L’agriculteur comme communicateur en régies biologique et conventionnelle

Les consommateurs sont de plus en plus friands en information sur ce qu’ils mangent. La modernisation de l’agriculture s’est aussi accompagnée d’un besoin accru en informations spécialisées du côté des producteurs, traditionnellement fournies par les experts. Pendant longtemps, la communication agricole et alimentaire a donc été le fait d’agences de vulgarisation agricole, d’experts, de gouvernements et de médias.

Toutefois, avec les nombreuses critiques à l’encontre de l’agriculture industrielle et la montée en puissance d’autres régies de production, comme l’agriculture biologique, l’image de l’agriculture conventionnelle s’est petit à petit dégradée auprès du grand public. Dans le même temps, l’attrait pour l’agriculture biologique, présentée comme plus vertueuse et plus durable, s’est renforcé.

Parallèlement, les chaines conventionnelles mobilisent des ressources marketing qu’il est difficile de concurrencer. Mais avec le développement des technologies et des moyens de communication (Internet, réseaux sociaux, etc.), les agriculteurs se sont vu offrir une opportunité de diversifier leurs sources d’information et de prendre en main la communication agricole en devenant eux aussi des diffuseurs d’information.

La nouvelle figure du producteur-communicateur semble toutefois plus présente en régie biologique qu’en régie conventionnelle, d’après l’étude présentée ici. Pour parvenir à cette conclusion, les chercheurs ont comparé les discours des agriculteurs, à partir d’entrevues qualitatives auprès de 20 agriculteurs dans l’Ohio, aux États-Unis, dont 8 en régie biologique. Ces producteurs se distinguent clairement sur le plan identitaire (comment ils se voient) et selon leurs stratégies de communication et d’accès à l’information spécialisée.

Le métier d’agriculteur: identité et stratégies de communication

Deux traits saillants ressortent des entrevues. Sur le plan identitaire, les producteurs en régie conventionnelle se présentent d’abord comme des « agriculteurs » (sans préciser la régie), alors que les producteurs en régie bio tendent à souligner qu’ils font de l’agriculture biologique. On voit donc qu’un sentiment d’altérité s’installe et une mise à distance s’opère entre les agriculteurs des deux modèles. Mais ici, « l’autre », c’est l’agriculteur en régie bio, perçu par certains agriculteurs en conventionnel comme « moins expérimenté » ou étranger au milieu agricole et ne partageant pas le même ancrage ou le même héritage culturel. Alors que les producteurs en régie conventionnelle vont mettre l’accent sur ce qu’ils produisent pour se présenter, les producteurs en régie biologique vont plutôt diriger l’attention sur comment ils produisent, insistant sur leurs pratiques agricoles, affichées comme meilleures pour la santé et plus vertueuses en matière de durabilité.

Sur le plan informationnel, les deux groupes consomment beaucoup d’informations spécialisées en lien avec l’agriculture et leurs productions. Cependant, les producteurs en régie conventionnelle misent surtout sur une connaissance expérientielle, transmise de génération en génération et recourent à des sources imprimées plus traditionnelles comme les magazines spécialisés. À l’opposé, les agriculteurs en régie biologique rencontrés vont être à l’affut des dernières recherches scientifiques et vont lire beaucoup de livres en lien avec le domaine. Leurs connaissances sont d’ailleurs perçues par les agriculteurs conventionnels, de façon plus ou moins connotée, comme plutôt théoriques. Des agriculteurs en régie bio rapportent aussi consulter d’autres agriculteurs en régie bio pour apprendre de leurs expériences ainsi que de leurs bonnes pratiques.

L’autre aspect en lien avec l’information, c’est la communication. Quoi communiquer, pourquoi communiquer et comment communiquer aux consommateurs ou au grand public? Les agriculteurs en régie conventionnelle interrogés, sans minimiser l’intérêt de mieux informer et d’éduquer les consommateurs sur l’agriculture, indiquent ne pas avoir le temps pour ça. Leur approche de la communication est minimaliste. En revanche, du côté des producteurs en régie biologique, des stratégies de communication diversifiées et nourries sont adoptées. En effet, ces derniers utilisent fréquemment les circuits courts qui leur permettent un accès privilégié avec le consommateur. Mais ils développent aussi une forte présence en ligne, sur les réseaux sociaux, sur Youtube, etc. Les visites à la ferme s’ajoutent parfois aux options pour apprendre à mieux les connaitre. Le but, comme ils le soulignent, est de convaincre le consommateur que leurs produits sont meilleurs, car, reconnaissent-ils, la compétition est forte avec les produits conventionnels, nettement plus accessibles pour le consommateur.

Les enseignements

Quoi communiquer? Pourquoi communiquer? Comment communiquer? Voilà trois questions qui se posent avec acuité en circuits courts, tant dans la vente directe que dans la vente avec un intermédiaire. Faut-il mettre plus d’accent sur les pratiques écologiques adoptées (pour répondre à la fameuse question « êtes-vous bio ? »), souligner le caractère local du produit ou encore la contribution à l’économie locale, par exemple? Une présence en ligne ou dans les médias sociaux, en vaut-elle la peine? Comment développer efficacement les compétences supplémentaires, notamment en communication, nécessaires pour réussir en circuits courts? Ce que nous apprend cet article, c’est qu’il semble plus facile pour les agriculteurs bios de communiquer sur leurs pratiques auprès des consommateurs. A contrario, il est sans doute moins aisé pour les agriculteurs ayant conservé des pratiques conventionnelles de devoir justifier l’usage d’intrants ayant une mauvaise image. On se demande souvent si les circuits courts influencent les pratiques des agriculteurs. Cet article montre qu’indirectement au moins, ils ont bien un effet.

pdf N°18, fiche n°3 – août 2021 – septembre 2021

Fiche n°3, Bulletin n°18 – août 2021 – septembre 2021
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 4 octobre 2023 17:55
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Circuit court, Technologie, Biologique, Fiche

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1 août 2021

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10 novembre 2023 08:28

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