Qu’a-t-on appris du rôle des consommateurs dans la relocalisation des systèmes alimentaires aux cours des vingt dernières années ?

Cela fait déjà plusieurs décennies que des observateurs essaient de comprendre le regain d’intérêt pour les circuits courts, l’évolution rapide de la production biologique ainsi que l’activisme alimentaire qui ambitionne de reconfigurer les systèmes alimentaires. Et ces transformations ne se limitent pas seulement aux pays du Nord. La recherche n’a toujours pas totalement réussi à en démêler l’écheveau, mais elle s’est développée rapidement, à l’instar des phénomènes alimentaires étudiés. Les auteurs de cet article proposent de revenir sur les vingt dernières années de recherche sur ces questions (plus exactement, pour la période 2000-2019) et de faire le point en adoptant les thèmes du « local » et du « rôle du consommateur » comme fil conducteur.

A partir d’un matériau initial de 256 articles scientifiques réduit finalement à 53 (ceux-ci adoptant majoritairement une approche quantitative), jugés pertinents et revus par les pairs, les auteurs sont arrivés à délimiter trois grandes façons d’étudier le rôle des consommateurs dans la relocalisation alimentaire. Une première entrée considère l’accent mis par les consommateurs sur certains attributs du produit (notamment son caractère local ou biologique). Une autre entrée considère la portée plus politique, plus macro des revendications des consommateurs à travers l’activisme alimentaire. Enfin, il y aussi le courant dit des circuits courts ou des systèmes alimentaires alternatifs qui se concentre sur le rapprochement entre les différents acteurs des systèmes alimentaires, sous l’angle des proximités relationnelles et spatiales.

Trois niveaux dans la recherche sur la relocalisation

Les trois approches du rôle des consommateurs dans la relocalisation alimentaire rassemblent aussi des définitions différentes de ce qui est local, ainsi que des explications diverses du développement de ces nouveaux marchés et des motivations des consommateurs à y participer. L’analyse permet aussi de faire une critique transversale de l’ensemble de ces recherches, avec ses biais, sa part de flou et ses hypothèses plus ou moins réalistes (implicites ou avérées).

  • Une approche centrée sur le produit (ce que je mange)
    Dans cette approche, l’attention est portée sur les attributs du produit et du système de production. « Local » devient alors une simple caractéristique du produit. Dans cette perspective, il est souvent attendu que le produit local soit aussi biologique. Certains considèrent même la rencontre de ces deux attributs comme un critère de ce qu’on pourrait appeler un « vrai produit bio ». L’analyse ici reste cantonnée à un niveau micro, ne prend pas en compte l’ensemble des acteurs et les préoccupations du consommateur sont présentées comme égocentrées (c’est-à-dire centrées sur les bénéfices qu’il retire de sa consommation, son comportement, etc.).
  • Une approche politique et militante (ce que nous mangeons)
    Ici, on a affaire plutôt à un consommateur actif mu par des préoccupations altruistes. C’est l’ensemble du système alimentaire que ces consommateurs militants veulent transformer. Le « local » est alors porteur d’une idéologie politique, identitaire, et sert à camper une résistance face à la mondialisation et l’industrialisation du système alimentaire dominant. On ne s’étonne pas, du coup, que la méthode d’analyse privilégiée par les chercheurs soit alors plus « macro » (enjeux nationaux, souveraineté alimentaire, etc.), avec un accent sur l’environnement institutionnel.
  • Une approche centrée sur la « proximité » (qui nous fournit à manger)
    Cette approche est celle dite des systèmes alimentaires alternatifs. Elle partage certaines intersections avec les deux autres approches, mais s’en distingue aussi à plusieurs égards. Le « local » ici est vu comme un espace d’interaction et de rapprochement entre les différentes parties prenantes (notamment les consommateurs et les producteurs). La « proximité » comme prisme, qu’elle soit géographique, sociale ou autre, est au coeur de l’analyse et expliquerait le développement de ces marchés. La méthode privilégiée est résolument plus éclatée avec un intérêt à la fois pour les niveaux micro, méso et macro des enjeux étudiés. C’est aussi un consommateur animé par des valeurs comme le souci du développement durable et fidèle à certaines pratiques qui nous est présenté.

Ces recherches fournissent des clés de lecture intéressantes sur la réalité, mais affichent aussi plusieurs faiblesses et zones d’ombre. C’est parfois directement lié au parti pris adopté, par exemple leurs façons différentes de définir ce qui est local ou non. Mais c’est un peu plus subtil quand il s’agit de repérer les biais et les hypothèses sur lesquelles semble reposer l’édifice. Par exemple, il y aurait un biais de l’acteur économique, qui tend à orienter l’analyse uniquement vers les acteurs économiques, un biais en faveur des analyses à l’échelle micro et enfin des biais statistiques dans les analyses de causalité mobilisées pour expliquer les phénomènes. Il semble, que ces problèmes sont plus prononcés dans l’approche centrée sur les attributs des produits, mais c’est aussi celle qui réunit la plupart des travaux étudiés dans cette revue de la littérature.

Les enseignements

Les revues de littérature ont le mérite de nous donner des aperçus précieux sur l’ensemble des recherches - celles-ci évoluant rapidement - sur un thème ou dans une discipline donnée. Mais ces revues souffrent aussi de leurs propres défauts, par exemple, elles tendent à reposer uniquement sur les travaux anglophones. La présente revue n’y fait pas exception. Elle fournit tout de même un enseignement important. La définition de ce qui est local ou pas en alimentation reste vague, plurielle et idéologiquement chargée. La typologie des consommateurs qui en ressort est elle aussi intéressante. Aux deux figures déjà repérées autour du consommateur hédoniste, préoccupé d’abord pas sa santé et du consommateur militant engagé dans la critique du système alimentaire conventionnel, s’ajoute une troisième figure qui valorise l’interconnaissance et la proximité. Cette diversité représente-t-elle un frein à une transformation plus profonde du système alimentaire et à la mise à l’agenda politique de cette transformation ? Nous préférons y voir l’extraordinaire complexité des interactions entre et à l’intérieur des systèmes alimentaires, la diversité des préoccupations des acteurs suggérant des voies diverses de transformation et le caractère encore balbutiant des discours dont se pare la promotion des produits alimentaires locaux.

pdf N°14, fiche n°3 - décembre 2020 - janvier 2021

Fiche n°3, Bulletin n°14 – décembre 2020 – janvier 2021
Rédaction: Stevens Azima & Patrick Mundler

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Bulletin de veille bibliographique sur l’agriculture de proximité
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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 19 octobre 2023 14:29
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Environnement, Biologique, Fiche

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Publication

1 décembre 2020

Modification

10 novembre 2023 10:27

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