Social ou commercial ? L’entrepreneuriat dans les systèmes alimentaires localisés


Une pluralité d’acteurs, d’actrices et d’organisations interviennent dans les systèmes alimentaires localisés. Pour transformer de façon durable le système alimentaire conventionnel et répondre à une demande croissante de produits locaux, les initiatives entrepreneuriales relevant des systèmes localisés se doivent d’être viables économiquement. Toutefois le risque que cet aspect commercial, axé sur la recherche du profit, dénature le mouvement et minimise l’impact social, est souvent évoqué.

Pour dépasser cette opposition qui leur semble peu réaliste, les auteurs placent les initiatives entrepreneuriales sur un continuum social‐commercial où varient la situation du marché, la mission de l’entreprise, les ressources mobilisées et la façon de mesurer les performances. L’enquête menée auprès de plusieurs entreprises investies dans un système alimentaire localisé du sud‐ouest de l’Arizona, révèle des combinaisons synergiques de caractéristiques commerciales et sociales structurant ce système alimentaire dans sa forme (son organisation) et dans ses fonctions.

Viabilité économique et impact social dans les systèmes alimentaires localisés

L’existence d’un entrepreneuriat social est reconnue. Il est souvent présenté comme séparé de l’entrepreneuriat commercial : ce dernier vise un impact social alors que le commercial vise le profit. En réalité, selon les auteurs, la recherche du profit peut aussi avoir un impact social et la recherche d’un impact social peut être soutenue par celle du profit. Sur le continuum commercial‐social adopté par les auteurs, les activités purement commerciales se caractérisent par des opportunités de marché à exploiter, une mission consistant à capturer de la valeur économique, une facilité à mobiliser des ressources et une préférence marquée pour les indicateurs quantitatifs de performance. Comme en miroir, les activités purement sociales se caractérisent pour leur part par des défaillances de marché à lever, la création de valeur sociale, des contraintes pour mobiliser les ressources, une dépendance aux contributions altruistes et une combinaison d’indicateurs qualitatifs et quantitatifs de performance.

Ce cadre d’analyse a été mobilisé pour étudier des entreprises dans le sud‐ouest de l’Arizona où les circuits courts sont très présents. 36 entretiens ont été menés avec des chefs d’entreprise venant de la production (11), de la vente (19), d’organisations intermédiaires comme des responsables de marchés fermiers (5) et une journaliste responsable du plus grand magazine sur les produits alimentaires locaux de la région.

Les résultats

Deux groupes de résultats se dégagent : 1) ceux des entreprises de production et de vente 2) ceux des organisations intermédiaires et de la journaliste.

1. Au niveau de la production et de la vente

Toutes les entreprises de production ou de distribution enquêtées sont essentiellement commerciales. Cependant, à l’examen des caractéristiques de l’entrepreneuriat, certains traits typiques de l’entrepreneuriat social apparaissent. Quatre exemples sont particulièrement éloquents.

i) Le cas d’une éleveuse de chèvres qui indique la fourniture d’aliments santé comme sa vraie mission mais qui a renoncé à constituer une entreprise sans but lucratif à cause des problèmes de mobilisation de ressources.

ii) Le cas d’un couple, produisant et commercialisant de la salsa fraiche à base de produits locaux, qui, tout en reconnaissant avoir saisi une opportunité de marché lui permettant de vivre de sa production, se dit soucieux de la santé des consommateurs et prêt à renoncer éventuellement à une part de son profit pour avoir plus d’impact.

iii) Un producteur en serre qui reconnait l’importance du profit pour sa pérennité et sa croissance, mais inclut des préoccupations pour la santé et l’environnement dans sa mission et évalue sa performance également par le fait d’inspirer d’autres producteurs à faire de même.

iv) Une productrice de ceviche et de guacamole qui souligne les difficultés à avoir sa propre cuisine mais qui a finalement trouvé un arrangement pour louer la cuisine d’un restaurateur soucieux de soutenir les produits locaux.

2. Au niveau des organisations intermédiaires

A ce niveau, presque toutes les entreprises ont une stratégie les rapprochant fortement de l’entrepreneuriat social. Deux entreprises seulement, le magazine et un marché fermier, ne sont pas des organismes à but non lucratif. Les responsables de ce marché visent le profit et certains conflits sont nés à cause de la place importante accordée à des initiatives non alimentaires (artisanat, arts). Quant à la journaliste responsable du magazine, elle formule clairement des préoccupations d’ordre social (gratuité du magazine dans certains cas, indicateurs qualitatifs de performance, mission où la promotion des initiatives locales a une place importante). De même, les organisateurs et organisatrices des marchés fermiers à but non lucratif (dont un est géré par une banque alimentaire) et d’une structure d’Agriculture Soutenue par la Communauté présentent des caractéristiques commerciales qui montrent que la séparation n’est pas totalement nette entre le commercial et le social : revenus servant à financer une réserve environnementale, objectifs d’amélioration de la viabilité financière de petites fermes, …

Il ressort de l’analyse une grande diversité de combinaisons entre caractéristiques sociales et commerciales, mais aussi, dans beaucoup de cas, une synergie entre ces dimensions de l’entrepreneuriat au sein du système alimentaire étudié.

Les enseignements

L’entrepreneuriat dans les systèmes alimentaires localisés combine de façon complexe à la fois des caractéristiques commerciales et sociales. Celles‐ci peuvent certes entrer en conflit, mais dans beaucoup de situations, elles peuvent aussi se compléter, ce qui justifie de les analyser dans une perspective continue plutôt que binaire.

pdf N°1, fiche n°2 - octobre 2018 ‐ novembre 2018

Fiche n°2, Bulletin n°1 – octobre 2018 – novembre 2018
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 9 novembre 2023 15:37
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Circuit court, Environnement, Relève, Financement, Fiche

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Publication

1 octobre 2018

Modification

10 novembre 2023 07:42

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