de la Jamaïque) pour une période allant jusqu'à huit mois. Ces travailleurs ne peuvent pas obtenir la résidence permanente, ce qui rend leur situation précaire, figée dans un statut de travailleur temporaire. En Nouvelle-Écosse, le gouvernement a fixé l'objectif d'augmenter de 20% la consommation de produits alimentaires locaux d'ici 2030. Mais les auteurs soutiennent que ces annonces masquent un manque de soutien réel aux systèmes alimentaires locaux et ignorent leur dépendance croissante aux travailleurs agricoles saisonniers. Malgré le faible pourcentage de travailleurs migrants en Nouvelle-Écosse par rapport à d'autres provinces comme l’Ontario et le Québec, leur nombre a considérablement augmenté récemment. Pourtant, la vulnérabilité de ces travailleurs qui oeuvrent sous un régime réglementaire spécial qui les prive de certaines protections est bien documentée. Bien que centraux, ces travailleurs apparaissent rarement dans les campagnes de promotion de l’achat local, ils sont invisibles. Loin de condamner les agriculteurs, les auteurs invitent à se questionner sur le sens d'une alimentation locale qui repose autant sur du travail importé, précaire et pénible et critiquent surtout l’État qui célèbre le localisme sans s’interroger sur ses conséquences.

Les enseignements

La dépendance aux travailleurs agricoles saisonniers et leur vulnérabilité sont des problèmes persistants pour lesquels trois solutions sont généralement proposées : une législation plus favorable, la recherche de gains de productivité par la technologie et l’automatisation et une transformation radicale du système alimentaire. Au Québec, le reportage « Essentiels » raconte sans fard la réalité vécue par ces travailleurs et des initiatives apparaissent, comme le projet Equiferme qui propose que soit créée une certification de travail éthique en agriculture. Cet article s'inscrit dans une série de travaux qui mettent en évidence les tensions inévitables entre les valeurs des fermes et des consommateurs en circuits courts et les relations sociales contradictoires qu’on peut y trouver. Ces tensions sont importantes lorsque l'on considère la centralité de la main-d'oeuvre migrante temporaire dans la production d’aliments locaux. Elles rappellent aussi les pressions permanentes mises sur les prix des produits alimentaires, imposant aux agriculteurs de constamment réduire leurs coûts, parfois au détriment de travailleurs étrangers saisonniers vulnérables, mais parfois aussi au détriment de leur propre bien-être.

pdf N°25, fiche n°1 – janvier 2023 – mars 2023

Fiche n°1, Bulletin n°25 – janvier – mars 2023
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Cette veille bibliographique vous est offerte par le groupe de recherche Agriculture, territoires et développement de l’Université Laval avec le soutien du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec.

À retenir