Densité de population et choix des modes de commercialisation par les agriculteurs


La manière dont la distance aux marchés influence la façon dont l'agriculture se déploie est une vieille question de recherche. En 1826, l’économiste allemand Von Thünen modélisait l’effet de la distance au marché sur l’utilisation des terres agricoles. Il montrait alors que les produits devant être consommés frais (légumes ou lait) et ayant donc les coûts de transport les plus élevés, étaient produits dans la première ceinture autour des villes. Si depuis le début du 19ème siècle, de profonds changements ont marqué le transport et la conservation des produits agricoles, permettant aux agriculteurs de s’émanciper de certaines contraintes, la littérature montre pourtant que la réflexion de Von Thünen reste inspirante, notamment dans les pays en développement.

Aux États-Unis, 36 % de la production agricole est produite dans les zones métropolitaines. Il est par ailleurs connu que les agriculteurs situés dans des zones densément peuplées, produisent des produits à plus forte valeur ajoutée. En revanche, l’impact de la densité sur les choix de circuits de commercialisation n’avait pas encore été étudié. C’est ce à quoi s’attachent les auteurs de cette recherche.

L’enjeu de cette question est important. De nombreux dispositifs existent aux États-Unis pour encourager la consommation de produits locaux. Toutefois, plusieurs études ont aussi montré que la faible performance économique de certains marchés alimentaires locaux serait liée à de mauvais choix de gestion et de marketing. Dans le souci d’offrir aux décideurs des outils d’aide à la décision, l’objectif des auteurs a donc été dans cette recherche, d’identifier les contextes dans lesquels un mode de vente est plus adapté qu’un autre pour commercialiser les produits agricoles et alimentaires.

Les données disponibles

Pour étudier cette question, les auteurs ont utilisé les données d’une enquête réalisée par le ministère américain de l’agriculture (l’USDA) sur l’ensemble des États-Unis. Cette enquête a permis de constituer un échantillon de 5697 agriculteurs. Elle permet de distinguer, pour les produits locaux, la vente directe aux consommateurs : 34 % en 2015, la vente directe à des détaillants (épiceries, restaurants, institutions) : 39 % et la vente à des grossistes : 26 %.

En s’appuyant sur cette enquête, les auteurs ont modélisé, à l’aide d’un traitement économétrique, l’effet de la densité de population sur le choix des producteurs de commercialiser leurs produits dans l’un des trois canaux. La modélisation est effectuée pour des densités de population à différentes distances des producteurs afin d’observer si l’effet est décroissant : 25, 50, 75 et 100 miles de distance.

Les résultats

Les principaux résultats montrent que :

  • La vente directe est pratiquée par 69 % des agriculteurs de l’échantillon. La vente à des détaillants et à des grossistes est pratiquée respectivement par 14% et 36 % des répondants. La valeur des ventes en revanche est plus élevée pour les ventes aux détaillants : 160 857 US$, suivie des ventes aux grossistes : 69 844 US$ et des ventes directes aux consommateurs : 37 169 US$.
  • La vente directe aux consommateurs est très probable lorsque le marché est à proximité : la relation est très significative à 25 miles et significative à 50 miles. Par ailleurs, plus la taille de ce marché est grande, plus les niveaux de ventes augmentent. La proximité de la demande impacte donc positivement la production alimentaire locale et les modes de commercialisation, mais à des distances plus courtes que celles habituellement présentes dans la littérature.
  • Plus le marché à moins de 100 miles est gros, plus la vente directe aux détaillants se fait dans des quantités importantes. Néanmoins, la taille du marché n’augmente pas la propension à y avoir recours. Pour expliquer ce paradoxe, les auteurs suggèrent que des coûts fixes importants existent pour les agriculteurs qui voudraient vendre leurs produits directement à des détaillants, notamment quand il s’agit de produits à haute valeur ajoutée. Les auteurs indiquent que les dispositifs d’appui pourraient, dans ce contexte, procurer une assistance permettant aux agriculteurs de dépasser ces coûts d’entrée élevés.
  • Plus le marché à proximité est gros, moins les producteurs ont recours à la vente aux grossistes. Cela laisse donc de la place à des agriculteurs plus éloignés, qui pourraient vendre aux grossistes, surtout quand les coûts de transport sont élevés. Ainsi les auteurs suggèrent que la distribution par des grossistes de produits locaux peut être plus indiquée dans les régions où les exploitations sont éloignées des villes et produisent principalement des produits non transformés.

Les enseignements

Alors que la « proximité géographique » est souvent associée à une distance de 100 kilomètres, cette recherche montre que la distance qui favorise le choix de la vente directe est plus faible : 25 miles, soit environ 40 kilomètres et cet effet diminue rapidement dès lors que le marché est à plus de 50 miles. Pour la vente directement à des détaillants, l'effet de la densité de population est en revanche significativement positif jusqu'à 100 miles.

Cette recherche pourrait être enrichie par une analyse spatiale plus fine, afin de voir si la densité de population a le même impact quel que soit le milieu considéré. Par ailleurs, l’impact de la taille des fermes sur les choix de commercialisation n’a pas été considéré, alors que l’on pourrait intuitivement penser que cette variable influe le choix des modes de commercialisation. Cela dit, cette analyse fournit des éclairages intéressants pour mieux adapter les programmes de soutien public en faveur des marchés alimentaires locaux, en fonction de la situation démographique des marchés considérés.

pdf N°5, fiche n°4 - juin 2019 - juillet 2019

Fiche n°4, Bulletin n°5 – juin 2019 – juillet 2019
Rédaction : Noé Guiraud & Patrick Mundler

Ce bulletin vous est offert avec le soutien du Partenariat canadien pour l’agriculture.

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 6 novembre 2023 08:48
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Circuit court, Environnement, Fiche

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Publication

1 juin 2019

Modification

13 novembre 2023 14:42

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