Les pactes de collaboration par Daniela Ciaffi

Communagir, le TIESS et Espace Muni ont organisé un séminaire le mercredi 14 juin 2023 dont l’intention était de croiser les regards, les analyses et les expériences pratiques autour de la gestion partagée des communs dans le contexte de la transition sociale et écologique.

Une vingtaine d’organisations et de personnes issues du monde de la recherche étaient invitées afin de permettre à la fois une diversité de regards et un certain approfondissement des échanges.

Le pacte de collaboration

En 2001, en Italie, la Constitution de la République a été modifiée pour introduire un nouvel article : la subsidiarité horizontale. Cette disposition vise à permettre l'autonomisation des citoyens, tant au niveau individuel qu'associatif, en leur reconnaissant le droit de contribuer à leur bien-être et à l'intérêt général. Il s'agit d'une précision importante, car c'est alors l'autonomie des individus ou des associations qui prévaut sur celle de l'État.

Qu'est-ce que le pacte de collaboration ?

C'est un outils souple, limité dans le temps, qui sert de cadre légal aux pratiques sociales informelles. Le pacte de collaboration permet par exemple aux habitant·es de réaménager des jardins ou des parcs, de créer de nouveaux mobiliers publics, de récupérer des biens culturels abandonnés, d'organiser des évènements ou de concevoir des services publics pour toustes. - LABSUS (LABSUS)

Les pactes de collaboration offrent ainsi à la ville la possibilité d'autoriser les résident·es actif·ves à prendre soin de leur environnement urbain et des biens communs

La reconnaissance légale d'un phénomène déjà existant

Avant la création de pacte de collaboration, il n'existait pas de mécanismes permettant aux villes italiennes de conclure des collaborations avec des groupes informels. Pourtant, de nombreux individus contribuent activement au bien-être de la société sans être formellement organisés en association. On peut penser à des groupes de parents qui dynamisent leurs quartiers ou à des groupes de jeunes qui organisent spontanément des spectacles de musique dans les rues.

Les fonctionnaires municipaux étaient alors confrontés à un nombre croissant d'habitant·es souhaitant contribuer à prendre soin de leur ville, mais qui se retrouvaient contraints  à systématiquement devoir se constituer formellement en association.

Cette exigence de formalisation décourageait bon nombre de personnes à s'investir concrètement pour prendre soin de la ville.

Pour Daniela, cartographier les habitant·es actives sur un territoire est un processus essentiel, permettant de démontrer aux élu·es l'existence du potentiel pour favoriser l'émergence de communs et d'espaces de communalisation.

Transition vers une démocratie contributive plutôt que décisionnelle

Les pactes de collaboration permettent ainsi de passer d'une démocratie fondée sur la prise de décision à une démocratie fondée sur le "faire ensemble".

L'approche contributive des communs permet ainsi de collaborer avec des populations plus marginalisées qui n'ont que peu d'expérience de participation à des processus décisionnels et qui se sentent souvent plus à l'aise dans une approche du "faire ensemble".

Un long processus de création

Initialement créée sous forme de projet pilote, il a fallu huit ans pour approuver la création du premier pacte de collaboration. Un grand nombre de propositions et d'idées ont été reçues. Cependant, malgré que les pactes spécifient que les projets doivent être d'intérêt général, de nombreux résident·es ont proposé des projets d'intérêts privés. Un travail intensif de co-design a été nécessaire pour amener les personnes à s'engager dans des projets d'intérêt général.

Aujourd'hui, il y a plus de 200 municipalités au travers l'Italie qui sont en processus d'institution de ces pactes de collaboration et plus de 7000 pactes de collaboration ont été signés.

Qui s'implique dans les pactes de collaboration ?

Actuellement ce sont surtout des personnes privilégiées qui s'impliquent dans des pactes et en proposent. Cela n'est pas suprenant, car il est nécessaire d'être éduqué sur les droits afin de connaître ce nouveau droit.

