Le bénévolat au secours du maraîchage intensif sur petite surface ?

En Belgique, on les appelle les « nimaculteurs », nima pour non issu du monde agricole. Ce mouvement, largement présent au Québec dans le monde du maraîchage bio-intensif se caractérise par l’exploitation de très petites surfaces. Cette forme de production nécessite peu de capital (moins de terres et de machines), mais est très intensive en travail. Dans le cas des nouveaux agriculteurs, peu expérimentés, et qui doivent réussir le démarrage de leur entreprise agricole, des besoins spécifiques s’ajoutent. Le bénévolat apparait alors comme un élément de réponse à ce besoin de main-d’oeuvre. Protéiforme, le bénévolat peut tantôt impliquer des membres de la famille, tantôt, par exemple, formaliser un rapport avec les consommateurs ou le grand public. En utilisant les techniques de l’ethnographie (observation participante et entrevues), cette recherche, conduite dans un espace-test péri-urbain de la région bruxelloise où les autorités encouragent la relocalisation de l’agriculture, revient sur les avantages et les spécificités du recours au bénévolat pour ces « nimaculteurs » démarrant des projets maraîchers sur de petites surfaces.

Le bénévolat : entre main-d’oeuvre et ciment social

S’établir en agriculture, surtout lorsqu’on ne jouit pas de l’appui et l’expérience accumulés par ses parents et grands-parents, ce que certains auteurs appellent le « capital familial », reste un défi considérable. On constate pourtant dans de nombreux endroits que ces projets alternatifs sont à l’origine d’une nouvelle dynamique d’établissement en agriculture, à contre-courant de la disparation des fermes et des emplois agricoles dans le système alimentaire conventionnel. C’est pour soutenir ce mouvement que sont nés les « espace-tests », sortes d’incubateurs d’entreprises agricoles qui permettent à un/e futur/e agriculteur/trice de tester son projet. Existant aux États-Unis depuis plus de 25 ans, en France depuis une douzaine d’années, ces incubateurs sont plus récents au Québec (voir par exemple la plate-forme agricole de l’Ange-Gardien) et en Belgique, lieu de cette recherche. C’est auprès de ce public que les auteurs sont allés analyser les besoins en travail.

Malgré le soutien apporté par l’espace-test, ces futur/es agriculteurs/trices rencontrent de multiples difficultés. Des investissements considérables restent à faire, dans un délai très court. Manquant d’expériences, ils et elles doivent procéder par essais-erreurs, gérer les imprévus et les incertitudes, s’occuper non seulement de la production mais aussi de l’administration et de la commercialisation. La charge de travail devient vite énorme et peut conduire à la frustration et au découragement. Le recours au bénévolat apparait alors crucial. Les auteurs ont analysé 6 projets d’entreprise agricole en phase d’établissement sur deux ans (soit 12 observations), tous ces projets avaient recours à du bénévolat et son importance s’étendait de 4% à 47% du volume total d’heures de travail avec une moyenne de 22%. Cependant, les personnes rencontrées sont nombreuses à souligner que toutes les heures ne sont pas égales, étant donnée l’inexpérience des bénévoles.

En plus de l’apport de main-d’oeuvre, l’aide des bénévoles a un impact positif sur le moral des agriculteurs et des agricultrices qui en bénéficient. Plusieurs le soulignent. Cette aide est présentée comme une source de satisfaction et de motivation, un « support mental », créateur d’un « lien social » qui libère du sentiment d’isolement et permet d’entretenir des conversations ou d’échanger des savoirs. Curieusement, l’entraide entre les différents porteurs de projets sur l’espace-test reste rare. Et ce sont donc les bénévoles qui dans bien des cas viennent rendre un service déterminant. Chacun/e a sa propre stratégie de recrutement. Le bénévolat peut être sollicité de façon massive et ponctuelle (par exemple dans le cadre d’un chantier spécifique). Il peut être encadré formellement dans un contrat (production et gestion des cultures) ou tout simplement consister en une aide occasionnelle. L’espace-test lui-même reçoit des candidatures de personnes qui offrent leur temps, par exemple pour se former au maraîchage. Contrairement à ce qu’il se passe plus classiquement en agriculture, ce bénévolat repose principalement sur un appui non familial.

Diverses questions restent toutefois ouvertes sur les meilleures pratiques à adopter sur le moyen et le long terme. Faudra-t-il accroître le volume de bénévolat à mesure que l’entreprise croit ? Certain/es pensent qu’il faudra apprendre à s’en passer parce que cette dépendance renvoie une image négative du maraîchage bio-intensif. D’autres au contraire estiment que cela fait partie du projet économique et social d’associer les mangeurs à la production et de multiplier les occasions d’échanges et de rencontres. Et les bénévoles eux-mêmes ont aussi leurs propres attentes (par exemple, des besoins en matière d’encadrement), ce qui vient relativiser le caractère « gratuit » de l’aide offerte aux yeux des agriculteurs. À ces considérations témoignant de visions différentes, s’ajoutent des questions juridiques. Le recours au bénévolat n’est-il pas une forme de concurrence déloyale vis-à-vis de ceux qui n’en bénéficient pas ? En Belgique, il peut être assimilé à du travail « au noir » lorsqu’il n’est pas familial, ce qui pose d’autres problèmes quant à sa gestion.

Les enseignements

Le bénévolat est une réalité dans de nombreuses fermes. Les « nimaculteurs » pouvant moins facilement compter sur une aide familiale, déploient d’autres stratégies, comme l’appel aux bénévoles, pour compenser leurs besoins en main-d’oeuvre, surtout en phase d’établissement. Mais manifestement dans les cas étudiés ici, le bénévolat ne peut se réduire à un simple apport de travail. Il est présenté par plusieurs comme une source de motivation et de satisfaction, s’inscrivant pleinement dans les relations sociales différentes, moins marchandes et reposant sur le partage, recherchées dans les systèmes alimentaires alternatifs. Des inquiétudes et des questions demeurent toutefois quant à sa véritable nature : est-il vraiment gratuit? Les bénévoles se font-ils exploiter ? Dans quelle mesure peut-on évaluer la vraie rentabilité des projets de maraîchage intensif sur petite surface si celui-ci ne peut fonctionner qu’avec du bénévolat ? Des questions importantes alors que les candidat/es à l’établissement sur ce type de système n’ont jamais été si nombreux.

pdf N°13, fiche n°2 - octobre 2020 - novembre 2020

Fiche n°2, Bulletin n°13 – octobre 2020 – novembre 2020
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 19 octobre 2023 16:08
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Publication

1 octobre 2020

Modification

10 novembre 2023 10:39

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