Terroirs et construction d’une nouvelle ruralité. Le cas des Laurentides


Le terroir est un terme bien connu au Québec. En plus de référer aux romans dits du terroir qui promouvaient un mode de vie traditionnel, le terroir renvoie, comme ailleurs, à des traditions de production localisées, surtout alimentaires. D’abord associé au vin, puis à toutes sortes de produits, la référence au terroir s’inscrit différemment selon qu’on est en Europe ou en Amérique du Nord. En Europe, l’approche mise sur la protection juridique depuis les années 1880. En Amérique du Nord, le Québec est le premier État à s’être doté d’une loi en ce sens. Cela dit, la plupart des projets québécois liés au terroir ne recherchent pas une protection juridique, mais s’appuient sur la tradition et l’authenticité pour faire valoir une identité régionale et se distinguer de la production industrielle.

Comme tout patrimoine, le terroir est une construction sociale et culturelle. Il n’est pas donné une fois pour toutes sur la base de caractéristiques objectivables et définitives. Reconnaître cela n’est pas remettre en cause son intérêt, ni son potentiel, mais invite à adopter une perspective distanciée et critique. Le terroir se réfère à l’authenticité et à l’identité d’un lieu. Cette authenticité est recherchée en faisant appel à l’histoire. Elle est aussi mise en scène à travers divers évènements (foires, fêtes) qui font appel aux traditions locales et ancestrales et donnent du sens à cette authenticité. L’identité est quant à elle, l’expression du caractère culturel du terroir. Par elle, des liens sociaux se créent et se développent; des questions sociales et politiques apparaissent; des tensions et des enjeux se dessinent. Les auteurs illustrent l’interrelation entre terroir, patrimoine et territoire par l’analyse d’une vingtaine d’entrevues avec des producteurs-artisans de la région des Laurentides au Québec, et sur la base de visites guidées et d’une recherche documentaire.

Les Laurentides

La région des Laurentides se démarque par ses attributs naturels, son histoire (notamment, celle de son peuplement comme résistance à l’exode), d’importantes références culturelles et littéraires (on peut citer la populaire série télévisée Les Belles histoires des pays d’en haut entre 1956-1970, reprise récemment) ainsi que par son offre de loisirs et ses lieux de villégiature. La définition administrative de ce territoire a aussi influencé l’offre des services et la construction d’une identité territoriale. Plusieurs projets de développement régional axés sur le patrimoine et les produits de terroir (dont deux routes touristiques relativement récentes, le Chemin du Terroir et la Route des Belles-Histoires) sont actuellement mis en oeuvre dans cette région.

Résultats

En quoi l’implication des acteurs dans les projets du terroir participe de leurs trajectoires individuelles ? Les entrevues ont révélé que le terroir était tantôt une opportunité pour un projet de retraite ou une seconde carrière, tantôt une motivation à reprendre la ferme familiale, une passion poussant à la recherche de sens et de goûts supposément perdus avec l’avènement de l’agriculture industrielle.

Au niveau des imaginaires collectifs, les entrevues indiquent, surtout dans les Basses Laurentides, que le terroir s’inscrit dans un projet visant à divorcer d’avec un passé douloureux. L’histoire de cette sous-région est marquée par une perte de sens du territoire avec l’avènement d’une production industrielle qui, en plus d’avoir amené une crise identitaire dans le milieu rural, n’a pas tenu ses promesses (la démolition de l’Aéroport international de Mirabel serait le symbole de cet échec). Le terroir est dès lors mobilisé pour dépasser ce rapport difficile avec le passé et combattre le manque de reconnaissance du patrimoine de la région. Pour un des participants, il s’agit même de montrer que la région a une histoire à raconter, que son activité s’inscrit dans un passé dont il est fier.

Dès lors, le terroir apparait comme un moyen de redéfinir le territoire. Pour y arriver, les spécificités historiques de la région, le patrimoine culinaire, le choix des étiquettes des produits dans une démarche de marketing territorial, les compétences communicationnelles des producteurs face à un public parfois exigeant sont mis à contribution. Les routes touristiques jouent aussi un rôle particulièrement important dans ce processus de patrimonialisation en connectant de façon complémentaire les atouts patrimoniaux de la région et l’interaction avec les producteurs-artisans autour des produits du terroir sur un itinéraire donné. Elles contribuent ainsi à tisser de nouveaux liens sociaux entre les acteurs et favorisent le partage des savoirs.

Si les participants voient le terroir comme une façon de résister au système industriel, leur approche n’écarte pas le déploiement du terroir dans un espace entrepreneurial plus large. La pénétration de marchés internationaux peut même être perçue comme un critère de succès et de validation. Cette approche du terroir laisse beaucoup de place à la créativité et à l’innovation en vue d’atteindre des objectifs clairement commerciaux. C’est là toute son ambiguïté : l’histoire, les traditions et l’authenticité sont mobilisées dans une démarche marketing qui peut apparaître bien éloignée de l’imaginaire sur lequel il est construit.

Les enseignements

Cette étude montre, à travers le cas des Laurentides au Québec, le pouvoir fédérateur du terroir dans une communauté. Lorsque mis au service de la (re)définition du territoire en misant sur le patrimoine, le terroir révèle son potentiel productif. Elle souligne aussi les risques souvent relevés de voir le terroir perdre de son authenticité lorsqu’il est mis au service d’une stratégie avant tout commerciale. Fruit d’un bricolage constant entre traditions et innovations, le terroir n’échappe pas à une forme d’instrumentalisation. Mais il permet de mettre en mouvement des réseaux d’acteurs qui rebâtissent grâce à lui l’image d’une région et participent de fait à sa revalorisation.

pdf N°4, fiche n°2 - avril 2019 - mai 2019

Fiche n°2, Bulletin n°4 – avril 2019 – mai 2019
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 8 novembre 2023 09:48
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Publication

1 avril 2019

Modification

8 novembre 2023 17:19

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