Peut-on encore parler de système alimentaire alternatif ?


Le terme alternatif utilisé pour désigner des systèmes alimentaires comme les circuits courts, le commerce équitable ou encore l’agriculture biologique est un terme controversé. Initialement employé pour opposer ces démarches au système conventionnel dominant, le terme a rapidement suscité des critiques nourries par deux observations. D’une part, ces systèmes alternatifs sont en réalité hybrides dans la mesure où ils ne rompent pas totalement avec les systèmes conventionnels, mais au contraire s’y articulent selon diverses modalités. D’autre part, ces systèmes ne sont pas à l’abri de la « conventionnalisation », dans le sens où ils sont susceptibles d’emprunter certaines dérives reprochées aux systèmes conventionnels : industrialisation de la production, emploi précaire, pour ne citer que ces exemples. C’est ce que Ronan Le Velly nomme dans cet article : le « problème alternatif ».

Tout en prenant acte de ces observations, l’auteur propose de garder le terme alternatif. Il le justifie en développant la notion de « projet » pour rendre compte de la « promesse de différence » que portent les acteurs qui s’inscrivent dans ces systèmes alternatifs. Puis à travers deux exemples, il souligne comment se déploient concrètement ces projets.

Le problème que pose le terme « alternatif »

Les travaux sur l’hybridation ont montré que dans la pratique il n’y avait pas de démarcation nette entre les systèmes alimentaires alternatifs et le système conventionnel : utilisation courante des deux options chez un même participant, attentes comparables, utilisation des mêmes infrastructures (par exemple abattoirs), etc. La littérature sur la conventionnalisation, a montré de son côté comment des organisations typiques du système conventionnel (par exemple des multinationales de l’agroalimentaire), ont investi des systèmes alternatifs comme l’agriculture biologique ou le commerce équitable. Elle a aussi montré que des réalités traditionnellement associées au système conventionnel (concurrence sur les prix, emplois précaires, etc.) pouvaient se retrouver dans les systèmes alimentaires alternatifs. Soulignant le risque de tomber dans une pensée binaire trompeuse en maintenant la distinction alternatif/conventionnel, plusieurs auteurs ont donc suggéré d’abandonner le terme alternatif. En appliquant son analyse à deux cas d’étude issus du commerce équitable, l’auteur choisit au contraire d’assumer le fait que le caractère alternatif, malgré ses ambiguïtés, doit rester au coeur des analyses des réseaux qui revendiquent leur caractère distinctif par rapport au modèle conventionnel.

La notion de « projet » pour comprendre les systèmes alimentaires alternatifs

Par projet, l’auteur renvoie à un ensemble de « raisons et finalités qu’un collectif se donne pour justifier son existence et orienter son action vers un futur souhaité ». Le collectif mentionné dans la définition peut être divers : organisation, marché, filière, etc. Il va générer un discours (à travers sa charte, ses promotions, etc.) qui établira en quoi il s’avère différent de ce qui existe déjà. Et c’est cette « promesse de différence » qui guidera le choix des règles de fonctionnement que le collectif adoptera. Certaines règles pourront être gardées, mais le collectif sera amené à en créer de nouvelles (des « règles alternatives ») conformes à ses principes et qui matérialiseront sa « promesse de différence ».

La possibilité que des règles habituelles coexistent avec les règles alternatives est donc clairement reconnue par ce cadre d’analyse. A la lumière de cela, l’hybridation entre systèmes alimentaires alternatifs et conventionnel n’est plus forcément un problème, elle peut très bien s’inscrire dans le projet porté par une initiative alternative. Le projet donne sens aux règles adoptées, il sert de guide pour l’adoption des règles, mais il n’est pas pour autant figé. Il vise un horizon souhaité dont les contours peuvent rester flous et les chemins pour l’atteindre être différents.

À l’appui de cette thèse, l’auteur analyse les cas de deux collectifs présents dans le commerce équitable : la fédération Artisans du Monde et l’association Fairtrade International. Dans les deux cas, l’auteur examine les tensions soulevées par la difficulté d’appliquer simultanément tous les principes fondamentaux du commerce équitable. Comment vouloir soutenir les petits producteurs et dépendre en partie des gros volumes fournis par des membres qu’on a du mal à considérer comme des producteurs marginalisés ? Comment concilier l’adoption d’un prix rémunérateur pour les producteurs tout en conservant un prix qui reste cohérent avec le marché ? Ces tensions sont réelles et les réponses apportées peuvent alimenter le discours sur l’abandon du caractère alternatif de ces initiatives. Pourtant, l’auteur montre que ces tensions ne menacent pas l’intégrité de ces mouvements. Elles conduisent les acteurs à négocier, à faire des arbitrages, mais ils évaluent leurs décisions en restant dans l’esprit des principes qui guident leur projet. Ils adaptent leurs règles, mais la promesse de différence reste le principe qui guide leurs actions.

Les enseignements

Cet article apporte un nouvel éclairage sur un débat récurrent : la pertinence ou non du terme « alternatif » pour parler de diverses initiatives alimentaires (dont les circuits courts) qui se situeraient en dehors du système alimentaire conventionnel. La position de l’auteur est claire : parce que toutes ces initiatives ont en commun une « promesse de différence » par rapport au système dit conventionnel, l’usage du terme reste pertinent. S’il est vrai que dans la pratique cette différence n’est pas aussi tranchée, c’est le projet qui, même flou, sert de guide aux acteurs qui l’ont adopté, et permet de lever plusieurs contradictions apparentes. Ainsi, un système alimentaire n’est pas alternatif parce qu’on peut objectivement lui attribuer des indicateurs qui le différencient. Il l’est parce que ses promoteurs s’engagent dans une promesse de différence qui va structurer leurs actions.

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Fiche n°3, Bulletin n°3 – février 2019 – mars 2019
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 8 novembre 2023 17:41
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Circuit court, Biologique, Fiche

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Publication

1 février 2019

Modification

9 novembre 2023 08:25

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