Les « food hubs » au service de la sécurité alimentaire ?

Encore peu explorés dans la littérature francophone, les food hubs ont émergé dans les années 1970 aux États-Unis. Les auteurs de cet article les définissent comme des organisations intermédiaires qui gèrent l’agrégation, la distribution et la commercialisation de produits alimentaires provenant d’agriculteurs locaux, afin de renforcer leur capacité à satisfaire la demande venant des grossistes, des magasins de détail et des institutions. Concrètement, les food hubs disposent souvent d’infrastructures de stockage et de conditionnement. Ils assurent aussi des services logistiques. Ils se donnent pour vocation d’accroître les débouchés pour les producteurs locaux et de faciliter l’accès aux produits issus de l’agriculture de proximité. Les food hubs se distinguent enfin de la distribution classique dans le sens où ils revendiquent un projet social. La plupart sont des coopératives détenues par les producteurs ou par les salariés. Il y aurait plus de 400 food hubs aux États-Unis, dont 11 à Hawaï.

À Hawaï, le plus ancien food hub est âgé de 27 ans, mais la plupart ont été créés dans les cinq dernières années. Avant la pandémie, ils vendaient directement au consommateur à des degrés divers (de 20% à 90% de leurs ventes totales), mais en moyenne, 70% des ventes des food hubs étaient destinées à des ventes indirectes : restaurants, épiceries et institutions. Les résultats présentés dans cet article prennent leurs racines dans une recherche-action conduite par les auteurs en partenariat avec les food hubs hawaïens depuis 2017, l’un des auteurs ayant participé à la constitution d’une union politique des food hubs de l’archipel. Ils s’appuient donc sur les connaissances issues de ces années de partenariat et sur les résultats de deux enquêtes conduites respectivement en 2019 et en septembre 2020 auprès des responsables des 11 food hubs. Ces enquêtes fournissent un portrait qualitatif et quantitatif assez exhaustif concernant les activités des food hubs avant et pendant la pandémie.

Une agriculture postcoloniale qui renoue avec sa population

Autosuffisant avant l’arrivée du capitaine Cook en 1778, Hawaï a rapidement vu une agriculture de rente destinée à l’exportation, en particulier le sucre et l’ananas, se développer avec la colonisation. Ce modèle a décliné dans les années 1970 et des terres ont été redistribuées, avec l’objectif affirmé de recréer une agriculture plus diversifiée et axée sur de petites fermes (faisant rarement plus de 20 hectares). En 2017, à Hawaï les ventes de produits alimentaires locaux représentaient 27% des ventes de produits agricoles (3% aux États-Unis) et 33% des agriculteurs y participaient (7.8% aux États-Unis). Malgré ces efforts, Hawaï reste encore dépendant de ses importations alimentaires à plus de 85 %.

Dans cet État très touristique, la COVID-19 a créé un choc économique énorme. Les recettes touristiques se sont effondrées et avec elles la demande alimentaire des restaurants et des hôtels. Pour certains food hubs, plus spécialisés dans les ventes aux restaurants, les ventes se sont arrêtées d’un seul coup à la mi-mars 2020. D’autres ont soudainement pris conscience de leur dépendance à quelques gros clients. Pour les agriculteurs, surtout ceux qui approvisionnaient les restaurants, le choc a également été brutal et ils se sont massivement tournés vers les food hubs - qui ont du jour au lendemain gagné en popularité - pour écouler les surplus. À l’échelle de l’archipel, le nombre d’agriculteurs s’appuyant sur les food hubs pour vendre leurs produits est passé au cours du printemps 2020, de 664 à 900. Parallèlement, beaucoup de consommateurs se tournaient vers les circuits courts, notamment vers les systèmes de paniers qu’ils voyaient comme une alternative aux épiceries. Les food hubs ont dû s’adapter et innover sur bien des aspects (collaboration entre food hubs, paniers plus flexibles, etc.).

Pour tous, la première leçon de la crise a été de diversifier les débouchés. Les food hubs ont notamment développé des services de livraisons à domicile, des paniers ASC, des marchés fermiers virtuels, qui ont rencontré une forte demande. Entre mars 2020 et juin 2020, les revenus des 11 food hubs ont triplé, passant de 3,2 à 9,7 millions de dollars. Dans le même temps, le nombre d’employés dans les food hubs a plus que doublé. La clientèle est très diversifiée. Du fait de leur projet social, les food hubs sont investis dans les programmes visant à améliorer la santé et l'accès à l’alimentation dans leurs communautés. Attentifs aux problèmes spécifiques de ces populations plus marginalisées, ils ont servi de relais aux autorités sanitaires pour apporter de l’information. Grâce à des dons de la communauté, ils ont pu aussi fournir gratuitement des ménages en attente de leurs bons alimentaires. Cet afflux de demandes, s’est enfin traduit par une transformation des approvisionnements, il a fallu ajouter plus de produits de base et de produits transformés à l’offre classique constituée plutôt de produits de qualité.

Pour les auteurs, la réactivité dont ont fait preuve les food hubs est la preuve de leur grand potentiel. Ils ont su à la fois élargir leur offre, inventer de nouveaux modes de distribution, répondre tant aux besoins des agriculteurs qui devaient écouler des surplus, qu’aux besoins des familles en situation d’insécurité alimentaire. Mais comme dans d’autres contextes, ils s’interrogent en conclusion sur la pérennité de cette demande qui a explosé pendant la pandémie.

Les enseignements

L’intérêt de l’expérience hawaïenne est double. D’une part, elle montre qu’à côté de la vente directe, peut exister une distribution coopérative et communautaire qui renforce à la fois la résilience des fermes en diversifiant leurs débouchés et celle du système alimentaire local dans son ensemble. D’autre part, elle rappelle toute la place que peuvent prendre des infrastructures régionales dans l’appui à la production et à la commercialisation des produits locaux. On peut penser aux abattoirs bien entendu, mais aussi à des plateformes offrant aux producteurs locaux des espaces mutualisés pour stocker, conditionner, transformer et distribuer leurs produits. Les petites quantités individuelles produites par chaque ferme en circuits courts ont souvent été identifiées comme des freins à un élargissement des débouchés. Cet article témoigne du potentiel des food hubs pour venir compléter la palette des outils disponibles pour toucher tous les consommateurs.

pdf N°16, fiche n°1 - avril 2021 - mai 2021

Fiche n°1, Bulletin n°16 – avril 2021 – mai 2021
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 17 octobre 2023 09:14
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1 avril 2021

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10 novembre 2023 09:21

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