La renaissance agricole à Hardwick dans le Vermont

En 2009, Ben Hewitt, un écrivain local publiait son livre The town that food saved : howone community found vitality in local food. Dans cet ouvrage, l’auteur décrit le mouvement en faveur de la relocalisation de l’agriculture à Hardwick, comme un modèle réussi de transformation du système alimentaire. Il lui prête diverses vertus économiques, sociales et environnementales, vertus classiquement associées aux systèmes alimentaires localisés et reposant sur une agriculture de proximité. Ces vertus sont pourtant largement débattues dans la littérature et souffrent souvent d’un manque de validation empirique. Pour certains, les louanges adressées à la relocalisation des systèmes alimentaires sont naïves et masquent les asymétries de pouvoir au sein des communautés. Pour d’autres au contraire, ce sont ces critiques qui sont réductionnistes et refusent de voir l’ensemble des bénéfices permis par ce renouveau des systèmes alimentaires locaux. Dans cet article, l’auteure revient sur les changements qu’a connu le système alimentaire de Hardwick et tente de qualifier leurs impacts. Elle mobilise les données du recensement américain et les données tirées de 21 entrevues avec divers acteurs du système pour évaluer, entre 2000 et 2016, les impacts et les limites du mouvement de relocalisation du système alimentaire de Hardwick. Afin de pouvoir qualifier ces impacts, l’auteure compare ses indicateurs avec la ville de Glover, située dans la même région et dont l’histoire agricole est similaire à celle de Hardwick, mais qui n’a pas connu le même renouvellement. Elle compare aussi ses indicateurs avec l’ensemble du Vermont lorsque les données le permettent.

L’histoire agricole de Hardwick dans le Vermont

De 1792 au tournant du 20^ème siècle, le Vermont est passé de l’exportation de céréales à l’exportation de laine puis au commerce de produits laitiers avec d’autres régions. L’industrie laitière, en s’intensifiant, a menacé la survie des petites fermes dès le milieu du 20^ème siècle. Mais à partir de 1970, on constate un mouvement de retour à la terre qui va poser les bases de la renaissance agricole et de la relocalisation du système alimentaire, avec notamment la diversification de la production. Et c’est véritablement au début des années 2000 que quatre grandes agro entreprises, qui deviendront des acteurs importants du système et plus de 200 petites fermes amorceront le tournant vers un système alimentaire plus localisé.

Résultats

Quatre facteurs expliquent le succès du système alimentaire de Hardwick. Il y a d’abord un fort engagement de ses acteurs envers la communauté. Il y a ensuite, la présence d’une ONG : le Centre pour une économie agricole, qui joue un rôle structurant, fait le pont entre les acteurs, contribue à agréger et à distribuer l’offre des petits producteurs et gère des programmes de soutien. Il existe aussi des réseaux informels d’échange et de partage des connaissances qui ont permis un niveau très élevé de coopération entre les entreprises et les fermes de la région. Il y a enfin une complémentarité entre les échelles qui a permis d’intégrer les exportations dont on estime que les recettes contribuent aussi, à leur façon, au développement local.

Au niveau économique, entre 2000 et 2016, le taux de chômage est passé de 4.4% à1.1%. Il a beaucoup moins diminué à Glover et a augmenté à l’échelle du Vermont. 290 nouveaux emplois ont été créés à Hardwick contre seulement 37 à Glover. Le pourcentage de familles pauvres est passé de 10.5% à 8.3% alors qu’il a augmenté à Glover (10.8% à 11.7%) et dans le Vermont (6.3% à 7.5%).

Au niveau social, on note une forte croissance de la population bénéficiaire du programme d’aide alimentaire et un pourcentage tout de même élevé de population pauvre. Cela semble indiquer que la renaissance agricole a peu profité aux plus démunis. Cependant, sur d’autres aspects, les impacts sociaux sont plus encourageants : stimulation de l’engagement communautaire, éducation alimentaire, connexion entre les fermes et les institutions ou les écoles, coopération avec une banque alimentaire pour une offre plus locale et formations sur le jardinage impliquant les personnes les plus démunies.

Au niveau environnemental, moins de données sont disponibles. Toutefois, les entretiens ont permis de souligner la préoccupation des acteurs pour cet enjeu. Hardwick a connu une transition de la production laitière conventionnelle vers la production biologique, ce qui peut être associé à des pratiques plus écologiques et tant les fermes rencontrées que les entreprises de transformation affichaient diverses pratiques écologiques.

Cette transformation du système alimentaire de Hardwick ne fait toutefois pas l’unanimité. Plusieurs témoins rejettent l’idée même d’une renaissance agricole qui aurait « sauvé » la ville. Selon eux, les progrès observés n’auraient pas été possibles sans la structure agricole (principalement laitière) qui existait bien avant le mouvement en faveur de la relocalisation et plusieurs producteurs laitiers estiment avoir été plus ou moins exclus du mouvement.

Les enseignements

Même si le système alimentaire de Hardwick présente certaines limites, il constitue un modèle intéressant de transition d’une agriculture visant une relocalisation de son système alimentaire. Certaines vertus associées à ces systèmes alimentaires trouvent ici un support empirique. La place des exportations au sein de ce système invite à envisager des formes de complémentarité entre produits locaux et produits exportés et rappelle qu’une économie locale résiliente reste reliée au monde qui l’entoure.

pdf N°2, fiche n°2 - décembre 2018 ‐ janvier 2019

Fiche n°2, Bulletin n°2 – décembre 2018 – janvier 2019
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Ce bulletin vous est offert avec le soutien du Partenariat canadien pour l’agriculture.