Des efforts à consentir pour les consommateurs en circuits courts. Une analyse par les pratiques

Dans cet article, ce sont moins les acteurs que les pratiques qui sont au centre de l’analyse. En résumé, que font les acteurs dans ces systèmes, individuellement ou collectivement ? Par leur projet de reconnexion entre producteurs et consommateurs, les circuits courts reconfigurent les rôles traditionnels de consommateurs et de producteurs. Leur action peut dès lors déborder des frontières habituelles et s’entrecroiser. Cette approche, s’intéressant plus à l’action qu’à l’acteur, conceptuellement appelée théorie des pratiques, est adoptée par les auteurs de cet article. À partir de l’exemple des Voedselteams flamands, littéralement « équipes alimentaires », les auteurs ont analysé quelles ont été les pratiques encouragées depuis la création en 1996 de ces groupements d’achats à but non lucratif, comment ces pratiques ont évolué et dans quelles mesures elles contribuent à la transition vers un système alimentaire plus durable et inclusif. En combinant diverses techniques qualitatives et ethnographiques, les auteurs ont pu brosser un tableau vivant des rôles au sein de ce type de circuits courts alimentaires.

Trop, c’est comme pas assez : les défis de la reconnexion en circuits courts alimentaires

Les Voedselteams sont des groupes d’achats, des plateformes gérées de façon collective avec le projet de reconnecter producteurs et consommateurs. Naturellement, ces derniers y jouent un rôle actif, puisque la disparition des intermédiaires laisse des responsabilités vacantes (distribution, marketing, etc.). L’agriculture et le système alimentaire belges ont en effet connu, comme dans d’autres pays avancés, un processus rapide d’industrialisation et de concentration. Depuis les années 90, les circuits courts émergent comme une réponse à ce système souvent décrié pour ses impacts négatifs sur l’environnement, la santé et les territoires. C’est dans ce contexte, que se développent depuis plus de vingt ans, les Voedselteams étudiés par les auteurs de cet article.

À leur création dans les années 1990, d’abord sous forme de groupes informels, les Voedselteams, reposaient sur un fonctionnement très artisanal. Les acheteurs devaient prévoir leurs commandes une semaine à l’avance, ils avaient alors à remplir un formulaire papier et le soumettre à un bénévole affecté au groupe d’achat et chargé d’acheminer les commandes aux producteurs. Ensuite, les producteurs s’occupaient de rassembler, emballer et livrer les produits dans un lieu de dépôt. Là, des bénévoles répartissaient les commandes, payaient ce qu’ils devaient au groupement et un membre bénévole, assurant le rôle de trésorier, s’occupait du paiement aux producteurs.

Avec l’obtention d’un statut formel en 2001, le réseau embauche du personnel pour l’équivalent de cinq temps plein, mais ces salarié.es ont surtout pour fonction de recruter de nouveaux producteurs et d’aider à la création de nouveaux groupes. Toutes les autres activités restent sous la responsabilité des bénévoles. Peu à peu, la coordination s’améliore. L’organisation passe au numérique, Internet aidant. Une boutique en ligne est mise en place. Mais tant du côté des producteurs que des consommateurs, les responsabilités à assumer représentent un vrai défi puisqu’elles nécessitent de développer de nouvelles compétences (gérer un dépôt, planifier des livraisons, gérer les finances, faire du sourcing sur de nouveaux produits, planifier l’organisation, etc.), compétences beaucoup moins spécialisées que dans la distribution conventionnelle. Cela dit, la formule marche et en 2019, il y avait près de 180 groupes d’achat en Flandre faisant affaire avec environ 200 producteurs. Les auteurs expliquent cette croissance par le fait qu’au cours de cette période, les tâches des bénévoles ont pu à la fois gagner en efficacité grâce à la numérisation, mais aussi gagner en « professionnalisme » dans le sens où elles se sont routinisées et ont pu devenir moins contraignantes. Pendant cette période, les Voedselteams obtiennent aussi une reconnaissance publique leur permettant d’avoir accès à certaines subventions. Toutefois, cela s’accompagne de l’obligation d’organiser de nouvelles activités d’information et de sensibilisation : formations culinaires, visites de fermes, petits déjeuners, soirées débat, …).

Mais attirer plus de membres, surtout du côté des consommateurs, c’est multiplier les possibilités de divergence entre les membres en matière de motivations et de vision. À leur naissance, les Voedselteams sont portés par des membres sensibles aux questions d’éducation, de sécurité alimentaire et de développement durable, investis d’ailleurs dans divers mouvements sociaux et affichant la volonté de contribuer à changer le système. Plusieurs nouveaux membres ont des aspirations ou des motivations différentes. Ils sont moins intéressés par le projet contestataire des circuits courts et valorisent surtout les bénéfices individuels en matière de santé ou de nutrition. Comme d’autres mouvements alternatifs, les Voedselteams vivent une forme de querelle entre les anciens, attachés aux valeurs initiales, et les nouveaux, plus consommateurs qu’engagés, plus attentifs à la qualité des produits et intéressés par un élargissement des produits offerts, quitte à faire appel à des produits ne venant pas de la région. De façon paradoxale, la professionnalisation des bénévoles a permis l’élargissement à une clientèle qui voit, dans les Voedselteams, de simples « supermarchés en ligne ». Certains membres fondateurs ne retrouvent plus l’esprit et la convivialité qui régnaient lorsque la coordination restait davantage bricolée.

Les enseignements

Une fois encore, même si ce n’est pas présenté ainsi, cet article aborde au fond la question de la conventionnalisation des pratiques alternatives. Pour contribuer à redéfinir en profondeur les systèmes alimentaires, les niches représentées par les petits systèmes alternatifs doivent grandir et se structurer, et ce faisant accueillir des membres venant d’horizons divers et ne portant pas forcément les mêmes valeurs. Dans cet article, ce sont la routinisation et la professionnalisation des tâches qui semblent avoir contribué à alléger le différentiel d’effort à fournir pour s’approvisionner en circuits courts. Grâce à cela, les Voedselteams se sont élargis et ont gagné de nouveaux membres. Mais ce faisant, les liens entre engagement et cohésion se distendent, si l’hybridation des pratiques favorise le développement des groupements, les membres fondateurs y laissent un peu de leur âme.

pdf N°15, fiche n°4 - février 2021 - mars 2021

Fiche n°4, Bulletin n°15 – février 2021 – mars 2021
Rédaction: Stevens Azima & Patrick Mundler

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Bulletin de veille bibliographique sur l’agriculture de proximité
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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 19 octobre 2023 09:54
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Circuit court, Environnement, Financement, Fiche

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Publication

1 février 2021

Modification

10 novembre 2023 10:16

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