Manger et acheter local, bon pour le moral ?

La question du bonheur au travail fait l’objet d’enquêtes dans diverses professions. En agriculture, les enjeux relatifs au stress, aux problèmes de santé mentale et au suicide sont bien documentés. Au Québec, les préoccupations quant à la santé psychologique des agriculteurs ont donné lieu à la mise en place de travailleurs de rang chargés d’intervenir préventivement dans les familles agricoles.

Dans la littérature sur les circuits courts, on s’intéresse de plus en plus à la satisfaction au travail des agriculteurs. En revanche, les effets psychologiques, bénéfiques ou néfastes, imputés aux circuits courts sont peu étudiés chez les consommateurs. Les auteurs de cet article comblent ce vide en étudiant les effets de la participation à diverses initiatives alimentaires de proximité. Pour ce faire, ils comparent une population de participants (n=280) à une population de non participants (n=144) au Royaume-Uni. Les auteurs réalisent ainsi un travail pionnier en documentant pour les consommateurs, la relation entre participation à un réseau alimentaire alternatif et bien-être. Ils proposent un modèle causal qui fait intervenir les effets de cette participation sur le régime alimentaire, le contact avec la nature et la satisfaction de certains besoins psychologiques (notamment, l’autonomie, la reconnaissance de ses compétences et les interactions sociales de proximité).

Participation et bien-être

Les auteurs utilisent trois échelles de mesure différentes comme indicateurs du bien-être. Deux sont positives (traduisent directement la présence d’un sentiment de bien-être) : une échelle de bien-être mental, une échelle de satisfaction dans la vie. La troisième est négative (exprime le contraire du bien-être): c’est une échelle de dépression-anxiété. Pour la participation, ils considèrent d’une part les différences entre participants et non-participants, d’autre part le profil ou le rôle du participant (consommateurs, administrateurs ou organisateurs) ainsi que l’ancienneté (la durée) de la participation, en années.

Le chemin menant de la participation au bien-être

Avant de dégager un modèle qui explique le lien entre la participation dans les initiatives d’alimentation locale et le bien-être des participants, les auteurs ont procédé à certaines simplifications. Ainsi, ils ont trouvé que la participation à ces initiatives favorise l’adoption de régimes alimentaires sains (avec suffisamment de fruits et légumes), un sentiment de connexion avec la nature ainsi que le sentiment que certains besoins psychologiques de base sont comblés (autonomie, sentiment de compétence et sociabilité). Ces variables ont donc été retenues pour la suite de l’analyse. Cependant, ils n’ont pas trouvé de lien entre la participation et l’exercice physique, cette variable a donc été écartée. Parallèlement, du fait que les bénéfices en matière de bien-être mental et de satisfaction dans la vie revenaient souvent ensemble dans les résultats, ils ont choisi de fusionner ces deux indicateurs en un indicateur unique de bien-être.

Globalement, les résultats montrent que les participants à des initiatives alimentaires de proximité affichent un sentiment de bien- être mental et de satisfaction dans la vie plus fort que les non participants. En revanche, aucune différence n’a été trouvée entre les deux groupes en matière d’anxiété ou de dépression. Le meilleur score de bien-être mental et de satisfaction dans la vie est obtenu chez les participants les plus actifs (à savoir, les organisateurs). L’ancienneté dans le milieu est quant à elle associée à une augmentation de la satisfaction dans la vie et à un à plus faible niveau de stress (sur l’échelle d’anxiété et de dépression). Les auteurs sont par ailleurs parvenus à établir un lien positif entre participation dans les systèmes alimentaires alternatifs et la qualité du régime alimentaire, la connexion avec la nature et la satisfaction des besoins psychologiques. Enfin, ils ont trouvé une association significative entre ces bénéfices et l’indicateur unique de bien-être. Ils proposent donc de considérer que c’est en favorisant l’adoption d’un régime alimentaire santé, le contact avec la nature, un sentiment d’autonomie, de compétence et de reconnaissance sociale que les systèmes alimentaires de proximité contribuent au bien-être de leurs participants.

Les enseignements

Cet article aborde une question encore peu étudiée dans les circuits alimentaires de proximité, celle de la satisfaction psychologique ou du bien-être que les participants en retirent. Nous avons-nous-mêmes publié récemment les résultats préliminaires d’une recherche conduite dans l’ensemble du Canada, auprès des agriculteurs en circuits courts, pour étudier leur degré de satisfaction dans l’exercice de leur métier, compte tenu des spécificités des circuits courts. Plusieurs défis relatifs au stress, à la pénibilité du travail et à la juste rémunération avaient été identifiés. Au fond, nos résultats montraient dans l’ensemble un niveau élevé de satisfaction des agriculteurs en circuits courts quant à leur bien-être, mais témoignaient aussi du fait que les circuits courts ne permettaient guère de réduire le stress lié à l’activité. Vu du côté des consommateurs, les résultats de cette recherche vont dans le même sens. Acheter dans des circuits alimentaires de proximité est lié à une amélioration de certains indicateurs liés au bien-être, et l’intensité de ce bien-être augmente avec l’ampleur de la participation. En revanche, cette participation n’est pas liée à une réduction plus globale du stress, lequel dans le cas des consommateurs, peut avoir de multiples origines personnelles ou professionnelles.

Cela dit, cette recherche confirme aussi divers effets positifs des circuits alimentaires de proximité en termes d’interactions sociales de qualité, d’autonomisation et de valorisation des compétences. Cela conduit les auteurs, spécialistes de la santé psychologique, à considérer que les politiques publiques de soutien aux circuits alimentaires alternatifs ont des effets positifs jusque dans la santé mentale de la population.

pdf N°12, fiche n°4 - août 2020 - septembre 2020

Fiche n°4, Bulletin n°12 – août 2020 – septembre 2020
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Ce bulletin vous est offert avec le soutien du Partenariat canadien pour l’agriculture.

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Bulletin de veille bibliographique sur l’agriculture de proximité
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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 23 octobre 2023 18:08
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Santé mentale, Fiche

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Publication

1 août 2020

Modification

10 novembre 2023 11:19

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