Faits saillants des États généraux en développement des communautés. Du Tour d'Horizon au Rendez-vous national: en route vers les Chantiers.
Par Opération veille et soutien stratégique
et le Collectif des partenaires en développement des communautés
Comment arrimer le palier national en appui aux instances locales de gouvernance territoriale intersectorielle et concertée?
Tout au long du Tour d’horizon, il a été question des freins à la gouvernance locale qui interviennent dans les différents paliers territoriaux, du local au national. En effet, les politiques publiques du gouvernement provincial peuvent venir entraver l’action territoriale intersectorielle concertée qui cherche à se déployer à l’échelle locale. Cette fiche complète Gouvernance, leadership et leviers — 1 en se demandant comment les politiques publiques pourraient se transformer afin de mieux soutenir le développement des communautés et les acteurs qui y travaillent à l’échelle locale. Ainsi, cette fiche vient lancer le Chantier qui pose la question des ancrages financiers et institutionnels.
Financement sectoriel de l’action territoriale intersectorielle
Le Tour d'horizon rapporte que l’action publique du gouvernement intervient de manière programmatique, c’est-à-dire qu’il produit un programme auquel est attaché du financement que des acteurs vont chercher pour la durée de sa disponibilité ou selon la limite de l’enveloppe budgétaire associée. La plupart du temps, un programme est créé en silo à l’intérieur d’un ministère, soit sans consultation ou sans coordination avec d’autres ministères. En plus de rendre des fonds disponibles, ce programme énonce les priorités, les indicateurs de mesure et les objectifs de développement territorial auxquels les demandeurs sont tenus afin d’avoir accès aux ressources financières. Il s’agit, en quelque sorte, d’une prescription des orientations à donner aux projets et démarches qui souhaitent bénéficier de ces fonds publics.
Nous avons entendu maintes fois pendant le Rendez-vous national que cela peut amener certains acteurs collectifs à se dénaturer pour assurer leur financement en se souciant surtout de répondre aux contraintes des programmes de financement plutôt qu’à leurs missions. Ceci peut amener une incohérence avec les besoins des populations qu’ils desservent et freiner les élans de l’action au sein d’un territoire. Plusieurs questions ont été soulevées. Une des pistes pour y remédier pourrait-elle être de co-construire les politiques et programmes de financement public avec les acteurs concernés, afin d'assurer une plus grande adéquation entre les budgets publics, les attentes de part et d’autre et les besoins des communautés, des populations et des territoires ? Ou encore de demander aux ministères de s'asseoir ensemble et de réfléchir de manière intersectorielle et interministérielle à la redistribution des fonds publics?
Par ailleurs, si une instance de gouvernance locale choisit de répondre à un enjeu de manière intersectorielle, il est possible qu’elle doive solliciter plusieurs ministères lorsqu’aucun d’entre eux n’aborde cet enjeu directement, durablement ou de manière transversale. Par exemple, pour un comité de rétention de la main-d’œuvre sur un territoire, une démarche territoriale a identifié jusqu’à six ministères différents à interpeller, puisqu’aucun d’eux ne répondait directement à leurs besoins. Même chose pour le logement ; cette finalité n’a d’attaches claires dans aucun ministère. Le financement en silo, ou par secteurs, du gouvernement national entre donc en contradiction avec l’intersectorialité des actions territoriales et des démarches locales propres au développement des communautés. Comment mettre de l’avant une approche intersectorielle territoriale concertée quand les enjeux sont traités de manière sectorielle à l’échelle ministérielle, donc au palier national?
Au Rendez-vous national, des personnes présentes se sont demandé si un Secrétariat au développement des communautés ne pourrait pas servir d’espace de rencontre entre les ministères pour que leurs interventions soient interministérielles et concertées. Une telle approche pourrait-elle s’inspirer de la philanthropie participative qui oriente son financement à partir d’un dialogue avec les acteurs institutionnels, politiques et communautaires, au minimum, du milieu?
Ensuite, tout financement ministériel vient avec une exigence de plan d’action et de reddition de comptes. Tout au long des États généraux, il a souvent été rappelé que ce financement met surtout l’emphase sur les projets à durées et résultats déterminés, voire à court terme, plutôt que sur les démarches et leurs besoins en ressources durables dédiées à leur fonctionnement à long terme. Ceci complexifie grandement le travail des acteurs qui pilotent des démarches de développement territorial intersectoriel. Après avoir réussi un montage financier qui implique différents ministères, ils doivent ensuite réaliser une reddition de comptes avec un calendrier et des indicateurs de mesure propres à chaque programme et pour chaque bailleur de fonds, en l’occurrence, chaque ministère impliqué. Ceci multiplie les embûches et les démarches administratives et de planification au début et à la fin des démarches et des projets financés.
Lors du Rendez-vous national, certains acteurs ont même mentionné que l’approche séquentielle (planification, action, reddition) peut démobiliser les partenaires qui ressentent l’urgence d’agir localement ou l’élan d’agir sur des enjeux systémiques. Ils mentionnent également que certaines enveloppes ministérielles sont probablement sous-utilisées par les acteurs collectifs en raison de la complexité, l'hétérogénéité, l’incompatibilité et la méconnaissance des fonds publics disponibles.