Besoin de sortir de la dichotomie État-marché

Ensuite, on constate le besoin de sortir du paradigme "tout à l'État" ou "tout au marché". En effet, lorsqu'on pose la question: "Pensez-vous avoir le droit de prendre soin de votre ville ?" la plupart du temps, les gens répondent par la négative.

Si c'est un bien privé, on se dit que c'est le propriétaire qui en est responsable. Et si c'est public, on se dit que je paie déjà pour que la ville s'en occupe. Il est donc nécessaire de briser notre façon de penser afin de sortir de cette dualité.

Besoin de créer des alliances imprévues

Depuis l'instauration des pactes de collaboration, on constate que le rôle de l'acteur public consiste à créer des alliances imprévues. Les fonctionnaires ont la possibilité d'inventer de nouvelles alliances entre les porteurs de projets et les populations marginalisées. Par exemple, ils ont vu naître des collaborations tout à fait innatendues entre un groupe de femmes privilégiées qui s'est vu attribuer un local dans un quartier défavorisé. 

Un financement davantage issus des fondations

Pour l'instant, ce sont des fondations d'origine bancaire qui les aident. L'État est davantage engagé dans les services publics traditionnels. Ce sont donc d'autres institutions, moins liées aux services publics, qui sont ouvertes à davantage d'innovation sociale.

Cependant, la gestion conjointe des services publics a été mise en valeur pendant la pandémie, démontrant que le secteur tertiaire a un grand potentiel d'action. Il est important que le secteur tertiaire puisse contribuer davantage à la co-conception des services publics.

Est-ce qu'il y a un budget associé à ces pactes de collaboration ?

Habituellement non. Cependant, si un projet spécifique est soutenu par une fondation, un soutien financier peut alors être fourni.

Parfois, des fonds publics sont gérés par la municipalité peuvent être engagés dans le pacte. Cependant, il ne s'agit pas d'un budget participatif, mais plutôt du budget du service municipal. On pourrait imaginer que durant la troisième année du pacte, le service municipal décide avec les citoyen·nes des végétaux qui seront achetés. Il est important de souligner que les résident·es ne peuvent pas effectuer un travail pour lequel un·e employé·e est déjà rémunéré·e.

Dans certains cas, des budgets restreints ont été expérimentés. Par exemple des participant·es à un pacte ont eu droit à un remboursement de 500 euros. Étonnament, très peu de personne en ont fait la demande.

Occasionnellement, ils expérimentent des projets de détaxation. Par exemple, si je fais partie d'un pacte de gestion des matières résiduelles, en tant que citoyen·ne, je peux bénéficier d'une exonération fiscale.

Parfois, ils mettent en œuvre des projets spéciaux auxquels seront associés un budget.

Combien de temps dure les pactes de collaboration ?

Lors de la création d'un pacte, la durée est définie. En moyenne, celle-ci s'élève à 1,5 an. Par la suite, le pacte peut être renouvelé. Dans le cas d'un pacte complexe, tel que le remplacement du toit d'une église, la durée peut s'étendre sur 15 ans.

Est-ce que la formalisation des communs qui préexistaient aux pactes a été transformée par ces derniers ?

On observe plutôt le contraire. La formalisation est souvent perçue comme une célébration par les personnes concernées. Les individus aspirent à être reconnus, et pour les résident·es de la rue, signer un pacte revêt une signification particulière.

Il est vrai que parfois, un pacte, surtout s'il est difficile à conclure, peut étouffer l'esprit de participation.

Il convient de prêter attention à la dimension juridique, car elle peut avoir des conséquences considérables sur les dynamiques civiques. Lorsque nous évoquons le "droit à la ville", il est nécessaire de collaborer avec des juristes, car il s'agit véritablement d'une question de droit.

Daniela a eu l'occasion de rencontrer des "juristes de rue" qui ont changé le narratif: nous avons le droit de prendre soin d'un petit jardin abandonné, plutôt que de travailler dans un jardin déjà magnifique. Il est essentiel d'examiner également les aspects liés aux assurances, qui sont financées par la municipalité.

Comment dépasser la simple notion de rassemblement ?

Les communs reposent sur le souci de prendre soin d'un jardin et la volonté de produire des tomates...

