Gouvernance alimentaire locale et austérité


À l’échelle locale, l’élaboration des politiques publiques fait de plus en plus intervenir plusieurs paliers gouvernementaux ainsi que des acteurs civils. On parle alors de « gouvernance ». La gouvernance locale entretient la promesse d’une démocratie plus participative, elle désigne un mode de gestion, un processus qui associe diverses parties prenantes au-delà des administrations ou des représentants des secteurs concernés. Dans ce mouvement, les politiques publiques se territorialisent et affichent une sensibilité croissante aux spécificités locales. Toutefois, le contexte est marqué aussi par des politiques d’austérité qui se sont imposées et font suspecter que l’engouement autour d’une gouvernance plus participative pourrait être une tentative des États de se déresponsabiliser en laissant les communautés porter seules la responsabilité de leur développement. La gouvernance locale pourrait aussi masquer l’existence de rapports de pouvoir dans les communautés.

Dans ce contexte, cet article questionne le potentiel de développement et de transformation du système alimentaire d’un mouvement pour les produits locaux. Il s’inscrit dans un contexte de gouvernance alimentaire locale encore balbutiante et de néolibéralisme. Le concept de « configuration », issu des travaux du sociologue Norbert Elias (1897-1990), est mobilisé pour étudier le système alimentaire. Le concept permet d’étudier la coordination entre des groupes d’acteurs interagissant de façon dynamique (à l’instar des équipes de football lors d’un match). Son étude met en évidence la construction sociale du « local » ainsi que les asymétries dans le pouvoir des acteurs selon le rôle qu’ils occupent dans les configurations d’acteurs.

Résultats

L’article repose sur une enquête qualitative (plus de 50 entrevues) menée entre 2014 et 2018 dans la municipalité de Kirklees en Angleterre. Cette municipalité comprend une zone urbaine au nord, une zone rurale au sud. La gouvernance locale s’y est imposée comme approche et sur le plan alimentaire, des organisations ont commencé à promouvoir un système localisé et intégré, reposant sur diverses valeurs, la préservation de la terre, la santé et l’éducation citoyenne. L’article montre à travers divers exemples que ce mouvement est entravé dans son développement, par la priorité accordée au développement économique, par les politiques d’austérité et par la relative faiblesse de sa configuration d’acteurs.

Les difficultés relevées par les auteurs pour que le mouvement en faveur d’une relocalisation du système alimentaire se renforce et transforme le système alimentaire de Kirklees ont au fond deux origines.

La première concerne les divergences internes. Ces divergences viennent de divers désaccords. Qu’est ce qui doit être ou non considéré comme local ? La rhubarbe de la région voisine est-elle locale ? La boulangerie artisanale de Kirklees, pourtant très investie dans le mouvement, est-elle cohérente avec ce qu’elle revendique alors que ses farines proviennent d’endroits relativement éloignés voire même sont importées ? Pour les agriculteurs de la localité, une stricte conception du local (comme étant le plus proche) devrait être adoptée. Mais alors, d’autres désaccords se manifestaient concernant les pratiques de production, de stockage et de transformation, voire même entre des objectifs de santé publique et des objectifs de soutien à l’agriculture locale. L’exemple de la restauration dans les écoles de la ville est éclairant. Les choix en faveur des produits bios sont contestés par les agriculteurs conventionnels locaux. L’attention portée à la diversité des élèves (dont presque le quart sont originaires du Pakistan) est elle aussi remise en cause dès lors que cela contribue à élargir la géographie des approvisionnements.

La seconde concerne les conséquences de ce que les auteurs appellent le néolibéralisme et les politiques d’austérité. En effet, ces politiques ont eu pour effet, par exemple, que le financement des projets des organismes de promotion de produits locaux a été coupé ou supprimé. Ce fut le cas de l’organisme ayant mis en place, et avec succès, l’approvisionnement local des écoles. Cette coupure a menacé la pérennité du système alimentaire local qui se développait. Les autres options de financement qui se sont présentées imposaient des conditions inspirées par les priorités néolibérales d’alors (par exemple, focus sur la réduction de la pauvreté par une approche individualiste plutôt que systémique, focus sur le gaspillage alimentaire). Les promoteurs de produits locaux ont dû s’adapter à ces nouvelles conditions de financement, au risque de mettre à mal l’authenticité même de leur projet initial et la nature parfois contestataire de leurs revendications.

Les enseignements

Cette recherche souligne un aspect assez peu documenté, mais que de nombreux militants connaissent, à savoir que les alternatives de relocalisation alimentaire s’appuient sur une nébuleuse d’organisations ou d’individus, unis par le souhait de favoriser le « local », mais pouvant considérablement diverger sur ses caractéristiques. La lecture en termes de configuration montre que cette situation constitue une faiblesse en face de configurations d’acteurs peut-être moins nombreux, mais plus soudés et orientés vers des objectifs économiques et marchands laissant moins de place aux désaccords. Cette asymétrie est renforcée par les politiques d’austérité, qui soutiennent au fond les acteurs établis et menacent le potentiel de transformation du système alimentaire local. Ce constat fait dire aux auteurs que le « local » n’est sans doute pas le meilleur vecteur pour valoriser le caractère flexible des alternatives et que des configurations d’acteurs, débordant les territoires au-delà du local, auraient un plus fort potentiel de transformation des systèmes alimentaires.

pdf N°8, fiche n°2 - décembre 2019 - janvier 2020

Fiche n°2, Bulletin n°8 – décembre 2019 – janvier 2020
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 27 octobre 2023 11:18
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Gaspillage alimentaire, Financement, Fiche

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Publication

1 décembre 2019

Modification

13 novembre 2023 13:36

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