Rendre les circuits courts alimentaires plus inclusifs

Les circuits courts sont souvent présentés comme contribuant aux trois dimensions (économique, sociale, environnementale) de systèmes alimentaires plus durables, même si cette durabilité supposée est souvent confrontée à diverses contradictions : idéalisation problématique des vertus du local; manque d’attention accordée aux relations de travail ou aux rapports de force; faible vérification empirique des impacts associés aux circuits courts; etc. D’autant que les acteurs des circuits conventionnels s’approprient aussi les valeurs traditionnellement associées aux circuits courts.

L’un des problèmes souvent évoqués par les chercheurs concerne la question de l’ouverture sociale des circuits courts à des publics plus précaires. Malgré des valeurs affirmées d’équité, de justice et d’inclusion, les circuits courts restent encore des niches bénéficiant d’abord à des consommateurs blancs, instruits, de classe moyenne ou aisée. Pour divers chercheurs, la notion de participation est au centre de ce problème d’accessibilité et desservir des communautés diversifiées sans nuire à la viabilité économique des circuits courts reste le principal défi. Dans ce cadre, la diversité sociale est vue comme une ressource et le processus qui mène à sa reconnaissance et sa participation est appelé inclusion sociale.

C’est le rôle que cette participation peut jouer pour favoriser un alignement entre les valeurs de justice et de diversité que les auteurs ont voulu explorer. Ils ont ainsi étudié le cas d’une coopérative de consommateurs de plus de 2000 membres à Bruxelles. Cette organisation fonctionne depuis 2017 et a dès sa naissance placé l’inclusion sociale comme un objectif à atteindre, d’autant qu’elle est située dans une communauté très hétérogène. Les auteurs ont eu recours à de l’observation participante et à des entrevues au sein d’un comité créé par la coopérative pour s’assurer de son ouverture, notamment en invitant, en partenariat avec d’autres organismes à vocation sociale, les gens de la communauté à participer à des activités organisées par la coopérative.

L’égalité, en théorie et en pratique

Les cinq valeurs centrales de la coopérative de consommateurs étudiée (durabilité, participation, coopération, transparence, solidarité) l’ont poussée à promouvoir l’achat local et à prioriser l’offre de produits bio ou éthiques (80% des produits). Elle a aussi mis en place un comité spécial pour la diversité et élaboré des stratégies pour réduire son coût de fonctionnement (notamment en misant sur le travail bénévole obligatoire des membres) afin d’offrir des prix plus abordables. L’analyse a révélé qu’en ce qui concerne l’inclusion sociale, les justifications de son importance varient chez les membres de la coop. Ainsi, certains valorisent d’abord la nécessité de se distinguer du système alimentaire conventionnel, alors que d’autres mettent plus l’accent sur le mouvement coopératif, la solidarité, les relations sociales, l’accès ou la durabilité. Mais les auteurs estiment que cette diversité de points de vue se situe dans un répertoire de valeurs qui peut se ramener au concept fondamental d’égalité entre les membres quel que soit le nombre de parts sociales détenues.

La coopérative offre un statut de visiteur à l’essai (possibilité d’acheter pendant un mois sans être membre). L’enjeu est bien entendu de fidéliser ces usagers temporaires pour qu’ils deviennent membres, quelle que soit leur appartenance culturelle ou leur profil socioéconomique. Si les valeurs mises en avant par la coopérative comptent dans le choix d’adhérer, l’adhésion reste néanmoins souvent tributaire de l’évaluation du rapport qualité-prix. La coopérative a donc fait des efforts pour baisser ses prix : travail bénévole obligatoire pour tous les membres, pas de ristournes, et pas de dépenses publicitaires. Ces choix drastiques ont permis de garder les prix bas et les visiteurs trouvent en effet que les prix de la coop sont compétitifs par rapport aux autres petits commerces alimentaires. Il n’en demeure pas moins que des alternatives moins coûteuses existent, notamment dans les grandes chaines de la région. Et les participants ne trouvaient pas toujours que les valeurs ou la qualité justifiaient de payer un prix plus élevé, ce qui souligne la contradiction qu’il peut y avoir entre prix accessible pour les consommateurs et juste prix pour les producteurs, d’autant que l’offre est souvent biologique. Enfin, se pose aussi un problème de diversité des produits offerts. La coopérative offre près de 2000 produits, pourtant certains groupes ethniques (asiatiques ou africains) regrettent de ne pas y retrouver les produits avec lesquels ils sont familiers.

Mais c’est surtout du côté du travail bénévole obligatoire des membres (2h45 min par personne par mois) que le modèle participatif et le principe d’égalité montrent leurs limites. Certes, cela permet de réduire les coûts de fonctionnement de la coop et tous les membres sont traités de la même façon quel que soit leur statut et le nombre de parts possédées. Mais paradoxalement, cette obligation défavorise la participation de certains publics plus marginalisés qui ont des contraintes de temps (par exemple des mères seules avec leurs enfants), qui éprouvent de l’anxiété concernant les compétences nécessaires, ou encore qui appréhendent (pour certaines minorités ethniques) de devoir affronter des interactions en français avec les autres membres de la coopérative.

Les enseignements

Le modèle de coopérative dont il est question dans cet article se développe de plus en plus. Son ancêtre est la célèbre Park Slope Food Coop à New York, important supermarché coopératif de plus de 16 000 membres. D’autres se sont créés un peu partout et les recherches à leur sujet se multiplient. Toutes ces initiatives affichent des valeurs d’autonomie et d’inclusion et défendent un projet qui soit à la fois économique, social et politique. Même si à l’instar de la coopérative décrite ici, ce projet n’est pas à l’abri de diverses tensions qui mettent durement à l’épreuve la compatibilité entre les valeurs défendues, leur retour pérenne dans le paysage de la distribution alimentaire témoigne du fait qu’il est possible de s’inspirer des coopératives de consommateurs du 19ème siècle pour créer de nouvelles formes de magasins alimentaires tournés vers la proximité entre les membres et leurs fournisseurs et fondés sur la solidarité et l’égalité. Parle-t-on alors encore de circuits courts ? La volonté d’élargir la gamme des produits offerts aux membres, ainsi que la croissance en taille de ces supermarchés coopératifs posent aussi d’importants défis aux agriculteurs qui souhaiteraient les approvisionner directement.

pdf N°11, fiche n°2 - juin 2020 - juillet 2020

Fiche n°2, Bulletin n°11 – juin 2020 – juillet 2020
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 24 octobre 2023 17:55
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Circuit court, Biologique, Fiche

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Publication

1 juin 2020

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10 novembre 2023 11:23

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