Relève agricole et systèmes alimentaires alternatifs


L’expression beginning farmers, désigne aux États-Unis, les agriculteurs débutants, soit ceux opérant depuis 10 ans ou moins. Il convient de souligner que cette définition n’écarte aucun groupe d’âge. Le retraité qui démarre une ferme sera ici considéré. C’est une différence importante avec la définition de la relève agricole qui au Québec est définie par l’âge (agriculteur ou agricultrice âgé/e de 18 à 39 ans).

Ce groupe des agriculteurs débutants apparaît différent de la moyenne des agriculteurs : il est plus jeune, plus instruit, plus divers ethniquement et les femmes y sont davantage représentées. Comme ailleurs, l’établissement en agriculture fait face à divers obstacles en matière d’accès à la terre, au capital et au crédit. L’établissement dans des systèmes alternatifs permet de démarrer avec moins de terre et de capital, mais d’autres défis surgissent : compétition avec le système alimentaire conventionnel, plus forte intensité de main-d'oeuvre et travail plus exigeant.

Classiquement, la littérature tend à distinguer les agriculteurs reprenant une ferme familiale, de ceux qui commencent l’agriculture sans avoir d’attache agricole familiale, ce qu’au Québec on appelle la « relève apparentée » et « la relève non apparentée ». Ces deux types sont confondus dans la notion d’agriculteur débutant.

Pour la relève apparentée, la métaphore de l’échelle a souvent été utilisée pour illustrer une série d’étapes à franchir. Cette relève suit, au sein de la ferme familiale, un processus de socialisation et d’acquisition du capital et du savoir nécessaire. Il est généralement admis que ce processus facilite l’établissement en agriculture.

Ce processus n’existe généralement pas dans le cas d’un établissement dit « non apparenté ». Il peut aussi avoir été interrompu lorsque le fils ou la fille de la famille a choisi un autre métier, ou un autre lieu de résidence. Cette recherche a donc cherché à documenter, au moyen d’entrevues, le parcours d’établissement de 30 agriculteurs débutants situés dans l’État de l’Ohio et s’installant dans des systèmes alternatifs.

Les résultats

Trois parcours d’établissement dans ces systèmes alimentaires sont décrits et mobilisés pour analyser les résultats : l’établissement de néo agriculteurs (souvent appelés « hors cadre familial » dans la littérature francophone), le retour à la ferme familiale après un détour à l’extérieur de l’agriculture et la reprise directe de la ferme familiale. Cette typologie se base sur la motivation, l’expérience agricole, les réseaux de socialisation, le mode d’accès à la terre et les stratégies adoptées pour pérenniser la ferme.

L’établissement de néo agriculteurs

Pour les néo agriculteurs, l’attrait du style de vie agricole, les préoccupations pour la santé, le bien-être et l’amélioration du système alimentaire sont les principales motivations. Leur expérience agricole leur vient de stages ou d’emplois sur d’autres fermes. Pour accéder à la terre, ils puisent dans leurs revenus personnels non agricoles. Le recours aux circuits courts, l’agrotourisme, des revenus hors-ferme, la recherche de subventions, ainsi que la mise à profit de leur niveau d’instruction pour offrir des formations et autres services payants, font partie des éléments mobilisés pour réussir. Ainsi, l’une des fermes enquêtées gagnait 40% de son revenu en animant des ateliers sur l’environnement et en vendant divers supports et services. Le recours à des stagiaires est aussi un moyen de réduire le coût de la main-d’oeuvre. L’accompagnement et le réseautage offert par divers organismes peuvent revêtir une importance cruciale pour les agriculteurs inexpérimentés.

Le retour à la ferme

Le profil des agriculteurs de ce parcours ressemble beaucoup à celui des néo agriculteurs : mêmes motivations, mêmes expériences hors de l’agriculture, mêmes possibilités de s’appuyer sur des revenus hors ferme. Ils s’en distinguent toutefois par le fait qu’ils ont accès à la terre par un héritage familial et qu’ils détiennent une certaine expérience agricole. Une pratique mise en évidence chez ces agriculteurs est la location d’une portion du terrain hérité à d’autres agriculteurs comme source de revenu. Comme les néo agriculteurs, ces agriculteurs insistent sur les difficultés rencontrées pour assurer la viabilité financière de leur ferme et la faire fonctionner de façon autonome.

L’héritage familial

Ici, la pluriactivité observée dans les deux autres parcours d’installation laisse place à un travail agricole à temps plein. Ces agriculteurs font également davantage appel à de travail salarié sur la ferme. La métaphore classique de l’échelle des étapes à franchir au sein même de la ferme familiale jusqu’au plein contrôle semble mieux correspondre à ce parcours. Ces agriculteurs expérimentés ont grandi et sont restés sur la ferme familiale. Les circuits courts occupent moins de place dans leurs choix de commercialisation. Dans l’enquête, tous les participants de cette catégorie ont effectué une transition vers la production biologique. Leurs motivations sont centrées sur la recherche de pratiques plus écologiques et la viabilité financière.

Les enseignements

Cet article rappelle toute la complexité de désigner la variété des trajectoires possibles pour s’établir en agriculture. En montrant la proximité entre des néo agriculteurs et d’autres qui reviennent sur le tard reprendre la ferme familiale, l’auteure fait éclater la catégorie de la « relève apparentée ». En faisant le lien entre réseaux alternatifs et établissements en agriculture, elle invite aussi les observateurs de la démographie agricole à s’intéresser aux voies choisies pour pratiquer l’agriculture et pas seulement aux indicateurs classiques tels que productions, surfaces et capital. Il est depuis longtemps postulé que le projet social et politique associé aux systèmes alimentaires alternatifs attire de nouvelles vocations. Il semble important de se donner les moyens aujourd’hui de le documenter, au Québec comme ailleurs.

pdf N°6, fiche n°1 - août 2019 - septembre 2019

Fiche n°1, Bulletin n°6 – août 2019 – septembre 2019
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Ce bulletin vous est offert avec le soutien du Partenariat canadien pour l’agriculture.

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 5 novembre 2023 12:06
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Circuit court, Environnement, Biologique, Relève, Fiche

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Publication

1 août 2019

Modification

5 novembre 2023 18:20

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