« Manger local » : entre idéologie et psychologie

Le marché des produits locaux a encore de beaux jours devant lui. Les ventes continuent d’augmenter. Selon les auteurs, même de grands détaillants comme Walmart ont compris la tendance et essaient maintenant de mettre ces produits en valeur. Le secteur de la restauration aussi présente de belles opportunités pour la mise en avant des produits locaux. Un point commun à tous ces développements est l’intérêt sans cesse renouvelé des consommateurs pour les produits locaux. Cette demande explique en grande partie la croissance rapide du marché des produits locaux au cours des dernières décennies. Il semble donc important de bien comprendre l’idéologie et la psychologie de ces consommateurs qui participent aux échanges. L’hypothèse fondamentale derrière cette démarche est l’idée que les croyances du consommateur, son attitude, peuvent conduire à des décisions d’achat.

Les auteurs de cet article ont choisi d’adopter une approche comprenant trois dimensions pour définir l’ensemble des croyances qui anime les locavores : l’idéalisaton (lionization), une croyance dans la qualité supposément supérieure de tout aliment local (à l’image du lion dans le règne animal), l’opposition à ce qui n’est pas local ou tout ce qui provient des circuits longs. Et enfin, la communalisation, soit le sentiment d’appartenir à une communauté et la volonté de la soutenir par ses choix de consommation. Les auteurs postulent que cet ensemble de croyances nourrit des sentiments d’authenticité et de fierté chez le locavore, du fait pour lui de vivre en harmonie avec ce qu’il croit être bien et d’avoir l’impression d’accomplir quelque chose en mangeant local. Leur recherche concerne un segment particulier de l’alimentation : le choix des restaurants. Ils ont donc testé, en matière de choix de restaurants, un ensemble d’hypothèses qui découlent de leur grille de lecture à partir de deux enquêtes réalisées respectivement auprès de 198 et de 297 consommateurs aux États-Unis. Dans l’ensemble, les deux enquêtes, après des analyses factorielles et statistiques, ont confirmé un lien solide entre l’idéologie locavore, les sentiments d’authenticité et de fierté et la volonté de privilégier des restaurants affichant des produits locaux sur leur carte.

Manger local : une idéologie à trois dimensions et psychologiquement valorisante

Les deux enquêtes menées par les auteurs ont conduit à des analyses satisfaisantes sur la validité du modèle retenu. L’idéologie locavore apparait bien non pas comme un bloc monolithique, mais plutôt comme une combinaison complexe et dynamique de trois visions du local :

  • une vision qui pose le local comme intrinsèquement supérieur en qualité,
  • une vision qui, en négatif, s’oppose à ce qui n’est pas local. Le coeur de cette vision est un manque de confiance dans le système alimentaire conventionnel,
  • une vision qui pousse à vouloir soutenir la communauté. L’achat local est alors vu comme un moyen de supporter les producteurs et les commerces locaux.

L’autre ensemble de résultats trouvé par les auteurs concerne les effets de l’adoption d’une telle idéologie pour le locavore. L’analyse confirme qu’elle entretient un sentiment d’authenticité et de fierté chez le consommateur. Authenticité, parce que le consommateur se plait dans l’idée de vivre en cohérence avec ses croyances sur les vertus du local. Fierté parce qu’il sent qu’il contribue à l’accomplissement de quelque chose aux multiples bienfaits pour lui et sa communauté. Le type de modélisation utilisé par les auteurs conduit à montrer comment ces sentiments s’enchaînent et amènent à des actes. En l’occurrence, l’enchainement est le suivant : l’adoption de l’idéologie locavore suscite d’abord un sentiment de participer à quelque chose d’authentique. Cette authenticité, à son tour, stimulerait un sentiment de fierté qui, finalement, conduirait le consommateur à privilégier des restaurants qui s’approvisionnent en produits locaux. Pour les auteurs, ce mécanisme de décision est particulièrement intéressant pour les possibilités marketing qu’il offre aux producteurs ou aux institutions étatiques qui veulent encourager l’achat local.

Une autre série de résultats atteste l’influence d’une participation active du consommateur sur son ressenti. Par exemple, le fait d’être un grand acheteur de produits locaux renforce-t-il ou affaiblit-il les relations et les bénéfices psychologiques évoqués plus haut ? Les auteurs ont trouvé qu’une forte participation renforce le mécanisme par lequel les croyances favorables aux produits locaux (locavorisme) procurent un sentiment d’authenticité chez les consommateurs de produits locaux et, par suite, un sentiment de fierté.

Les enseignements

Cette étude est la première à relier le concept de locavorisme aux comportements des consommateurs dans le choix des restaurants. Elle a une portée pratique intéressante, parce qu’elle dépasse les approches plus classiques s’intéressant aux valeurs des consommateurs, par essence plurielles et variables selon les contextes, pour faire du locavorisme une idéologie reposant sur un ensemble de trois croyances. Peu importe au fond la définition du produit local dans cette modélisation des comportements, puisque les consommateurs perçoivent l'authenticité d'un produit en fonction de leurs croyances. Et c’est cette perception de l’authenticité qui stimule la fierté et la fréquence des visites dans des restaurants s’approvisionnant en produits locaux. Avec un tel modèle d’analyse, l’opposition au système alimentaire dominant peut devenir le principal moteur du marché des produits locaux, alors que d’autres travaux tournent davantage leur attention vers les bénéfices individuels ou collectifs supposés de la consommation de produits locaux. En mobilisant les notions d’authenticité et de fierté, l’article explique comment on passerait des croyances à l’acte et comment les restaurateurs pourraient mieux adapter leur communication au public cible des « locavores ».

pdf N°15, fiche n°2 - février 2021 - mars 2021

Fiche n°2, Bulletin n°15 – février 2021 – mars 2021
Rédaction: Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 19 octobre 2023 09:20
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Publication

1 février 2021

Modification

10 novembre 2023 10:05

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