Quels sont les changements nécessaires pour rapprocher l’action publique ministérielle des besoins en développement des communautés ? Comment planifier les programmes publics en partenariat avec les acteurs territoriaux afin qu’ils s’arriment au développement local ? Y a-t-il moyen pour les démarches territoriales de négocier leurs conditions de financement et de reddition de comptes avec les bailleurs de fonds et que ces redditions soient au service de la démarche plutôt qu’au service des bailleurs de fonds ? Quelles conditions seraient alors à négocier ? Quels mécanismes seraient à mettre en place pour baliser et décentraliser la distribution des ressources dans le milieu ?
Dans une autre mesure, est-ce que les différents ministères pourraient harmoniser leurs sources de financement ou créer une interface unique avec les démarches territoriales locales ? Si oui, comment ? Sinon, serait-il possible et souhaitable d’uniformiser les critères des demandes de financement et ceux des redditions de compte ? Enfin, comment réfléchir au financement d’enjeux systémiques qui nécessitent des ressources à long terme dédiées à des missions et des visions de changements de société? Par exemple, que faire pour financer des projets de transition socioécologique portés par des démarches territoriales intersectorielles concertées?
Financement récurrent au nom des préoccupations citoyennes
Certaines démarches territoriales rencontrées durant le Tour d’horizon soulignent le désir de recevoir du financement récurrent pour faire avancer leurs plans d’action territoriaux intersectoriels concertés. D’autres énoncent que le financement sectoriel actuel permet difficilement de partir des préoccupations citoyennes plutôt que des prescriptions d’orientations et d’objectif s'émissent par les programmes publics de financement. Ils sont alors d’avis que le financement pourrait être géré en fonction des priorités territoriales afin de mieux répondre aux besoins de la population.
Serait-il envisageable pour les différents bailleurs de fonds de financer la capacité d’agir collective des communautés sur un laps de temps plus long, trois à cinq ans par exemple, afin de leur permettre de bâtir une confiance mutuelle, une gouvernance structurante, une capacité à la résolution des tensions puis la mise en place d’une vision collective, tout cela, sans se voir imposer des attentes de résultats concrets à court terme ?
Ceci permettrait d’aborder des enjeux au long cours, tels que l’équité, la diversité et l’inclusion, la lutte à la pauvreté ou la transition socioécologique qui demandent d’être envisagés sur un temps long puisqu’il n’y a pas de solutions simples, rapides, ni même prévisibles, à ces problèmes.
Y aurait-il moyen d’assurer un financement dans une approche plus partenariale et collaborative, avec et au sein des communautés, où les bailleurs de fonds se placeraient plutôt dans une posture d’apprentissage ou de soutien ? Si oui, comment ? En ce sens, les territoires pourraient-ils déposer des demandes de financement conjoint? Serait-ce un moyen de réaliser l’adage “l’argent c’est le nerf de la paix”, tout en neutralisant la compétition entre les organisations, partant de l’idée que les organisations d’un même territoire devraient devenir partenaires d’une démarche en développement des communautés?
Tout au long des différentes phases des États généraux, les participant.e.s nous rappellent que cette compétition est surtout alimentée de la formule actuelle d’un sous-financement à la mission couplé à un financement via appels de projets et selon des cases à cocher. Que dire aussi du fait de financer des démarches territoriales plutôt que des organisations ou de l’arrimage de ces deux types de financement au sein d’une même communauté?
Les causes et les changements systémiques : à quels paliers ça se joue ?
Le développement des communautés est une pratique qui vise également les changements systémiques. Comment est-ce que les démarches territoriales locales peuvent travailler sur des enjeux systémiques au sein de la structure gouvernementale nationale actuelle ? Cela étant dit, une démarche territoriale a tenu à rappeler que l’argent ne règle pas à lui seul les causes systémiques.
Par exemple, le financement des tables de quartier a peu d’impact sur les enjeux des armes à feu ou du logement. «Les instances gouvernementales ont parfois tendance à se déresponsabiliser en octroyant des sommes au communautaire sans mettre en place les structures qui pourraient favoriser un réel changement (loi, revenu minimum, logements subventionnés…). Nous autres, on va mobiliser les forces, on va créer la discussion, on va créer la réflexion, puis je trouve qu’on n’est pas nécessairement utilisé à bon escient. Mais la responsabilité ultime revient parfois à l’arrondissement, la Santé publique, la police, le système scolaire.»
Dans de tels cas, quel est le rôle des démarches locales intersectorielles concertées ? Comment peuvent-elles avoir un impact systémique, à partir de leur palier d’action ? Et si le palier national ne prend pas de mesures vers des changements systémiques jugés essentiels par les communautés, mais dont l’ampleur dépasse l’échelle de la communauté, de quels moyens dispose le palier local pour amener le palier national vers ces changements ?
