Chine : le concept « un village, un produit »


En Chine, la planification de la production dans les villages a longtemps (depuis 1958) reposé sur des entreprises publiques basées sur la propriété collective. Malgré la réforme économique des années 1980, les villages ont gardé leur influence administrative et économique en se convertissant en entreprises communales et villageoises (ECV), soit des entreprises publiques commerciales supervisées par les gouvernements locaux. Depuis quelques décennies, des villages affichent un intérêt marqué pour l’agriculture. Le concept « un village, un produit » (UVUP), issu du Japon, a été adopté en Chine. Le principe est le suivant : le village se spécialise dans l’offre d’un produit à forte valeur ajoutée, établissant ainsi un lien village-produit. Certes diverses, ces initiatives émergent dans un contexte où l’agrobusiness fondé sur la commercialisation de produits standards, gagne du terrain. L’influence des cadres de village s’érode. Les UVUP peuvent alors être utilisés pour renforcer leurs pouvoirs.

Le mouvement « un village un produit » et les systèmes alimentaires alternatifs

L’analyse des UVUP sous l’angle des systèmes alimentaires alternatifs permet de souligner quatre stratégies socio-spatiales utilisées : le terroir, les réseaux de distribution (dont les circuits courts), le territoire (diversification des produits ou expansion territoriale) et les économies d’échelles, notamment en exploitant des leviers du système conventionnel. Très peu d’UVUP chinois bénéficient d’une protection légale comme indication géographique (IG). De fait, le terroir, la stratégie dominante des UVUP, peut être imité ou contrefait. Dès lors, la mobilisation simultanée de plusieurs stratégies apparait comme un moyen de sécuriser la marque territoriale. C’est ce que révèle, basée sur une vingtaine d’entrevues et une recherche documentaire, l’étude de quatre UVUP dans des villages chinois en milieu péri-urbain.

Résultats

Les quatre villages étudiés (Zhaoqiao à Shangai et Shuangqiao, Banshan et Sanwei à Hangzou) figurent parmi les plus avancés du très prospère Delta du Yangzi. À Zhaoqiao, 90% des terres sont consacrées à la production de pêches réputées pour leur goût. Cette production assure un revenu relativement élevé aux agriculteurs. Les principaux réseaux de distribution sont des marchés saisonniers et des expositions à Shangai. Mais il est courant que des producteurs d’ailleurs en profitent pour venir écouler à bas prix des pêches de moindre qualité. Le manque de diversité, ainsi que la quasi-absence d’économies d’échelle, rendent la marque locale vulnérable.

Shuangqiao, Banshan et Sanwei, consacrent quant à eux, respectivement 90%, 60% et 80% de leurs terres aux productions associées à leur UVUP. Dans le cas de Shuangqiao, une reconversion a permis de passer à un élevage moins intensif de tortues, dans des bassins en plein air. L’appel au terroir met l’accent sur des pratiques présentées comme plus écologiques. Le village a récemment créé une plateforme commerciale en ligne permettant d’éliminer les intermédiaires traditionnels. Le village a un plan de développement de sa production en l’étendant aux territoires voisins. Une coopérative gérée par les cadres du village et des partenariats avec des entreprises constituent diverses stratégies pour conquérir d’autres marchés, au-delà du village.

En ce qui concerne Banshan, une expérience de consommation unique (un festival très achalandé incluant une foire agricole) est mise au service de la promotion de leur pêche comme produit de terroir. Le festival permet ainsi de miser sur la proximité permise par la vente directe du produit. Le village encourage la production de plusieurs variétés de pêche, ce qui conduit à un allongement des saisons et une réduction des risques. Le village étend son contrôle sur la marque par une stratégie d’échelle impliquant un regroupement de l’offre.

Enfin, Sanwei est un village qui a misé dans les années 2000 sur la culture de légumes sous serres. Même si le terroir est ici peu mobilisé (dû fait de la faible typicité des légumes), la production sous serre confère au village un incontestable avantage par rapport aux autres localités. L’offre de producteurs non-membres du village est désormais acceptée. Parmi les légumes cultivés, le céleri est la principale culture et plusieurs variétés sont utilisées. Les produits sont vendus, par l’intermédiaire d’une coopérative, à des grossistes venant de divers horizons.

Ainsi, dans ces villages, diverses stratégies sont plus ou moins combinées. À Zhaoqiao où le terroir est la principale stratégie adoptée, le village perd le contrôle sur l’UVUP, du fait de la confusion introduite par des agriculteurs vendant des pêches de moindre qualité. Dans les autres villages, les progrès sont nets et moins fragiles. La combinaison de diverses stratégies permet aux cadres de capter de la valeur ajoutée pour influencer la production, participer à la redistribution des richesses (par exemple, en investissant dans des infrastructures) et maintenir leur autorité.

Les enseignements

Même si les auteurs n’y font pas référence, ces exemples ne sont pas sans rappeler les systèmes productifs locaux (SPL) observés dans d’autres contextes. La spécificité étant ici le rôle spécifique joué par les cadres des villages. La diversité de stratégies socio-spatiales sécurise les ressources auxquelles ces leaders ont accès. Le concept des UVUP s’est étendu à divers pays d’Asie et d’Afrique. En créant un couple village-produit (ou commune-produit comme en Thaïlande), il peut s’avérer un outil puissant de développement local. Même en présence d’un cadre légal flou entourant les IG, la combinaison de diverses stratégies permet de protéger une marque territoriale. C’est sans doute la contribution la plus remarquable de cette étude. L’hybridation des UVUP avec le système alimentaire conventionnel a été observée dans des systèmes alimentaires alternatifs occidentaux. Mais la capacité de faire voyager ce concept dans d’autres contextes sociaux, comme en Amérique du Nord, reste à explorer.

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Fiche n°4, Bulletin n°4 – avril 2019 – mai 2019
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 8 novembre 2023 10:34
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1 avril 2019

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13 novembre 2023 14:56

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