Deux décennies de recherche sur l’alimentation locale

Fin septembre 2021 aura lieu à New York le Sommet des Nations Unies sur les systèmes alimentaires. Il s’agira de voir comment les systèmes alimentaires peuvent contribuer concrètement à l’atteinte des Objectifs de Développement Durable. La durabilité des systèmes alimentaires est donc plus que jamais examinée à la loupe. Une riche synthèse sur cette question, couvrant près de 1300 articles, vient d'être publiée.

pdf Sustainable Agri-Food Systems Environment, Economy, Society, and Policy Hamid El Bilali, Carola Strassner, Tarek Ben Hassen 2021

Acheter local figure parmi les solutions souvent avancées. En plus de l’accent mis sur l’origine « locale » du produit (même si nous avons souvent relevé l’ambiguïté de ce terme), les systèmes alimentaires locaux utilisent beaucoup les circuits courts comme mode de distribution. Et comme le montre la figure ci-dessus, la vente directe à elle seule implique un pourcentage significatif de fermes dans plusieurs pays du Nord.

Les systèmes alimentaires locaux ont leurs forces (leur résilience, divers bénéfices perçus) et leurs faiblesses (notamment, des prix généralement plus élevés et un marketing limité). S’ils ne sont pas nécessairement en compétition avec le système alimentaire globalisé (à ce sujet, une autre synthèse récente peut être consultée ici)

pdf Local Food Campaign in a Globalization Context : A Systematic Review Susan (Sixue) Jia 2021

il demeure qu’on gagnerait à savoir dans quelle mesure les vertus qu’on leur prête reflètent la réalité, au moins pour mieux orienter les politiques publiques. La revue de littérature que nous présentons ici a organisé l’ensemble des hypothèses sur les bénéfices des circuits courts autour de 8 affirmations traitant des aspects économiques, sociaux et environnementaux des chaînes locales d’approvisionnement. Ce qui ressort, c’est la difficulté de démontrer une relation de cause à effet et le fait que même pour les bénéfices les mieux établis (aspects sociaux des systèmes alimentaires locaux, dynamisation de l’économie locale), le contexte, le type de produit et le type de chaîne sont autant de facteurs relativisant ces contributions.

Une recherche balbutiante pour des conclusions mitigées

Le plus remarquable lorsqu’on examine l’ensemble des recherches conduites sur les impacts de l’alimentation locale est peut-être l’écart entre leur perception plutôt positive et le fait que la recherche aboutit à des conclusions moins tranchées. Certains impacts sont bien connus. Ainsi, du côté des producteurs, la reconnaissance dont ils bénéficient dans ces systèmes est l’une des principales raisons qu’ils avancent pour leur participation. Pourtant, la viabilité économique de ces systèmes, malgré des prix plus élevés et le fait que les consommateurs ont une plus grande disposition à payer pour les produits locaux, reste problématique (des revenus souvent trop faibles pour des coûts accrus). Du côté des consommateurs, ceux-ci croient en général que ces produits sont plus nutritifs, plus « santé ». Mais la recherche souligne que la qualité nutritive des aliments est fonction de plusieurs facteurs, qui ont à voir avec un ensemble de décisions et d’étapes dans toute la chaine d’approvisionnement, plus qu’à une simple question de distance parcourue par les aliments. Se pose aussi la question des standards de qualité, plus stricts en épicerie que dans les chaines localisées. Ces dernières les compensent en misant sur la confiance créée par des circuits plus courts. Des changements vers des habitudes alimentaires plus saines sont aussi rapportés, mais aucune relation de causalité n’a été établie avec le fait de manger local.

Autre impact établi : l’achat local dynamise l’économie locale. Il existe plusieurs façons de tester cet impact (effet multiplicateur de l’argent dépensé pour acheter local, effets indirects positifs de la fréquentation des marchés locaux, etc.) et dans l’ensemble un effet positif est confirmé. Néanmoins, ces recherches, souvent quantitatives, prennent rarement en compte un argument contrefactuel (par exemple : cela aurait-il été différent sans la présence de tel marché fermier), les coûts d’opportunité (regarder non seulement ce que la présence d’un marché fermier apporte à la localité, mais aussi ce qu’elle lui fait perdre, éventuellement) et la causalité reste généralement floue.

En ce qui concerne l’environnement, les producteurs locaux semblent plus susceptibles de recourir à l’agriculture biologique et la relation directe entre consommateurs soucieux de l’environnement et les producteurs semble encourager l’adoption de nouvelles pratiques agricoles plus respectueuses des écosystèmes. Mais cette relation dépend du pays ou du contexte.

Enfin, pour ce qui est des émissions de gaz à effet de serre, le transport des aliments est loin d’être la plus grande source d’émissions dans l’agriculture (6% seulement des émissions totales contre 61% pour l’étape de la production agricole). Le seul critère de la distance parcourue par les aliments (le food miles ou kilométrage alimentaire) ne suffit pas (contrairement à ce que nous suggère l’intuition). Bien entendu, dans les grandes chaînes, un aliment peut parcourir des milliers de kilomètres avant d’aboutir dans un rayon d’épicerie, mais les volumes sont aussi plus élevés et le transport plutôt efficace. Les systèmes alimentaires locaux pourraient optimiser leur transport en regroupant les volumes du côté de l’offre, et si les consommateurs recourent à des moyens de déplacement moins énergivores (vélo, marche, etc.) et coordonnent mieux les déplacements. Dans l’ensemble, c’est moins une question de distance que de coordination efficace de la chaîne.

Les enseignements

Les auteurs concluent leur revue en recommandant aux gouvernements de favoriser la production de statistiques plus large ssur l’alimentation locale permettant de meilleures comparaisons entre les pays ou selon les régions. La question des trop petits volumes doit aussi être abordée. Une solution pourrait résider dans la promotion de l’achat institutionnel ou dans les food hubs. Mais le passage à cette échelle présente un risque d’homogénéisation, de spécialisation et de concentration. Soit in fine le danger de devoir imiter les circuits longs au risque de perdre ce qui fait la spécificité des circuits courts. 

pdf N°18, fiche n°1 – août 2021 – septembre 2021

Fiche n°1, Bulletin n°18 – août 2021 – septembre 2021
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Ce bulletin vous est offert avec le soutien du Partenariat canadien pour l’agriculture.

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Bulletin de veille bibliographique sur l’agriculture de proximité
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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 12 octobre 2023 10:48
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Circuit court, Environnement, Biologique, Relève, Fiche

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Publication

1 août 2021

Modification

10 novembre 2023 08:21

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