Cependant, après deux ans, les tomates importent peu ; ce sont les nouvelles amitiés et les activités sociales qui revêtent une réelle importance. Ils permettent de redynamiser une société liquide et de rompre avec l'atomisation des individus.

Ils ont rencontré des personnes exceptionnelles qui auraient pu être chefs d'entreprise, mais qui font face à une grande solitude.

Leur bureau de subsidiarité crée des espaces de collaboration non hiérarchiques, où ils sont quatre, cinq, voire six personnes à travailler différemment et à échapper à leur solitude.

Références complémentaires

Entrevue avec la délégation française

Qu’est-ce que sont les pactes de collaboration entre citoyens actifs et responsables publics et qu'est-ce que l’administration partagée des biens communs? Pour comprendre cela, le mieux est de faire un voyage à Bologne et dans l’aire métropolitaine de Turin, comme dans le projet européen Enacting the Commons. Cette vidéo a été réalisée grâce à la contribution du Politecnico di Torino pour présenter une session de la conférence internationale "Vous avez dit espace commun?" à Saint Etienne en novembre 2019.

Lectures recommandées par Daniela Ciaffi

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Pour un plan de relance de l'Europe qui encourage la subsidiarité horizontale

Les plateformes numériques coopératives françaises veulent faire parvenir les ressources du Plan de Relance européen à ceux qui sont concernés pour l'intérêt général.

Daniela Ciaffi interviewe Nicole Alix, présidente de La coop des Communs, et Jean-Louis Bancel, président de Coop.fr et Cooperatives Europe

Comment est née cette interview ? Il y a environ six mois, Gianluca Salvatori a écrit sur Vita un article encourageant le gouvernement italien à s'inspirer de la France: «Le plan français d'utilisation des fonds Next Generation EU part d'un constat: l'économie sociale est l 'une des clés de lecture de toute la stratégie de relance. Ce n'est pas un secteur parmi tant d'autres qui allouer une fraction des ressources disponibles, mais un modèle économique». A partir de là, nous nous sommes demandé si, et comment, même les Français actifs sur les biens communs seraient soutenus économiquement. Nicole Alix , présidente de la Coop des Communs, et Jean-Louis Bancel, président de Coop.fr et Cooperatives Europe, nous vous invitons à comprendre un peu mieux ce qui se passe au-delà des Alpes, nous vous invitons à former une masse critique auprès des décideurs européens pour que les logiques subsidiaires horizontales puissent également inspirer les politiques de lutte contre la crise pandémique.

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Administration partagée : la France et l'Italie toujours plus proches

Les militants, acteurs publics et universitaires français qui regardent avec intérêt l'expérience italienne. De 2015 à aujourd'hui, l'approche de l'administration partagée des communs a de plus en plus intrigué les actifs français sur les communs, notamment certains d'entre eux engagés dans la construction de plateformes de connaissance et d'action. Les échanges entre Labsus et la France sont de plus en plus fréquents, grâce à de nombreuses personnes qui ont compris la signification historique de l'innovation administrative née en Italie. Dans cet article, nous vous en présentons quelques-unes. En fait, nous aimons parler de la façon dont la relation Italie-France a évolué au fil du temps, à quel point elle s'est épaissie et à quel point la relation entre l'Italie et la France mûrit , en commençant précisément par certaines personnes qui s'engagent dans ce but, en décrivant certains contextes – académique, associatif et institutionnel – qui à leur tour la facilitent.

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Biens communs : en France comme en Italie, l'important est de contribuer !

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Les Règlements et Lois pour l'administration partagée des biens commun

Pour consulter le prototype du Règlement pour l'administration partagée des biens communs élaboré par Labsus.

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Les rapports du Labsus

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Intégré par Joël Nadeau, le 23 juin 2023 13:00
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Urbains (espace public, besoin de subsistance), Ville et municipalité, S'inspirer (cas inspirant, utopie réelle), Transformer les institutions, Droit et cadres juridiques

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Publication

23 juin 2023

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8 août 2023 17:27

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