Les paniers tiennent-ils leurs promesses ? Les moyens de subsistance des producteurs en ASC


Le Massachussetts est connu pour son support à l’agriculture locale et aux circuits courts. Il a vu naitre en 1986 l’une des premières initiatives d’ASC aux É-U. Depuis, les ASC se sont multipliées dans tout le pays (6200 fermes en 2014 selon les auteurs).
Les initiatives d’ASC, en dépit de leur diversité, présentent un modèle typique où les consommateurs prennent (et paient en avance) un abonnement avant le début de la saison et reçoivent ensuite une part de la production à un rythme régulier pendant les récoltes. Ce sont les fameux « paniers ». Si de nombreuses recherches ont montré les vertus sociales et écologiques de ces systèmes de distribution en circuits courts, la question des revenus que procure la vente de paniers aux agriculteurs commercialisant en ASC reste encore peu documentée. Le principe de soutenir les agriculteurs locaux est pourtant au coeur du projet de l’agriculture soutenue par la communauté.

Cette recherche qualitative menée dans trois comtés de l’ouest du Massachusetts repose sur un corpus qualitatif de 16 entrevues datant de 2014, de questionnaires complétés par les agriculteurs rencontrés et de données secondaires collectées. Le soutien économique apporté aux producteurs est étudié autour de quatre dimensions : l’accès au foncier, le financement du besoin en fonds de roulement, un revenu stable et adéquat, et une bonne couverture des risques. Ces quatre dimensions sont présentées successivement ci-dessous.

Les résultats

1/ L’accès au foncier

Les problèmes d’accès à la terre constituent un obstacle majeur pour la relève agricole. Comme ailleurs, le foncier disponible dans le Massachussetts sert majoritairement à la consolidation des grandes fermes et cette concentration est soutenue par les politiques gouvernementales.

Dans la région sous étude, 80% des agriculteurs en ASC sont propriétaires de tout ou partie des terres qu’ils exploitent, ce qui correspond à la moyenne nationale. Mais les agriculteurs interviewés ont souligné d’une part le frein que constitue le prix des terres au développement de leur ferme et d’autre part l’insécurité dans laquelle ils se trouvent sur la partie des terres en location. Malgré deux exemples de foncier cofinancé par les agriculteurs et les membres de leur ASC dans un cas ou financé par une ONG environnementale dans l’autre, le problème des terres hors de prix demeure et l’appartenance à une ASC n’a pas permis, dans la plupart des cas, de le contourner. Les auteurs soulignent toutefois que les deux exemples de soutien observés, montrent que l’ASC aurait le potentiel de soutenir l’accès au foncier des agriculteurs à travers un financement participatif ou des partenariats locaux.

2/ Le financement du besoin en fonds de roulement

La longueur du cycle de production en agriculture entraîne un décalage entre le moment où se font les dépenses d’intrants liés à la production et la vente des produits. Cela amène nombre de fermes à recourir au crédit bancaire court terme pour financer leur besoin en fonds de roulement. Pour les fermes en ASC, le paiement anticipé des consommateurs avant le début de la saison réduit à la fois leur dépendance vis-à-vis de ce type de crédit bancaire et le stress qui l’accompagne. C’est là un impact positif de l’ASC reconnu de façon unanime par les participants. Ce financement anticipé facilite aussi l’établissement de nouvelles petites fermes.

3/ Un revenu garanti, mais insuffisant

Malgré une forte diversité (des revenus bruts allant de 8 500 à 300 000 $ US), la plupart des agriculteurs rencontrés estiment que le revenu qu’ils tirent de l’agriculture soutenue par la communauté est insuffisant pour rémunérer de façon juste le temps et les efforts fournis. La moyenne des revenus nets des fermes enquêtées se situait à 12 000 $US. Ce chiffre est paradoxal. Il est à la fois insuffisant pour fournir un revenu correct à une famille aux États-Unis, mais se trouve pourtant largement au-dessus des revenus nets moyens trouvés dans d’autres études portant sur l’ASC. Les participants soulignent que le prix des paniers, sous l’effet de la concurrence, a tendance à baisser. D’autres types de bénéfices non monétaires (satisfaction de produire des aliments sains, de nourrir la communauté, l’autonomie permise par ce circuit court, etc.) sont toutefois perçus par ces agriculteurs. De plus, ce revenu est stable pour la saison grâce au paiement anticipé des consommateurs.

4/ Le partage limité du risque

Les agriculteurs rencontrés reconnaissent que le paiement en avance des consommateurs implique que ces derniers assument une part des risques liés à l’activité. Mais ils soulignent aussi que ce partage de risques reste un partage à court terme. La réadhésion des membres peut être compromise après une mauvaise saison et les agriculteurs rencontrés préfèrent miser sur d’autres stratégies comme la diversification pour atténuer les risques inhérents à l’activité agricole.

Les enseignements

Cette recherche vient confirmer que le projet social de l’ASC reposant sur un revenu garanti et décent pour les agriculteurs reste un défi permanent. Certes, l’ASC réduit les incertitudes sur les ventes et la dépendance des fermes au crédit bancaire. Mais elle peine à fournir un revenu adéquat aux agriculteurs et cette recherche témoigne d’un écart entre les promesses de ce modèle et la réalité. Plusieurs explications peuvent être apportées à cet écart. Pour certains auteurs, ce sont les principes mêmes de l’ASC qui se sont érodés et l’ASC ne serait plus un mouvement social, mais un simple mode de commercialisation. Pour d’autres, le déséquilibre vient du soutien public qui favorise les grandes fermes dans les productions standard et ne tient pas assez compte des externalités positives produites par l’ASC. Pour d’autres encore, le modèle lui-même impliquant une grande diversification des productions et des activités souffre d’un problème récurrent de productivité du travail. Un débat loin d’être épuisé et que nous retrouverons probablement dans de futurs bulletins.

pdf N°3, fiche n°4 - février 2019 - mars 2019

Fiche n°4, Bulletin n°3 – février 2019 – mars 2019
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Ce bulletin vous est offert avec le soutien du Partenariat canadien pour l’agriculture.

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Bulletin de veille bibliographique sur l’agriculture de proximité
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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 8 novembre 2023 17:51
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Circuit court, Relève, Financement, Fiche

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Publication

1 février 2019

Modification

9 novembre 2023 08:36

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