Identité alimentaire collective et produits locaux : une combinaison gagnante ?

Si on demandait à un Québécois ou à une Québécoise de nommer quelques produits agricoles emblématiques lui venant à l’esprit quand on parle du Québec, à quoi pourrait ressembler sa réponse ? Elle varierait sans doute d’un Québécois à un autre, mais des éléments récurrents pourraient apparaitre. Ce pourrait être par exemple le sirop d’érable, les bleuets, ou les produits laitiers. Pour autant, d’autres productions, même assez importantes, pourraient ne pas être immédiatement associées au Québec dans l’imaginaire collectif. En effet, ce qui forme l’identité alimentaire collective d’une région peut avoir un lien avec sa production locale, mais ce lien n’est pas automatique, l’identité alimentaire se construisant au fil du temps, des échanges et des hybridations avec d’autres cultures. Par ailleurs, des produits de base, peuvent être produits localement sans pour autant marquer l’identité alimentaire collective. Comment alors, cette identité alimentaire collective influence-t-elle le rapport des consommateurs avec les produits locaux ? Sont-ils prêts à payer plus cher pour des produits locaux emblématiques (typiques) de leur région ? C’est à cette question que le présent article a tenté de répondre.

Pour y arriver, les chercheurs ont d’abord demandé à 9329 participants, pendant neuf mois entre 2016 et 2017 et dans le cadre d’une enquête alimentaire nationale américaine, la liste des produits qu’ils associent à leur État. En comparant les réponses les plus fréquentes dans un État à ses trois principales productions, ils ont trouvé que 90% des États ont une identité alimentaire collective plutôt alignée avec leurs plus grandes productions. La deuxième étape de leur recherche a été de modéliser l’influence de ces attributs (identitaire ou non, local ou non, différents niveaux de prix) sur les préférences et la disposition à payer des consommateurs pour ce produit. Pour cela, une expérience invitant à choisir à chaque fois un produit parmi les quatre affichés (cerises, raisins, fraises et mûres), dans une série de huit scénarios aléatoires faisant varier les attributs, a été réalisée en 2019 auprès de 484 répondants, dans le Michigan.

Produits locaux : l’identité alimentaire collective, ça compte

Les quatre produits testés ont été minutieusement choisis. Ils sont a priori substituables. Ils sont tous produits localement, sauf les mûres dont les volumes de production locale sont négligeables. Le tableau ci-dessous permet de comprendre leur lien avec l’identité collective et leur importance dans la production locale.

Les participants affichent une préférence plus marquée pour les produits identitaires qui figurent aussi parmi les plus grandes productions de la région (cerises). Mais les résultats les plus parlants apparaissent à l’étude des facteurs qui influencent la disposition à payer pour un produit.

Qu’on considère seulement les produits qui figurent parmi les productions principales de l’État du Michigan (cerises, raisins) ou encore seulement les produits avec un volume de production locale négligeable (fraises, mûres), c’est le produit identitaire qui suscite toujours le plus fort consentement à payer plus cher. De plus, l’écart entre produit identitaire et produit non identitaire est encore plus élevé lorsque le produit identitaire se compare à un produit non identitaire de l’État du Michigan faisant partie des productions principales de la zone. On passe ainsi d’une disposition à payer un différentiel de $2.88 lb (pour le raisin, produit non identitaire et localement important) à $4.43 lb (pour les cerises, produit identitaire localement important).

Les auteurs concluent que les consommateurs sont prêts à payer plus cher pour les produits locaux lorsque ceux-ci font partie de l’identité alimentaire collective, même s’il ne faut pas écarter la possibilité que d’autres facteurs (comme la perception d’une qualité plus fraiche des produits) aient pu jouer dans les choix des participants. Ils entrevoient diverses implications en termes de politique publique de soutien à la production locale, en soulignant notamment que les investissements publics de promotion seraient plus efficients, s’ils ciblaient les produits identitaires.

Les enseignements

L’idée d’une identité alimentaire collective n’est pas nouvelle. L’attachement des sociétés à certains produits, certaines recettes, certaines préparations culinaires, ainsi que leurs représentations de l’importance de ces éléments, est bien connu (fonction du pays ou même de la région à l’intérieur du pays). Les manifestations de cette identité sont diverses. Géographiquement et culturellement variables, elles suscitent passions et fierté (celles d’avoir telle cuisine, d’arborer tel produit typique, etc.). Il n’est donc pas étonnant que les produits locaux s’inscrivant dans ces représentations collectives sur les produits emblématiques d’une région rendent le consommateur plus enclin à payer pour ces produits, pour autant que les résultats présentés ici sont transférables à des régions autres que le Michigan. Est-il possible par exemple que les consommateurs québécois valorisent encore plus les produits alimentaires québécois qu’ils imaginent associés à l’image même du Québec ? En d’autres termes, l’appellation « aliments du Québec » est-elle plus attractive pour le fromage en grain, les cretons où le blé d’inde, que pour des oignons ou du poulet ? La question mériterait d’être traitée et pourrait orienter les stratégies d’adoption ou non d’une telle mention par les agriculteurs et les transformateurs.

pdf N°16, fiche n°2 - avril 2021 - mai 2021

Fiche n°2, Bulletin n°16 – avril 2021 – mai 2021
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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