Le rôle des valeurs civiques et environnementales dans la participation des agriculteurs aux circuits courts

L’alimentation locale s’est imposée comme une tendance forte au cours des deux dernières décennies. Aujourd’hui, aux États-Unis, c’est un marché très diversifié, de plus 8,7 milliards de dollars et impliquant 167 000 fermes dont 60 000 utilisent des circuits courts indirects. Le concept d’encastrement a beaucoup été utilisé pour souligner la double reconnexion (sociale et environnementale) permise par ces circuits. Les auteurs de cet article font toutefois la distinction entre ces relations telles qu’on les observe et les valeurs personnelles et subjectives qui les sous-tendent, à savoir à quel point les participants se reconnaissent dans des valeurs communautaires (ce que les auteurs appellent « encastrement civique ») ou dans des valeurs environnementales (« encastrement écologique »). Leur hypothèse est que certains types de circuits courts sont plus favorables à une forme d’encastrement qu’à une autre. À ces deux ensembles de valeurs s’ajoute l’opposition classique (mais relative) entre circuits courts et agriculture productiviste. Les chercheurs ont voulu savoir comment ces trois valeurs (souci du bien-être de la communauté, de l’environnement et rapport avec l’idéologie productiviste) influencent ou pas le choix de participer à différents types de circuits courts.

Cette question des valeurs en circuits courts n’est pas nouvelle. Cet article est dans le prolongement d’un ensemble de résultats empiriques - à géométrie variable - précisant les spécificités des circuits courts et du profil des agriculteurs qui y participent. Ici, l’originalité est à trouver dans le type de traitement quantitatif utilisé, en rupture avec les recherches qualitatives qui dominent cette littérature, et dans le fait que la population d’enquête était composée d’agriculteurs commercialisant dans tous types de circuits, courts et longs. Au total, un échantillon aléatoire de 698 producteurs de fruits et légumes dans les États du Michigan et de l’Ohio a été interrogé et divers modèles économétriques appliqués pour identifier les relations apparentes entre valeurs et circuits de commercialisation.

Communauté, écologie et productivisme

Les auteurs ont réalisé deux séries d’analyses pour tester l’influence des valeurs relevant de l’encastrement civique (préoccupation pour le bien-être de la communauté), de l’encastrement écologique (par exemple, volonté de limiter l’usage des pesticides) et de l’idéologie productiviste (accent mis sur le rendement et les profits élevés), sur la participation à divers types de circuits courts. Les résultats indiquent que des préoccupations communautaires (encastrement civique) plus développées sont associées à une plus grande probabilité d’intégrer un système de panier, de recourir à la vente aux institutions (écoles, hôpitaux, etc.) ou aux collectifs (food hubs, coops). En revanche, aucune relation n’a été trouvée dans le cas des marchés fermiers ou de la vente à la ferme. Les auteurs expliquent l’absence d’influence des valeurs civiques sur le choix de vendre à la ferme ou dans les marchés fermiers par le fait que les agriculteurs choisissent ces circuits à des fins économiques plutôt que dans le but de contribuer au bien-être de leur communauté. C’est un peu différent de la fierté affichée, par exemple, par ceux qui approvisionnent les écoles ou les systèmes de paniers et voient leur démarche comme une valeur ajoutée pour la santé des jeunes et pour la communauté. Par ailleurs, les agriculteurs plus soucieux de leur communauté pourraient aussi développer plus facilement le capital social nécessaire pour se lancer dans un système de panier ou établir des relations avec les institutions locales comme les écoles ou les hôpitaux.

En ce qui concerne les valeurs écologiques, les auteurs n’ont trouvé aucune influence significative d’une conscience écologique accrue sur le fait de participer à l’un ou l’autre des types de circuits courts retenus (sauf -bizarrement- pour la vente à de petites épiceries indépendantes). Cela n’est pas très surprenant, car la littérature offre une réponse mitigée sur le lien entre valeurs écologiques et participation aux circuits courts. Il y a certes des études de cas éloquentes sur l’importance accordée à la préservation de l’environnement, mais d’autres études ont trouvé que ce discours était rarement celui mis en avant par la majorité des agriculteurs en circuits courts. En revanche, l’adhésion à une vision productiviste de l’agriculture a une influence forte et négative sur le choix de participer à presque tous les types de circuits courts (sauf la vente aux institutions). Si cette façon de penser l’agriculture est si peu associée aux circuits courts, c’est sans doute parce que ce mode de commercialisation est mal adapté à des agriculteurs motivés d’abord par le rendement et la profitabilité et souvent spécialisés. Mais ce résultat révèle tout de même que la thèse d’un profil pro-environnement pour les agriculteurs en circuits courts ne doit être totalement abandonnée. En rejetant le productivisme dont les effets néfastes pour l’environnement sont bien établis, il est possible que les circuits courts ouvrent la voie à une agriculture plus durable, et ce malgré l’absence d’influence des valeurs écologiques sur le choix de participer en circuits courts. Ce qu’il faut éviter, selon les auteurs, c’est de prêter automatiquement et a priori un projet agroenvironnemental à tout agriculteur en circuits courts.

Les enseignements

L’intérêt majeur de cet article est de proposer une segmentation des circuits courts en fonction des valeurs civiques qui animent les agriculteurs. Les auteurs montrent clairement que l'engagement communautaire est une priorité relativement importante pour les agriculteurs en ASC ou commercialisant leurs produits dans des structures collectives comme les food hubs. Comme le soulignent les auteurs, si certains types de circuits courts sont plus accueillants que d’autres pour les agriculteurs animés par des valeurs civiques et préoccupés par le bien-être de leur communauté, la promotion de ces circuits pourrait avoir des retombées et une portée démocratique bien au-delà du seul fait alimentaire, puisque cela pourrait indiquer, par exemple, que les agriculteurs en circuits courts seraient plus susceptibles de s’investir dans leur communauté. Quant aux caractéristiques écologiques des circuits courts, elles ne semblent pas données. Mais le rejet que leurs participants manifestent au sujet du productivisme montre tout de même que ces démarches abritent des candidats potentiels pour une transition vers une alimentation plus durable sur le plan environnemental.

pdf N°17, fiche n°4 - juin 2021 - juillet 2021

Fiche n°4, Bulletin n°17 – juin 2021 – juillet 2021
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 13 octobre 2023 11:59
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Circuit court, Environnement, Relève, Fiche

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Publication

1 juin 2021

Modification

10 novembre 2023 09:19

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