5.2.2. La collaboration intersectorielle et les intersections naturelles | Mémoire sur les communautés de pratique / discussion

ℹ️ Contexte 
Cette note fait partie du carnet "La communauté de pratique comme stratégie de transfert de connaissances dans le champ de l’innovation sociale", un mémoire qui propose un regard critique sur le déploiement de la démarche Passerelles 1 (2018-2022) et qui vise à identifier les conditions de succès et les facteurs à considérer pour ce type particulier de communautés de pratique (CdP).
Table des matières | Résumé | Références

La démarche Passerelles a notamment été mise en place pour favoriser la collaboration entre les territoires et entre les secteurs. Les personnes consultées à l’origine y voyaient toutes un réel avantage. Le principe de la collaboration intersectorielle semble effectivement séduisant. Pourtant, lorsqu’on interroge les utilisateur·trices sur leurs motivations à utiliser Passerelles, elles ne priorisent pas cette intention.

Les personnes souhaitent d’abord collaborer au sein d’un groupe donné, s’inspirer des bonnes pratiques ou accéder à des ressources particulières en fonction d’un besoin spécifique. La possibilité d’élargir les espaces de collaboration, de créer des ponts à l’extérieur des réseaux habituels ou de s’inspirer de perspectives nouvelles constituent rarement une intention en soi, du moins au départ.

Si cela n’est pas une intention première, le besoin ne semble pas non plus émerger dans les premières phases du déploiement d’une CdP. Les possibilités d’un croisement des veilles et de ponts entre les territoires ou entre les secteurs sont riches et ont un grand potentiel pour transformer les pratiques, mais elles demandent une ouverture, un niveau de maturité organisationnelle et une consolidation préalable des organisations et des réseaux d’attache. Ces conditions sont rarement réunies. 

Pourtant, les échanges entre CdP ont lieu, notamment à travers des intersections qui se créent d’une manière naturelle et non planifiée. Nous avons vu que c’est le cas, par exemple, grâce à des personnes qui font partie de plus d’une CdP ou encore dans des espaces communs qui regroupent des personnes en fonction d’intérêts communs ou de thématiques transversales.

Si les intersections se créent surtout de manière naturelle et non forcée, elles peuvent néanmoins être riches. Dans le cadre de Passerelles, l’animation dans les intersections est restée timide. Il serait intéressant de rendre visibles, de formaliser et de planifier de telles démarches d’animation, puis d’évaluer leurs effets sur le niveau de collaboration et d’apprentissage, sur la négociation de sens et d’identité, sur les potentiels d’innovation et sur le renforcement des écosystèmes.

De la même manière, il serait intéressant d’explorer des fonctions liées à la constitution de répertoires communs élargis s’alimentant des échanges qui ont lieu dans les intersections.

Intersections entre les groupes informels

Les observations autour de la démarche Passerelles ont aussi permis de constater une grande effervescence autour de groupes qui se constituent de manière informelle. Souvent attachés à un territoire à une échelle locale ou à une lutte sociale plus large, ces groupes sont informels dans ce sens où ils ne se dotent pas nécessairement d’une structure juridique et qu’ils se dotent d’une gouvernance plus souple.

Il en découle quelques observations embryonnaires :

  • ces groupes se constituent de manière spontanée et organique pour répondre à des besoins locaux précis,
  • ces groupes tiennent à préserver une certaine autonomie dans leurs actions et leurs discours, 
  • ces groupes développent de nouvelles formes d’action collective, notamment autour des communs et du commoning,
  • ces groupes ne cherchent pas à qualifier la nature de leurs actions et n’ont pas de sentiment d’appartenance à des mouvements structurés plus larges, tels que l’innovation sociale, l’action communautaire, l’économie sociale, la transition écologique ou l’autonomie alimentaires, et ce, même si leurs activités pourraient être liées à ces mouvements,
  • ces groupes sont rarement financés, ce qui leur donne moins de moyens, mais plus de liberté quant aux résultats, ce qui peut les amener à se concentrer davantage sur les processus,
  • ces groupes ont un plus grand potentiel de créativité, d’innovation radicale et de rupture face aux paradigmes dominants.

Ces observations, qui restent des hypothèses, mériteraient un approfondissement et des observations plus poussées pour dégager une lecture plus fine.

Ce qui a pu être observé dans le cadre de cette recherche, c’est davantage les liens entre ces groupes ainsi qu’entre eux et les réseaux plus formalisés. Nous pouvons constater que ces collaborations sont plus rares. Ceci pourrait s’expliquer par le fait que ces groupes ont des moyens plus limités et qu’ils ne s’inscrivent pas dans des réseaux structurés dans lesquels des canaux de communication sont déjà préexistants.

Pourtant, ces groupes s’estiment isolés et souhaiteraient être davantage en lien avec d’autres groupes semblables pour mieux collaborer entre eux et apprendre les uns des autres. Il y a sans doute un travail à effectuer pour faciliter ces rapprochements et pour faciliter l’émergence d’intersections.

En ce qui concerne les relations entre les groupes informels et les réseaux structurés, d’autres enjeux apparaissent, notamment en raison de divergences culturelles et concernant les finalités. Le milieu du développement des communautés, par exemple, souhaite développer le dialogue avec les acteur·trices plus militant·es qui portent la transition sociale et écologique.

De leur côté, ces groupes souhaitent voir des actions concrètes de résistance aux modèles dominants s’incarner dans les milieux institutionnels et estiment que les actuelles tables de concertation ne mènent pas à des actions assez radicales, voire qu’elles contribuent parfois à la reproduction d’un système dénoncé.

Dans le cadre des États généraux en développement des communautés, en novembre 2022, certains mettaient en lumière la difficile réconciliation entre des finalités complémentaires, mais qui demandent des actions à des échelles différentes. C’est dans ce contexte que Denis Bourque et Gédéon Verreault, des chercheurs présents, illustraient la nécessiter de concilier les actions pour faire face « à la fois à la fin du mois et la fin du monde » et celles pour améliorer « à la fois les conditions de vie et les conditions de la vie ».

Le dialogue n’est pas impossible et il a le potentiel d’être fertile. Il nécessite néanmoins un important travail de médiation et de traduction permettant de créer des intersections sans dénaturer ou minimiser l’importance d’une perspective au détriment de l’autre. L’objectif ici n’est pas nécessairement d’identifier une entreprise commune, mais de se reconnaître, s’appuyer et se renforcer mutuellement à travers des luttes plus larges. Ici, on parle peut-être moins de finalités communes, mais de récits communs capables de valoriser et mettre à profit la diversité des tactiques envisageables, et plus fondamentalement d’apprendre à travailler ensemble.

Suite : 5.2.3. La fluidité entre les approches | Mémoire sur les communautés de pratique / discussion

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Intégré par Joël Nadeau, le 6 décembre 2023 11:00
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6 décembre 2023

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6 décembre 2023 17:37

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