La place des animaux dans l’agriculture soutenue par la communauté

L’offre de l’agriculture soutenue par la communauté (ASC) est traditionnellement associée aux produits horticoles (légumes, fruits, etc.). S’il existe une littérature sur les enjeux de la relation humain‐animal en agriculture, les ASC n’ont pas encore été étudiées sous cet angle. Cette recherche en souligne pourtant l’intérêt en montrant que l’introduction de la production animale dans l’offre des ASC au Royaume‐Uni et en Irlande transforme les rapports des participants avec le produit offert, l’attrait des ASC pour les consommateurs, ainsi que la représentation des acteurs du monde rural et de la ferme.

ASC : typologie et offre de produits

L’auteur distingue deux grands types d’initiatives d’agriculture soutenue par la communauté. D’une part, les ASC à approche descendante principalement initiées et gérées par le producteur. C’est cette forme qui prédomine aux États‐Unis. D’autre part, les ASC à approche ascendante initiée et cogérée par la communauté à approvisionner. Les consommateurs y jouent un rôle plus actif, assurent la gestion de la distribution, voire participent ponctuellement aux travaux de la ferme, de sorte que la frontière même entre le rôle de consommateur et de producteur peut devenir floue au sein de ces initiatives. Cette approche prédomine au Royaume‐Uni.

Au Royaume‐Uni, une partie des ASC offrent des produits animaux. Une étude citée par l’auteur indique que parmi les ASC de ce pays, 5 fermes sur 22 offraient des produits animaux. Selon la même étude, au Royaume‐Uni ce nombre pourrait continuer à croître et en Europe, même si 94% des fermes en ASC offrent des légumes, un certain nombre offre désormais des oeufs (38%), de la viande (29%), du miel (28%) et des produits laitiers (26%). Pour comprendre les implications de cette offre spécifique, l’auteur a interviewé 27 représentants d’ASC offrant des produits animaux mais aussi 13 représentants d’ASC n’offrant pas ces produits, ainsi que certaines organisations du milieu des ASC. Trois grands thèmes sont ressortis de l’analyse : le rapport avec le produit, la relation à l’animal, la représentation de l’espace rural et de la ferme. 

Résultats 

L’introduction de produits animaux dans les ASC contribue à redéfinir les rapports avec le produit animal et le système alimentaire au sein duquel il est produit. Un ensemble de valeurs (éthiques, écologiques, etc.) et d’attributs s’invitent dans la définition des produits animaux échangés et participent à la construction d’une identité communes entre consommateurs et agriculteurs.

Ainsi, grâce à l’ASC, les consommateurs estiment avoir accès à des animaux élevés selon leurs valeurs : « une viande humaine et locale », comme l’exprime une des participantes interrogées par l‘auteur. Plusieurs notent aussi une dimension culturelle, l’élevage faisant partie des traditions et du paysage local. Même si cette expérience est parfois vécue difficilement, les consommateurs rencontrés évoquent un rapport assumé avec l’abattage, qui leur permet de ne pas déconnecter l’acte de consommer la viande et la mort de l’animal qui l’a fourni. Cette expérience (visite des abattoirs) et d’ailleurs encouragée par plusieurs ASC. L’introduction de produits animaux dans les paniers permet d’élargir aussi la base des consommateurs. Par ailleurs, des producteurs indiquent que ce nouveau rapport avec la viande permet de vendre des parties de l’animal (sang, tête, etc.) qui n’auraient pas trouvé acheteur dans un système alimentaire où l’abattage est autant que possible passé sous silence.

La vente de produits animaux dans les ASC conduit également à un déplacement de l’attention. De produit comme objet, l’animal vivant devient sujet. Au même titre que les systèmes ASC sont vus comme favorisant la rencontre entre agriculteurs et consommateurs, les ASC peuvent permettre de nouer, lors des visites de fermes, une forme de relation avec les animaux qui y sont élevés. L’introduction d’animaux rend la ferme plus attrayante pour les consommateurs. Sa visite permet de satisfaire la curiosité des visiteurs, de répondre à des soucis esthétiques, de divertissement, d’éducation ou même de thérapie. Ce rapport très personnel introduit par la rencontre avec les animaux est parfois perçu comme une charge et amène certains fermiers à se questionner sur ce que devrait impliquer le métier d’éleveur. Un arbitrage doit parfois être trouvé entre plaire aux consommateurs et rechercher un système de production efficace. Mais l’auteur note que cela influence souvent les pratiques des agriculteurs. Certains introduiront plus de diversité, d’autres choisiront  certaines races adaptées à ce contact avec les consommateurs.

Enfin, l’étude montre que les ASC offrant des produits animaux s’inscrivent dans une perspective plus large de préservation du paysage et de l’environnement. Il s’agit aussi pour certains producteurs d’aligner le système de production de leur ferme avec les représentations collectives des consommateurs sur ce qui symbolise le monde rural et la ferme, avec les valeurs locales (par exemple, par la préservation de races locales) ou encore avec l’héritage culturel et l’histoire agricole de leur territoire.

Les enseignements

Cette recherche attire l’attention sur un aspect peu discuté dans la littérature sur les ASC : les relations humain‐animal. Elle montre que les ASC offrant ces produits répondent à une demande et offrent un produit qui présente des qualités éthiques ou environnementales spécifiques aux yeux des consommateurs. Bien que les consommateurs végétariens restent surreprésentés dans les ASC lorsqu’on les compare avec le reste de la population, cette recherche montre que l’introduction de produits animaux offre des perspectives d’élargissement de la demande pour ce circuit court, en tout cas pour les ASC ascendantes (très majoritaires en Europe) dans lesquelles les consommateurs sont investis aux côtés des agriculteurs.

pdf N°2, fiche n°1 - décembre 2018 ‐ janvier 2019

Fiche n°1, Bulletin n°2 – décembre 2018 – janvier 2019
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Ce bulletin vous est offert avec le soutien du Partenariat canadien pour l’agriculture.