IG et environnement. Une étude de cas au Japon

Les IG sont souvent associées au monde des réseaux alimentaires alternatifs, du fait qu’elles s’inscrivent, comme les circuits courts, dans une rupture avec les marchés de masse standardisés. Les IG proposent un produit spécifique, lié à un territoire et ses habitants. Avec la montée des préoccupations environnementales, les IG sont confrontées à de nouveaux défis concernant la prise en compte de l’environnement dans leurs pratiques, voire dans leur cahier des charges.

Dans cet article, les auteurs constatent que peu de recherches se sont intéressées à ce qu’ils appellent les « connaissances écologiques traditionnelles » dans le cadre des IG. Pourtant ces connaissances influencent tant les paysages que la biodiversité. Cet article étudie donc le rôle des populations et de leurs connaissances écologiques dans la durabilité d’une production labellisée par une IG. Il s’agit en quelque sorte d’interroger les relations entre des savoirs culturels liés au produit et les savoirs écologiques liés à sa fabrication.

En Asie, les IG sont récentes et les exigences environnementales, peu présentes. Au Japon en particulier, ce sont typiquement des petites fermes qui les utilisent, principalement dans une perspective de développement rural. Dans ce contexte, il semble plus facile d’isoler une éventuelle relation de cause à effet entre l’IG et la protection de l’environnement, contrairement au contexte européen où d’autres facteurs (comme les subventions aux fermes) peuvent jouer. Les auteurs se sont donc concentrés sur le cas japonais du tonburi. Il s’agit d’une garniture dans la gastronomie japonaise. Sa culture est une spécialité de la ville d’Ōdate (à Akita, au Japon). Ce produit fait l’objet d’une IG depuis mai 2017. A partir d’une recherche documentaire et d’entrevues avec des personnages clés de la région, les auteurs retracent l’histoire de cette culture et analysent comment l’IG a redéfini les rapports des acteurs avec la nature en favorisant le partage des savoirs écologiques entourant le tonburi.

Tonburi : la naissance d’une IG

La mise en avant du caractère local du tonburi d’Ōdate (où la riziculture dominait) a commencé dans les années 1970, dans un contexte de récession économique au Japon, de dévitalisation rurale et de baisse de la demande pour le riz.

Au cours des deux décennies suivantes, la production a connu un boom et le tonburi d’Ōdate s’est imposé comme marque locale. Cependant, depuis les années 2000, Ōdate connait une chute drastique de sa production de tonburi. Du fait à la fois du vieillissement des agriculteurs et de la baisse des prix due à la concurrence chinoise, la production est passée de près de 400 tonnes à 70.

IG et environnement : les effets positifs de l’IG sur le partage des savoirs écologiques

Pour faire face à cette crise, une organisation de producteurs a obtenu l’inscription du tonburi comme IG en 2017. L’effet le plus remarquable de la création de cette IG concerne la dynamique collective de partages de connaissances qui s’est mise en place. Avant l’obtention de l’IG, les savoirs agricoles et techniques, dont ceux relatifs au capital naturel (sols, eau, climat, contrôle biologique, biodiversité), était gardés au niveau des fermes et non partagés à l’échelle de la collectivité. Non seulement cela menaçait la sauvegarde de ces savoirs (surtout avec les problèmes de relève), mais cela empêchait aussi une gestion concertée des différents problèmes environnementaux qui sont apparus au fil des transformations qu’a connues le paysage d’Ōdate. Les précédentes tentatives visant à convaincre les producteurs de partager ces connaissances avaient échoué. Seule la perspective de le faire dans le cadre de l’institution de l’IG a pu les rendre favorables à un tel partage (y compris les nouveaux producteurs).

Les producteurs de tonburi ont dû faire face à de nombreux défis environnementaux au fil des années : typhons, durcissement du sol, perte de biodiversité, etc. Les solutions adoptées pour s’adapter amenaient parfois de nouveaux problèmes environnementaux, comme l’apparition de nouveaux prédateurs ou la perte de biodiversité. D’autant que la priorité donnée à la productivité entraînait une intense mécanisation et un fort usage de pesticides.

Avec l’IG, l’adoption d’une stratégie commune plus respectueuse de l’environnement devient possible, facilitée par le partage de savoirs. Pour de meilleurs sols, le labourage mécanique n’est plus utilisé. Même les pesticides organiques ne sont plus utilisés. Cette évolution plus harmonieuse des pratiques écologiques et des échanges culturels ne relève ni d’une stratégie visant à promouvoir le tourisme ni de l’influence du gouvernement local. En ce sens, les retombées environnementales peuvent être imputées à l’institution de l’IG qui a rendu le partage de connaissances écologiques possibles et a montré aux agriculteurs comment leur capital culturel (les savoirs et savoir-faire liés au tonburi) et leur capital naturel (le support agroécologique permettant la culture du tonburi) étaient interdépendants.

Les enseignements

Cet exemple illustre comment le processus d’obtention d’une IG peut favoriser l’action collective et contribuer à une meilleure gouvernance locale, notamment en ce qui concerne la gestion des « communs » (paysages, ressources naturelles, etc.). Les agriculteurs d’Ōdate ont harmonisé et amélioré leurs modes de cultures et leurs pratiques environnementales sans intervention gouvernementale. Ce cas illustre également l’importance de considérer les connaissances écologiques traditionnelles dans l’élaboration et dans la valorisation des caractéristiques d’une IG.

pdf N°4, fiche n°3 - avril 2019 - mai 2019

Fiche n°3, Bulletin n°4 – avril 2019 – mai 2019
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Ce bulletin vous est offert avec le soutien du Partenariat canadien pour l’agriculture.