Les motivations à commercialiser en circuits courts

L’analyse sociologique traditionnelle a accordé beaucoup d’attention à la valeur sociale produite par les circuits courts. Mais plus rares sont les études qui se sont intéressées à ce qui pousse les agriculteurs et les agricultrices à s’y engager. Cette étude montre que le degré d’engagement citoyen, la force du sentiment d’être reconnu par la communauté ainsi qu’une perception positive de ses compétences (notamment en coopération et en communication) ont un effet positif sur l’intention d’intégrer les circuits courts.

L’importance de mieux comprendre les motivations

Quoique le contexte semble favorable au développement des circuits courts, ce développement reste paradoxalement limité dans de nombreux pays européens. Des recherches sur les antécédents motivant le choix de vendre en circuits courts peuvent apporter des réponses. Il s’agit de questionner l’influence à la fois de facteurs sociaux et personnels sur la volonté d’investir les circuits courts.

Diverses définitions des circuits courts existent mais le nombre limité d’intermédiaires entre la production et la consommation est une caractéristique récurrente. Au niveau des facteurs sociaux, un examen de la littérature dans diverses disciplines permet de souligner l’importance du capital social des membres d’une communauté. L’engagement citoyen (participation à des projets communs) et le sentiment de reconnaissance par la communauté sont deux expressions de ce capital social. Sur le plan individuel, la dimension collective de la gestion des circuits courts implique la valorisation de certaines compétences (comme la coopération, la planification, la communication). La littérature établit la perception de ses propres compétences comme un bon indicateur du choix de s’impliquer ou pas dans une activité, les individus évitant les activités pour lesquelles ils ne se sentent pas compétents.

Pour tester l’impact de ces facteurs sociaux et personnels sur la volonté d’entrer dans les circuits courts, un questionnaire a été administré à 144 agriculteurs et agricultrices ne commercialisant pas en circuits courts, en Thessalie. Des énoncés mesurant leur engagement citoyen, leur sentiment de reconnaissance communautaire et leurs compétences perçues leur étaient soumis. Le questionnaire comportait un item unique mesurant l’intention de participer aux circuits courts ainsi que quelques questions socio‐démographiques (sexe, âge, taille de la ferme).

Les résultats

Deux types d’analyse statistiques ont été menés afin d’identifier les facteurs déterminants dans l’intention de s’engager dans la commercialisation en circuits courts.

Principaux résultats.

L’échantillon présente un âge moyen de 41 ans. Il est composé principalement d’hommes (69%). Sur une moyenne de 8.2 hectares, la production végétale est systématiquement pratiquée et associée une fois sur quatre à une production animale.

Il existe une corrélation négative, significative mais faible, entre la taille de la ferme et deux dimensions de l’engagement citoyen : l’identification à un groupe et l’altruisme. Pour les compétences perçues la même corrélation est observée avec la dimension « coopération ».

Quant à la volonté d’intégrer les circuits courts, elle est corrélée positivement à toutes les dimensions retenues pour l’engagement citoyen, à deux dimensions du sentiment de reconnaissance par la communauté (proximité et collaboration avec les autres) et à deux dimensions dans les compétences (coopération et communication).

La volonté de participer aux circuits courts a aussi été croisée avec les variables sociodémographiques de contrôle : sexe, âge, taille de la ferme. Les résultats de la régression montrent que les coefficients de ces variables de contrôle ne sont pas significatifs.

En revanche, en reprenant la régression, l’introduction successive des variables engagement citoyen puis reconnaissance communautaire, a significativement amélioré le pouvoir explicatif du modèle. Plus précisément, trois dimensions de l’engagement citoyen (altruisme, harmonie relationnelle, culture de la participation) et deux dimensions du sentiment de reconnaissance par la communauté (proximité et collaboration) contribuent significativement à l’intention de commercialiser en circuits courts. En reprenant une nouvelle fois la régression initiale, l’ajout des facteurs liés à la compétence aux variables de contrôle a également amélioré le pouvoir explicatif du modèle de façon significative. La principale compétence influençant l’intention de commercialiser en circuits courts est la communication.

Ces résultats ont des implications méthodologiques (étudier les motivations préalables renseigne sur les racines de l’identité collective en circuits courts), théoriques (croiser différents cadres théoriques de diverses disciplines enrichit l’analyse) et politiques (agir sur les leviers identifiés en matière d’engagement citoyen et de compétence peut stimuler le développement des circuits courts).

Les enseignements

L’originalité de cette recherche est de s’intéresser à des producteurs et des  productrices n’ayant pas encore choisi de commercialiser leurs produits en circuits courts. L’importance des compétences communicationnelles est confirmée. Le fait d’estimer qu’on détient ces compétences rend plus susceptible de se lancer dans la commercialisation en circuits courts. L’engagement citoyen rappelle quant à lui la dimension militante des circuits courts. Cette recherche, certes menée dans un contexte européen, a néanmoins un écho dans la réalité des circuits courts au Québec.

pdf N°1, fiche n°4 - octobre 2018 ‐ novembre 2018

Fiche n°4, Bulletin n°1 – octobre 2018 – novembre 2018
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Ce bulletin vous est offert avec le soutien du Partenariat canadien pour l’agriculture.