À la conquête du consommateur 4.0. Circuits courts alimentaires et commerce en ligne via les médias sociaux

Les circuits courts alimentaires (caractérisés par la présence d’au plus un intermédiaire entre le producteur et le consommateur) se voient associer un ensemble de bénéfices sociaux, environnementaux et économiques. Ils sont ainsi présentés comme une réponse possible au système alimentaire dominant, concentré, globalisé et générateur de plusieurs effets négatifs sur l’environnement, les agriculteurs, le monde rural et les territoires en général. A l’heure où des acteurs (politiques, militants, etc.) cherchent à promouvoir les circuits courts, les opportunités dans le commerce en ligne pour les producteurs, notamment via les médias sociaux, restent encore peu explorées. C’est le propos de cet article, qui mobilise les résultats de quatre focus group auprès d’un ensemble de 32 acheteurs réguliers et utilisateurs des médias sociaux dans une région rurale d’Espagne.

Les auteurs ont d’abord vérifié ce que les participants connaissaient des circuits courts (7% seulement pouvaient en proposer une définition), avant de leur expliquer comment on peut acheter directement sur les médias sociaux. Ce faisant, ils ont recueilli leur opinion sur l’intérêt des circuits courts, sur l’achat en circuits courts à partir des médias sociaux. Ils ont aussi recueilli leurs avis et commentaires concernant les produits. La recherche révèle qu’un intérêt pour les circuits courts, dans la mesure où on les assimile à une offre de produits locaux, est partagé par les participants. En revanche, ils sont plutôt réticents devant la perspective d’acheter directement à des producteurs à partir de la plateforme d’un média social, en évoquant la question de la confiance et du cadre jugé peu professionnel. Leur intérêt pour les rétroactions offre aux producteurs en circuits courts une opportunité de tisser un lien social et de développer leur crédibilité en ligne.

Circuits courts et commerce via les réseaux sociaux : enjeux et perceptions

Même peu familiers avec la notion de circuits courts, les participants se sont montrés enthousiastes après qu’on leur ait expliqué la notion et ont formulé plusieurs des attentes et bénéfices traditionnellement associés aux circuits courts alimentaires et à l’achat local. Les rares hésitations portaient sur la garantie du caractère local des produits étant donné que ce type de circuits courts n’impose pas une distance maximale. Le produit commandé en ligne peut très bien provenir d’un producteur éloigné, voire étranger. Ces produits pourraient, selon certains participants, ne pas suffisamment contribuer à l’économie locale et l’efficacité énergétique de leur transport pourrait être problématique.

Si 64% des commentaires sont favorables à l’achat en personne dans les circuits courts, ils sont moins nombreux à être favorables à l’achat en circuits courts via les médias sociaux. Les deux principales objections avancées sont la difficulté de faire confiance à un producteur rencontré sur les médias sociaux (à moins de le connaitre déjà) et le caractère jugé peu professionnel de la vente par le bais des médias sociaux, vécus avant tout comme des espaces de socialisation plutôt que de commerce. Plusieurs participants soulignent l’importance pour eux que leur épicerie se fasse sur les lieux mêmes. Le commerce alimentaire en ligne, au niveau des circuits courts, augmenterait donc la distance sociale entre le producteur le consommateur. Les auteurs insistent aussi sur l’importance de la logistique et d’un service de livraisons fiable, compte tenu des préoccupations des consommateurs susceptibles d’être intéressés par ce type d’achat en ligne.

Il y a toutefois plusieurs aspects qui témoignent du potentiel commercial des médias sociaux, potentiel que les circuits courts pourraient exploiter. La gratuité de l’accès aux médias sociaux (soulignée dans 45% des commentaires), les interconnexions entre les membres (une publication qu’un utilisateur « partage » pouvant atteindre un nombre insoupçonné d’autres utilisateurs et clients potentiels) sont les principaux avantages évoqués. Certains participants mettent aussi l’accent sur leur facilité d’utilisation et leur popularité dans la population. Les médias sociaux peuvent ainsi offrir une opportunité unique et peu coûteuse aux producteurs de se développer. En invitant les consommateurs à interagir, ces derniers peuvent s’engager et sont susceptibles de devenir eux-mêmes des médias influençant d’autres personnes à acheter le produit. C’est ici qu’intervient la question du bouche-à-oreille par le biais des avis et des commentaires sur les produits émis par les utilisateurs des médias sociaux. Parmi les participants à l’étude, 35,7% rapportent avoir l’habitude de « partager » des publications, 28,6% donnent leur avis surtout quand il est négatif contre 21,4% le faisant surtout quand il est positif. Tous rapportent accorder de l’importance aux avis émis par d’autres consommateurs en ligne avant de prendre une décision d’achat. Ces résultats confirment une dynamique déjà connue d’interinfluence sur les médias sociaux. Sur ces médias, les entreprises n’ont pas le monopole du discours sur leur image, les consommateurs y participent activement. L’image ainsi co-construite peut compenser le problème de confiance susmentionné en même que ce processus instaure un dialogue direct autour de la ferme en circuits courts qui fait le choix d’investir les médias sociaux.

Les enseignements

Cet article aborde une question d’une indéniable actualité, celle de la compétitivité du secteur agroalimentaire à l’heure du commerce électronique, du commerce mobile et du commerce via les médias sociaux. L’actualité est même particulièrement criante au moment où nous écrivons ces lignes, puisque de nombreux producteurs en circuits courts doivent réorienter leur commercialisation du fait de la crise sanitaire et de la fermeture de plusieurs de leurs débouchés traditionnels. Le défi pour les fermes en circuits courts ciblant ce mode de commercialisation sera, à l’image des tendances actuelles dans l’industrie alimentaire, de mettre en place une approche misant sur la synergie et le rapprochement entre les expériences virtuelles et le face-à-face. Cet article identifie l’enjeu de la confiance (qui est l’un des points forts habituellement reconnu aux circuits courts) et voit, tant dans l’exploitation du bouche-à-oreille que dans la recherche d’interactions ou de rétroactions avec le consommateur, autant de pistes de développement permises par les médias sociaux.

pdf N°9, fiche n°2 - février 2020 - mars 2020

Fiche n°2, Bulletin n°9 – février 2020 – mars 2020
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 26 octobre 2023 15:44
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Circuit court, Environnement, Fiche

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Publication

1 février 2020

Modification

13 novembre 2023 13:24

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