La nécessité de repenser les récits collectifs

J’observe au sein de plusieurs groupes un réel intérêt autour de la question des récits collectifs. Plus qu’un mot valise, il s’agit de réflexions autour des approches narratives qui génèrent du sens et qui alimentent l’action. Comment naissent les récits mobilisateurs, comment nous permettent-ils de surmonter nos craintes et notre sentiment d’impuissance?

Selon ma compréhension, l’idée est de mettre en récit les projets et les actions (vision, principes, intentions, apprentissages, etc.), parfois d’un point de vue personnel et sensible, et également de construire des narratifs plus larges qui mettent en scène les discours qui sous-tendent et relient ces initiatives. La «conscience collective» se construit ainsi par des symboles, des mythes, des aspirations, des histoires de luttes, des éléments de mémoires, etc.

Comme l’observe Michel Foucault, les discours dominants façonnent notre compréhension du monde. Leur déconstruction passe par l’émergence de nouveaux récits, qui offrent une perspective différente et qui remettent en question les bases du pouvoir et de la légitimité. Ceci passe par la valorisation de savoirs marginalisés et la création et le partage de nouveaux savoirs.

Le choix des mots

Il est intéressant par exemple de nous questionner sur les mots que nous utilisons pour décrire nos pensées, initiatives et aspirations. On imagine un monde; on utilise quels mots, en s’appuyant sur quelles intentions? Développement, accélération, innovation, changement d’échelle, gouvernance, leadership et chantiers sont par exemple des termes qui portent une vision du monde. Est-ce possible de se les approprier ou faut-il penser à une autre terminologie pour incarner un imaginaire différent? On peut également se demander comment protéger des mots de leur instrumentalisation, comme on le voit avec la «transition» et la «sobriété». 

Le choix des mots est important par exemple pour sortir de la relation marchande et instituer des pratiques de commoning. On le constate dans l’élaboration du modèle de soutenabilité d’En commun: pour se projeter dans de nouveaux imaginaires et repenser les modèles, il faut utiliser le vocabulaire approprié et rédéfinir les récits. 

Les questions énergétiques constituent actuellement un terrain où se construisent rapidement de nouveaux narratifs. Les nouvelles orientations énergétiques gouvernementales au Québec proposent par exemple l’ouverture au privé et le développement de la filière des batteries. Plusieurs organisations amènent des contre-propositions pour un avenir énergétique juste et viable, appelelant à «s’opposer à des projets destructeurs» et à «travailler à la construction d’un avenir viable». Ces questions sont importantes, puisqu’une fois qu’un discours dominant se structure, il devient plus difficile de faire entendre d’autres visions.

Il serait intéressant de creuser entre nous la question des récits en s’inspirant des auteur·trices qui y ont réfléchi, par exemple sous l’angle de la décolonisation ou de l’animation sociale. Il serait également intéressant d’organiser entre nous des actions pour rendre visibles des initiatives citoyennes, pour faire grandir des scénarios, pour élargir les possibles, pour se forger un lexique, pour y intégrer de l’art et de la poésie, pour coordonner nos efforts de diffusion, etc. Alors que nous pouvons observer autour de nous de la fatigue, de l’écoanxiété, de la colère et un sentiment d’impuissances, il devient essentiel de transformer les imaginaires collectifs pour canaliser les actions.

À découvrir sur Praxis

  • La diversité des récits de transition dans notre quotidien: «Le comité Récits de Transition en commun (TeC) travaille depuis plusieurs mois sur les différentes compréhensions des récits et leurs rôles dans l’action collective pour la.les transition.s socioécologique.s parmi ses membres.» 
  • Les récits de la transition socioécologique: «On reconnaît la faillite annoncée des imaginaires dominants en occident, mais sans parvenir à voir, dans l’avenir, autre chose que son absence. Une réelle transition socioécologique et juste prescrit donc une transformation de notre manière d’être dans le monde et d’y cohabiter avec le reste du vivant.» - un texte de Alexis Curodeau-Codère.
  • Récit collectif de la transition sociale et écologique. Raconter des histoires à partir de propos citoyens: «À partir des résultat de quatre ateliers menés par la Chaire de recherche sur la transition écologique de l’UQAM, Solon et le TIESS, avec des citoyen·ne·s de Rosemont–La Petite-Patrie, douze « briques de sens » ou unités de sens, ont émergé. Ces briques sont des morceaux du récit.»
  • Chemins de transition: «Un grand projet dont l’objectif est d’engager la communauté universitaire, au côté des citoyen·ne·s et des autres forces vives de la société dans le nécessaire débat sur la transition, afin d’identifier collectivement les chemins les plus porteurs pour assurer un futur souhaitable au Québec.»
  • Lexique de la solidarité internationale: «Pour l’AQOCI, il est important que le langage que nous utilisons reflète nos valeurs et nos convictions.» Voici une liste de 82 propositions de définitions.
  • Rapport - Les récits de l'effondrement: «La variété ne manque pas : écoféminisme, décroissance, zadisme, néo-survivalisme et d’autres encore : tous ces mouvements ont leur spécificités, leurs enjeux, leur portée dans l’écosystème complexe que représente l’écologie aujourd’hui ; une écologie qualifiable de "politique" en ce qu’elle est objet de souci quotidien, de comportements collectifs et d’expressions d’attentes socio-culturelles.»
  • Les savoirs autochtones pour décoloniser la transition: «Le récit eurocentriste affirme que Dieu a créé la Terre et l’a donnée à l’homme pour qu’il puisse prospérer, tandis que les récits autochtones disent que les êtres vivants appartiennent à la terre. (...) Les récits ont une incidence sur tout, y compris sur la façon dont nous gérons les changements climatiques.» - Bulletin Raccords.
  • Hyper-récit du changement de paradigme: «En évolution permanente, ce document de synthèse est ponctué de liens permettant d’explorer des concepts et d’accéder à des ressources.»
  • La société des communs offre un nouveau récit dont la gauche doit se saisir: «Face à l’appel du GIEC sur l’urgence de transformer nos façons d’habiter le monde, je trouve réellement inspirant ces collectifs qui revendiquent haut et fort la création de sociétés des communs.» - un texte de Marie-Soleil L’Allier.

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Joël observe
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Intégré par Joël Nadeau, le 19 février 2024 11:07

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19 février 2024

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21 mars 2024 10:47

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