Incohérence de certains découpages territoriaux sur un même territoire géographique
Un grand constat du Tour d’horizon réside dans le fait que différentes institutions publiques ne reposent pas nécessairement sur un découpage adéquat du territoire régional et local : un ministère découpe le territoire d’une certaine manière, et un autre d’une autre façon, et ce, sur un même territoire géographique. Cela fait en sorte qu’à bien des endroits, il arrive qu’une instance de gouvernance territoriale chevauche deux CIUSSS, deux centres de services scolaires, plusieurs villes d’une agglomération, etc. sans couvrir tout le territoire géographique ou administratif de tous ces réseaux mis ensemble. Cette mosaïque du découpage territorial fait en sorte qu’il est plus difficile de réunir des représentant.es des différentes institutions publiques autour de la table puisqu’elles peuvent se retrouver interpellées par toutes les démarches des territoires qu’elles chevauchent. De plus, elles se retrouvent à monter un plan d’action et à réaliser des projets sur un territoire qu’elles ne couvrent que partiellement, en plus de devoir travailler en collaboration avec leurs vis-à-vis institutionnels sur un même territoire restreint. Par exemple, on a pu voir deux CIUSSSS se diviser le territoire d’une même table de quartier. On se retrouve alors avec des risques accrus de surconcertation, alimentés par la disparité du découpage administratif qui peut augmenter le dédoublement et la quantité d’instances publiques sur un même territoire géographique.
Ce problème devient manifeste lorsqu’on compare ces territoires aux découpages variables avec des territoires où les différentes frontières administratives se superposent parfaitement. Dans de tels cas, il est facile d’identifier les personnes des systèmes de santé ou de l’éducation, des ministères et des municipalités à rejoindre sur un territoire local donné, et il n’y a pas de dédoublement ni d’éparpillement. Par conséquent, serait-il possible de déplacer certaines frontières institutionnelles avec, en tête, le développement des communautés ? Les démarches territoriales ont-elles un levier pour y arriver ? Et, d’après les démarches rencontrées lors du Tour d’horizon, les mégastructures du système de santé qui découlent des nombreuses fusions ont beaucoup éloigné la prise de décision au sujet de la santé publique des démarches locales et rendent difficile l’action concertée. Serait-il possible d’imaginer une échelle ou des mécanismes qui faciliteraient l’arrimage du système de santé avec les démarches territoriales locales ?
Un cadre politique au développement des communautés ?
Quelques démarches territoriales ont mentionné qu’une politique publique pourrait venir encadrer le développement social, baliser l’action intersectorielle territoriale concertée et camper la volonté d’agir du gouvernement. Une telle politique éviterait que le développement des communautés ne repose uniquement sur la bonne volonté des individus. D’autres se sont demandé s’il y aurait plutôt moyen de donner concrètement du pouvoir d’agir aux communautés directement visées par les changements qu’elles souhaitent en suivant le principe de la subsidiarité, une « maxime politique selon laquelle la responsabilité d’une action publique, lorsqu’elle est nécessaire, revient à l’entité compétente la plus proche de ceux qui sont directement concernés par cette action » [1]. Des acteurs du développement des communautés se sont posés les questions suivantes: Serait-il envisageable pour les territoires que le financement soit associé au cadre de référence pour le travail collectif intersectoriel avec un seuil minimal de travail concerté ou certains acteurs du développement des communautés soutiendront-ils que c’est se lier les mains que de baliser de la sorte le développement des communautés? Y aurait-il d’autres moyens structurels pour accroître le pouvoir d’action du développement territorial intersectoriel concerté, et donc des communautés qui le mettent en œuvre ?
Rassemblement national de démarches territoriales
Quelques démarches territoriales ont mentionné désirer pouvoir participer à un regroupement national qui rassemblerait d’autres démarches territoriales intersectorielles concertées afin de voir ce qui se fait ailleurs pour pouvoir s’en inspirer. Comment cette instance pourrait-elle servir aux démarches individuelles ? Comment faudrait-il la mettre en place ?
Diversifier le financement de l'interne
Les personnes accompagnant différentes démarches dans le cadre du Tour d’horizon remarquent que le financement de l’action territoriale vient principalement de la philanthropie, surtout depuis l’abolition des CRÉ en 2015. Si ce financement est le bienvenu et est venu se substituer largement au financement public des CRÉ, serait-il possible et souhaitable que les acteurs régionaux ou locaux financent davantage le développement des communautés ? Si oui, comment ? Et que gagneraient les communautés d’une diversification interne des sources de financement ? Qui dit diversification du financement interne peut penser aux fonds publics détenus par les municipalités. En ce sens, faudrait-il envisager une diversification des possibilités de revenus des municipalités afin qu’elles puissent bénéficier de plus de ressources pour agir sur le développement de leurs communautés en tant que gouvernement local?
Fiche thématique produite en octobre 2022 par l’OVSS et le Collectif à la suite du Tour d’horizon des États généraux en développement des communautés, puis mise à jour en juin 2023 afin d’inclure les analyses et les discussions issues du Rendez-vous national des États généraux. Fiche produite par Maria Anastasaki et Pierre-Élie Hupé, avec l’aide de Yasmina Britel, Nadia Cardin et Gabrielle Simard. SOURCE