Produits locaux et réseaux : rôle des intermédiaires


La promotion des produits alimentaires locaux est l’une des démarches ayant émergé en réponse au système alimentaire conventionnel, globalisé et déterritorialisé. Les systèmes alimentaires locaux doivent toutefois relever le défi consistant à rendre leurs produits plus disponibles et plus accessibles tout en gardant les valeurs sociales et environnementales auxquelles leurs défenseurs sont attachés. Une riche littérature s’est développée autour de ce mouvement, mais elle tend à se focaliser sur les attributs des acteurs et sur la vente directe entre producteurs et consommateurs. Aux États-Unis, la vente directe au consommateur de produits alimentaires locaux représente 34% des ventes. Les interactions et les connexions entre les acteurs (fermes, transformateurs, restaurateurs, grossistes, détaillants), dont l’étude permettrait pourtant de révéler des aspects plus systémiques, restent peu explorées.

L’analyse des réseaux sociaux est une méthode encore peu utilisée dans la recherche sur les produits locaux. Elle fournit des outils pour situer les acteurs (assimilés à des « noeuds ») dans le système et étudier leurs interactions ou leurs connexions (assimilées à des « liens » entre les noeuds). Divers chercheurs l’ont progressivement enrichie en stabilisant les principaux concepts.

Cette recherche applique cette méthode à l’analyse d’un système alimentaire local dans le sud de la Nouvelle-Angleterre (Massachusetts, Rhode Island et Connecticut) aux États-Unis. Elle utilise une base de données provenant d’une organisation locale (http://www.farmfresh.org) permettant de repérer les échanges entre acteurs. Après élimination des acteurs isolés, 687 fermes sur 2626 et 702 intermédiaires sur 913 ont été retenus. Au niveau des fermes, les plus nombreuses sont les productrices de fruits et légumes et les élevages. Au niveau des intermédiaires, les restaurants (50% des intermédiaires) suivis des épiceries, des transformateurs et des grossistes sont les principales catégories.

Les résultats

Une première série de résultats concerne l’ensemble de la base de données initiale.

  • Les acteurs du réseau sont liés en moyenne à près de cinq autres acteurs. L’analyse révèle deux sous-groupes importants : un premier foyer dans l’État de Rhode Island où chaque acteur est lié à au moins 7 autres; un deuxième foyer, au Massachussetts, où chaque acteur est lié à au moins 6 autres. Les intermédiaires (surtout des restaurants) sont surreprésentés dans ces foyers.
  • Représentant deux tiers des participants, les intermédiaires apparaissent comme les acteurs les plus actifs. La plupart des entités du réseau de Rhode Island sont en zone urbaine ou péri-urbaine alors que le réseau du Massachussetts est davantage situé en milieu rural et accuse un nombre plus élevé de fermes (jusqu’à 50% des acteurs). Mais dans tous les cas, les intermédiaires jouent un rôle très actif dans la mise en relation des parties.
  • Les liens entre les acteurs sont orientés, selon que les produits partent d’un point ou y arrivent. Ainsi, comme attendu, il y a beaucoup plus de liens qui partent des fermes que de liens dirigés vers elles. Pour les restaurants et les épiceries, c’est l’inverse, ce qui traduit peut-être le fait qu’elles vendent surtout au consommateur final. Les transformateurs et les grossistes affichent un profil différent, avec un haut score (surtout pour les grossistes) à la fois pour les liens entrants et sortants. Ils se présentent donc comme de véritables intermédiaires entre les fermes et les détaillants.
  • La plupart des acteurs n’occupent pas une position de « passage obligé ». Seulement 9,6% d’entre eux peuvent être considérés comme incontournables pour accéder à d’autres acteurs du réseau. Les grossistes affichent le plus haut niveau de contrôle, suivis des transformateurs. La connexion établie entre certains producteurs et certains détaillants est telle que le circuit n’aurait pu se construire en l’absence de certains grossistes.

Une deuxième série de résultats met en avant les changements qui se produisent dans le système quand on retire certains groupes d’acteurs.

  • Le retrait des intermédiaires change presque complètement le réseau de relations des fermes : 80% deviennent des acteurs isolés. En revanche, même après suppression des fermes, 60% des intermédiaires restent connectés à d’autres intermédiaires avec un réseau beaucoup plus dense que le réseau obtenu avec les fermes seulement. Les intermédiaires paraissent donc comme le ciment qui maintient le système alimentaire local.
  • Les mêmes tendances sont observées quand on retire un type de ferme ou un type d’intermédiaire. Dans tous les cas, le retrait d’un type de ferme augmente la densité du réseau, alors que le retrait de n’importe quel type d’intermédiaire la fait baisser.

Les enseignements

Cette recherche mobilise une méthode originale, celle de l’analyse sociale des réseaux, pour mettre en évidence le rôle central joué par les intermédiaires dans la configuration des relations au sein d’un système alimentaire localisé. Elle pointe aussi les contributions spécifiques de certains types d’intermédiaires. Les grossistes notamment semblent jouer un rôle à la fois de consolidation de l’offre locale et de « passage obligé » dans certains circuits. Les transformateurs, eux, réinvestissent dans le système en y apportant des produits à valeur ajoutée. Tous ces intermédiaires confèrent au mouvement de relocalisation de l’alimentation un potentiel d’expansion considérable au bénéfice du consommateur final. Ils seraient même indispensables selon l’analyse de l’auteur. Mais ces rôles et les relations de pouvoir ou de dépendance susceptibles de les accompagner font aussi courir le risque d’une forme de « conventionnalisation » des systèmes alimentaires locaux.

pdf N°5, fiche n°3 - juin 2019 - juillet 2019

Fiche n°3, Bulletin n°5 – juin 2019 – juillet 2019
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 6 novembre 2023 08:31
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1 juin 2019

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6 novembre 2023 09:25

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