Circuits courts alimentaires et pesticides. Ce que disent les statistiques du recensement agricole aux États-Unis

La question de savoir si l’impact environnemental des circuits courts alimentaires est meilleur que celui des circuits longs est une question récurrente à laquelle des réponses contrastées ont été apportées jusqu’ici. Au fil du temps, les recherches se sont intéressées aux pratiques agricoles, aux effets sur la biodiversité sauvage ou cultivée, à la question des distances parcourues par les produits (food miles en anglais) et à l’efficacité énergétique de la distribution. C’est toutefois cette dernière question qui semble avoir reçu le plus d’attention, et cela de façon disproportionnée considérant que l’étape de la production représente à elle seule 83% des émissions de gaz à effet de serre des systèmes alimentaires. Cet article redirige le focus vers un autre aspect de l’impact environnemental des circuits courts, celui de l’utilisation de pesticides.

Les effets nocifs de l’utilisation intensive des pesticides ont été largement documentés. Sur ce sujet, les circuits courts sont souvent présentés comme vertueux, étant implicitement associés à de bonnes pratiques de production. Pourtant divers auteurs mettent en garde contre cette représentation, du fait de l’absence de preuves suffisantes de pratiques différentes par les agriculteurs en circuits courts. Il demeure que malgré ces controverses, la littérature relève plusieurs dynamiques qui autorisent à postuler un possible lien entre circuits courts et meilleures pratiques environnementales : la forte proportion d’agriculture biologique en circuits courts; la possibilité, même sans certification bio, d’obtenir un prix plus élevé dans ces circuits pour des produits exempts de traitements phytosanitaires; la préoccupation des consommateurs pour leur santé et la préférence qu’ils expriment pour des produits sans pesticides, préférence qu’ils peuvent exprimer dans la relation directe établie avec les agriculteurs. Pour capturer le lien entre circuits courts et pesticides, l’auteur de cette recherche mobilise des outils économétriques et se sert du nombre de fermes en circuits courts, des ventes totales dans ces circuits et de l’évolution des dépenses en pesticides, à travers les recensements agricoles de 1997, 2002, 2007 et 2012 aux États-Unis.

Ce sont donc deux mesures (nombre de fermes et ventes totales) de la popularité des circuits courts qui sont utilisées de façon parallèle. Trois types d’effets sont étudiés : les effets directs de l’expansion des circuits courts; les effets indirects de la période à laquelle le recensement a été réalisé (1997 étant l’année de référence), et les effets de la géographie (en comparant neuf régions). L’analyse révèle une relation négative entre poids des circuits courts et dépenses en pesticides (il y aurait moins de pesticides utilisés à mesure que s’accroit le nombre de fermes ou les ventes en circuits courts), cette relation est stable dans l’espace mais instable dans le temps.

Une moindre utilisation des pesticides réelle mais en hausse

Sur l’ensemble de la période considérée (1997-2012), une relation négative et significative entre l’expansion des circuits courts et les dépenses en pesticides a été observée aux États-Unis, peu importe la façon de mesurer cette expansion (nombre de fermes ou ventes totales en circuits courts). Cette première analyse est toutefois nuancée lorsque le chercheur analyse l’effet simultané du temps et de l’importance des circuits courts. Ainsi, lorsqu’il se base sur le nombre de fermes: la relation négative observée est la plus forte en 1997, ensuite cette relation diminue et même s’inverse en 2012 où une augmentation du nombre de fermes en circuits courts va de pair avec une augmentation dans les dépenses en pesticides. Une tendance similaire est observée si c’est la variable « ventes totales en circuits courts » qui est utilisée (sans toutefois un renversement de situation comme précédemment). Dans les deux cas, aucun effet géographique significatif n’est noté.

Le modèle permet de neutraliser les effets sur l’utilisation des pesticides qui pourraient être dus à des spécificités régionales ou à une réalité particulière aux différentes périodes de recensement. Mais comme le reconnait l’auteur, l’effet causal ne peut être affirmé, du fait que d’autres facteurs ont pu influencer l’utilisation des pesticides. Les types de pesticides utilisés n’ont pas été en pris en compte non plus, faute d’accès à ces informations. Cela dit, la littérature sur les circuits courts permet quand même d’interpréter ces résultats et de souligner la significativité du lien entre participation aux circuits courts et moindre dépense en pesticides. Cela laisse aussi envisager d’autres bénéfices environnementaux indirects, considérant que les agriculteurs qui utilisent peu ou pas de pesticides peuvent être incités à recourir à d’autres pratiques plus respectueuses de l’environnement (comme la rotation des cultures ou le recours à des cultures de couverture). La question la plus intrigante reste sans doute celle de l’affaiblissement au fil des années de l’effet des circuits courts sur la réduction des dépenses en pesticides. La principale explication avancée par l’auteur part du constat qu’à ses débuts l’agriculture biologique et les circuits courts étaient fortement liés aux États-Unis. Mais, selon lui, avec le temps, les valeurs environnementales ont été progressivement reléguées au second plan au profit d’une rhétorique axée sur l’origine locale et la fraicheur des produits. En même temps qu’une séparation plus nette s’établissait entre agriculture biologique et circuits courts, davantage d’acteurs conventionnels (y compris de grandes enseignes) ont cherché à investir les systèmes alimentaires localisés.

Les enseignements

Les résultats de cette étude semblent indiquer que la croissance des circuits courts s’est accompagnée d’une réduction significative des dépenses allouées aux pesticides. La prise en compte de l’évolution de cette relation au cours du temps a cependant montré que la contribution des circuits courts à une agriculture moins intensive en pesticides est instable, fragile et pourrait même s’estomper. L’explication avancée, relative à la montée en puissance du « local » accompagnée d’une mise au second plan des valeurs environnementales, correspond à ce qu’avaient déjà pointé d’autres recherches. À l’instar de l’agriculture biologique qui se « conventionnalise » selon certains auteurs, les circuits courts semblent vivre aussi leur moment de conventionnalisation. Pour celles et ceux qui souhaitent que les circuits courts contribuent à améliorer le bilan environnemental de nos systèmes alimentaires, le slogan adopté par divers acteurs : « bio et local, c’est l’idéal », semble plus que jamais d’actualité.

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Fiche n°1, Bulletin n°10 – avril 2020 – mai 2020
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 25 octobre 2023 08:39
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Circuit court, Environnement, Biologique, Relève, Fiche

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Publication

1 avril 2020

Modification

10 novembre 2023 11:31

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