Des normes sanitaires adaptées aux circuits courts. L’exemple de la Lituanie


Support des circuits courts en Lituanie : un virage à 180 degrés ?

L’Union Européenne (UE) existe sous ce nom depuis 1992-1993, mais la création de la communauté européenne date de 1957, avec 6 pays fondateurs : l’Allemagne, la Belgique, la France, l'Italie, le Luxembourg et les Pays-Bas). L’un des élargissements les plus récents a concerné l’adhésion de 10 pays (dont la Lituanie) en 2004, majoritairement issus de l’Europe de l’Est. L’histoire politique et agricole de ces nouveaux membres est évidemment très différente, ce sont d’anciennes républiques membres de l’Union soviétique, le secteur agricole a souvent été administré dans de grandes fermes d’État, mais dans plusieurs de ces pays, un réseau dense de petites fermes a néanmoins survécu. Plusieurs chercheurs ont été amenés, à travers le concept d’européanisation, à questionner l’impact de l’intégration européenne sur ces nouveaux membres.

L’adhésion à l’UE a ainsi conduit la Lituanie à s’aligner sur les normes européennes plus contraignantes en matière d’hygiène et de sécurité des produits alimentaires. Ces normes européennes ont été adoptées comme réponse aux crises sanitaires des années 1990 (notamment, la crise de la « vache folle »). Cette réglementation, flexible, prévoyait la possibilité d’exceptions pour la vente en circuits courts et pour la protection des traditions alimentaires locales. Cependant, les nouveaux membres, y compris la Lituanie jusqu’à 2008, ont généralement opté pour une application stricte et systématique de ces règles sanitaires. A travers le cas de la Lituanie, l’article analyse les interactions dynamiques entre les différentes échelles de gouvernance (considérées comme des constructions sociales et non comme des niveaux naturellement fixés ou hiérarchiques). Il souligne l’intérêt de prendre en compte la position historique, spatiale et sociale du pays pour comprendre l’évolution des visions (modernisatrice, traditionnelle) de l’agriculture.

Lituanie : entre européanisation de l’agriculture et contestation

Pour la Lituanie, l’intégration européenne a permis d’avoir accès à de nouvelles ressources financières, qui ont contribué à stimuler son économie et notamment son agriculture. Ainsi, la production a augmenté. Cependant, les exportations vers les pays d’Europe occidentale sont restés marginales. Elles se sont en revanche renforcées avec les autres membres de l’Europe de l’est et avec la Russie qui était historiquement un important partenaire commercial.

L’adhésion à l’Union Européenne a par ailleurs généré de nouveaux coûts (énergie, intrants, terres agricoles) ou problèmes (déclin du nombre de fermes et émigration de la main-d’oeuvre agricole). Parmi ces problèmes, des tensions entre les agriculteurs en circuits courts et les autorités sont apparues au sujet de l’obligation de respecter les nouvelles règles sanitaires. Des visites dans les autres pays d’Europe ont nourri la conviction que les autorités lituaniennes exigeaient plus que ce qui était attendu ou pratiqué ailleurs (par exemple, en production biologique) et n’exploitaient pas les marges de manoeuvres permises pour les circuits courts. Des réseaux informels se sont donc multipliés pour écouler les produits et se soustraire à des règles sanitaires jugées inadaptées. Plusieurs agriculteurs interprétèrent le manque de flexibilité perçu dans la politique alimentaire de la Lituanie comme un excès de zèle : le gouvernement voulait faire ses preuves face au reste de l’Europe et contrer la perception de retard associée à son économie. Ce serait donc, selon les auteurs, à la fois la position socio spatiale de ce pays et la légitimité des échelles supranationales dans la définition des politiques internes, qui furent au coeur de ces tensions.

L’exemple du secteur laitier montre comment l’européanisation des politiques alimentaires a été contestée au point d’amener plusieurs ajustements. Au lendemain de l’intégration européenne, le secteur laitier lituanien était caractérisé par la domination de transformateurs peu nombreux et suffisamment forts pour imposer leur prix et par une production de plus en plus concentrée marginalisant les petits producteurs. À partir de 2008, avec la croissance de la production, une crise laitière est survenue, marquée par une baisse systématique des prix agricoles au point que plusieurs grandes fermes laitières ont dû se tourner vers les circuits courts à la recherche d’autres débouchés et de meilleurs prix. Des manifestations, soutenues par les consommateurs et des initiatives de producteurs allant jusqu’à une distribution gratuite de produits laitiers, ont poussé le gouvernement à ajuster les règles sanitaires. L’évolution du contexte (crise financière, austérité, embargo russe) a achevé de rendre les systèmes alimentaires alternatifs plus alléchants. Cela a encouragé le gouvernement à relâcher encore plus les règles sanitaires en faveur de ces systèmes, remplaçant ainsi le discours lié à l’intégration à des échelles globales et européennes par un discours revalorisant le rapport aux échelles nationales et locales.

Les enseignements

Cet article fait écho à de nombreux travaux questionnant la neutralité apparente des normes publiques d’hygiène et de sécurité des produits alimentaires. Ces normes favorisent la concentration de la production, parce que, par le jeu des économies d’échelle, elles sont moins coûteuses pour les grandes entreprises. Si leur pertinence ne semble pas discutable, leur manque de flexibilité par rapport aux réalités des circuits courts, est avancé comme un frein. D’autres mécanismes de contrôle de qualité, de traçabilité, permis par le rapprochement entre consommateurs et producteurs, seraient à l’oeuvre dans le cadre plus intime des circuits courts, de sorte que les standards conçus pour la production industrielle paraissent trop stricts ou inadaptés.

pdf N°8, fiche n°4 - décembre 2019 - janvier 2020

Fiche n°4, Bulletin n°8 – décembre 2019 – janvier 2020
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 27 octobre 2023 11:45
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Circuit court, Biologique, Fiche

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Publication

1 décembre 2019

Modification

13 novembre 2023 13:52

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