La logistique des circuits courts

Comment organiser plus efficacement la distribution des produits alimentaires ? Une part de l’attrait des circuits courts repose sur le constat des distances phénoménales que doit parfois parcourir un simple légume dans les circuits longs avant d’atterrir dans l’assiette du consommateur. Les circuits courts, en misant de façon prononcée sur les produits locaux, affichent le projet de reconfigurer la chaine alimentaire en reconnectant - à la fois spatialement et relationnellement - producteurs et consommateurs. Il n’est donc pas étonnant que l’accent ait longtemps été mis sur les kilomètres parcourus par les aliments (food miles) et la comparaison avec le système alimentaire conventionnel. Cet article fait le bilan d’un ensemble de 66 articles publiés entre 2006 et 2019, triés sur le volet (parmi 2306 articles repérés) et abordant de diverses façons la question de la logistique des circuits courts alimentaires. Le portrait qui en ressort indique que « court » n’est pas toujours synonyme de « mieux » sur le plan logistique. Les avantages, quand ils existent, sont souvent conditionnels. Cela dit, à plusieurs égards, il y a un potentiel d’amélioration de la performance économique et écologique des circuits courts encore sous-exploité.

Circuits courts et produits locaux : quelle logistique ?

Cette revue de littérature commence par constater la variabilité de la définition même des phénomènes étudiés : circuits courts, produits locaux. Selon les auteurs, il n’y a pas de consensus autour de ce que signifie « local » pour un produit ou un système alimentaire, ou de ce qui constitue un circuit « court » alimentaire. Par exemple, les définitions d’un produit local qui utilisent le critère de la distance physique fixent arbitrairement le rayon maximal de 30 à 644 km, selon l’auteur ou selon les pays. Certains mesurent cette distance en temps de transport, considérant que de 5 heures à une journée peuvent séparer le producteur du consommateur. Malgré cette variabilité, un terme clé qui revient fréquemment est celui de la proximité entre producteur et consommateur.

Une logistique performante produit non seulement des bénéfices économiques (réduction des coûts de transport et de la consommation d’énergie) mais aussi des bénéfices environnementaux (en limitant par exemple les émissions de gaz à effet de serre). Étant donné le projet des circuits courts de renouer avec une alimentation plus durable, la question de la logistique devient cruciale. La plupart des articles retenus couvrent l’aspect environnemental du problème. Ils utilisent deux grandes approches. Une première mesure l’énergie associée aux déplacements (transport) mais aussi au stockage, à l’administration et à la manutention. Une deuxième mobilise plutôt l’« analyse du cycle de vie » qui suit un produit donné de sa conception à sa consommation (ou même après) pour obtenir des indicateurs de performance pour l’ensemble du système. Aucune conclusion générale arrêtée en faveur ou en défaveur des circuits courts ne peut être tirée, selon les chercheurs, de ces deux courants de recherche.

Ainsi, en ce qui concerne les émissions de CO2 liées au transport des aliments, certaines études avaient initialement conféré un avantage aux circuits courts associé au fait que les produits parcourent une plus courte distance. Mais d’autres analyses ont montré que cette différence s’effaçait selon le critère considéré ou n’apparaissait que dans des conditions particulières. Les déplacements des consommateurs (ce qu’on appelle le dernier kilomètre) ont notamment reçu une attention soutenue. Le problème des consommateurs qui se déplacent en voiture sur de longues distances pour aller récupérer de très petits volumes auprès des producteurs locaux a notamment été mis en lumière. Certains auteurs ont même calculé qu’au-delà de 7,4 km, les tournées des consommateurs émettent davantage de CO2 que les circuits longs. D’autres recherches ont exploré la consommation d’énergie et les gaspillages (possiblement moindres en circuits courts) liés au stockage, à la manutention, à la gestion et à l’emballage des produits.

Une autre voie de recherche explorée a été la localisation des acteurs, l’étude du réseau de relations qu’ils forment dans l’espace géographique et l’optimisation des itinéraires de distribution. Plusieurs indicateurs peuvent être mobilisés pour étudier et comparer la performance d’un réseau de distribution (par exemple, quels sont les meilleurs endroits pour placer un point de ramassage ou un marché fermier ?). Un acteur déterminant s’est aussi progressivement imposé dans ces réseaux de collecte et de distribution en circuits courts. Il s’agit des food hubs (voir fiche no1), qui se donnent pour mission d’agréger l’offre locale pour ensuite faciliter son stockage, sa distribution et sa commercialisation auprès des institutions et des consommateurs. En plaçant la logistique au coeur même de leur démarche, ces initiatives ont le potentiel de conférer un avantage aux circuits courts tout en offrant divers services aux producteurs, en veillant toutefois à ne pas se transformer en simples circuits longs qui oublieraient leur projet alternatif. Les auteurs rappellent aussi, à partir de plusieurs études de cas, qu’à côté des food hubs, il existe plusieurs initiatives innovantes qui tentent de combler les faiblesses des circuits courts en matière de logistique : implication plus forte des consommateurs, mise en réseau des acteurs, coopétition et mutualisation, création de lignes de transport dédiées, plates-formes virtuelles et transport-partage en utilisant les nouvelles technologies.

Les enseignements

La logistique, longtemps talon d’Achille des circuits courts, connaît nombre d’innovations qui renouvellent en profondeur la distribution des produits alimentaires. L’article a le mérite d’identifier les avantages logistiques potentiels des circuits courts et les conditions nécessaires, toujours liées à des initiatives collectives et de mutualisation, pour que ces avantages s’expriment. Ce que nous pouvons aussi rappeler, c’est que le « problème » n’est souvent examiné que par ses effets sur la consommation d’énergie ou les émissions de CO2. Peut-être pourrait-on se poser la question des autres bénéfices que retire une famille qui se rend dans une ferme d’autocueillette ? Si on divise les quelques kilos de pomme rapportés à la maison par la consommation de la voiture familiale, sans doute que le bilan n’est pas optimal. Mais si on y intègre, une demi-journée passée à l’extérieur, les apprentissages, l’exercice physique et le chant des oiseaux, peut-être que cette forme d’approvisionnement mérite la comparaison avec le supermarché ?

pdf N°16, fiche n°3 - avril 2021 - mai 2021

Fiche n°3, Bulletin n°16 – avril 2021 – mai 2021
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 17 octobre 2023 15:27
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Circuit court, Gaspillage alimentaire, Technologie, Fiche

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Publication

1 avril 2021

Modification

14 novembre 2023 14:11

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