Des intermédiaires institutionnels en circuits courts

Dans les circuits courts alimentaires, on parle beaucoup des intermédiaires commerciaux (et leur nombre réduit sert même à définir ces circuits). Il est toutefois un autre type d’intermédiaires dont on parle moins : les agents de développement et les institutions qui promeuvent les circuits courts. Leur action peut être déterminante dans la création de marchés locaux et la mise en relation des agents économiques.

En France, sous l’impératif de la « modernisation agricole » des années 1960, les conseillers agricoles des chambres départementales d’agriculture ont pendant longtemps assuré la promotion d’une agriculture spécialisée dans la production de matières premières, la commercialisation relevant des coopératives. Il s’agissait alors surtout d’améliorer la productivité des fermes. Mais, cela s’est accompagné d’une perte d’autonomie des agriculteurs dans le système alimentaire et, à la faveur de la crise des débouchés des années 1990, de nombreux agriculteurs ont choisi se lancer dans les circuits courts. Parallèlement, le modèle de conseil gratuit que les chambres d’agriculture pouvaient fournir s’est essoufflé et ces dernières doivent aujourd’hui assumer une logique marchande et commercialiser leurs prestations de service. Le développement des circuits courts et la valorisation des produits locaux deviennent pour elles un nouveau marché à investir, voire contrôler.

Certaines conseillères de chambres d’agriculture (l’auteur féminise le métier parce que ce sont en majorité des femmes qui ont endossé ce rôle) ont ainsi commencé à se spécialiser dans l’accompagnement et la promotion de systèmes alimentaires localisés. Cet article montre, à partir des méthodes de l’ethnographie économique, comment, en devenant de véritables intrapreneures capables d’initiatives au sein d’une chambre départementale d’agriculture, ces agentes de développement agricole encadrent l’alimentation locale : en accompagnant les agriculteurs locaux dans la conception et le développement de projets viables, en représentant les intérêts des agriculteurs et en favorisant l’approvisionnement local des cantines scolaires sur le territoire.

Encadrer l’alimentation locale

Le métier de conseiller agricole se féminise en France. Il semble cependant subsister un plafond de verre qui limite les possibilités pour les femmes d’accéder à des postes de direction. Des conseillères cherchent donc plutôt à diversifier horizontalement leur offre de services et certaines investissent la promotion de l’alimentation locale. Auprès des agriculteurs, elles occupent une fonction que l’auteur nomme de pédagogue du marché. En ce sens, leur travail n’est pas très différent de celui des conseillers auprès d’agriculteurs en circuits conventionnels. Il s’agit de former les agriculteurs locaux voulant commercialiser eux-mêmes leurs produits en leur faisant prendre conscience de la réalité des marchés et en leur fournissant les bases du marketing. Le rôle de pédagogue du marché des conseillères est cependant limité. D’une part, elles n’ont pas assez de ressources pour évaluer la demande (elles s’en remettent alors à leur propre expérience de consommatrices pour encourager une offre diversifiée). D’autre part, les marchés qu’elles tentent de mettre en place sont souvent peu investis par les agriculteurs en circuits courts qui valorisent leurs propres marchés et la relation directe qu’ils entretiennent avec leurs consommateurs.

Il en est tout autrement dans les situations où les conseillères peuvent jouer les intermédiaires pour se faire rencontrer l’offre et la demande dans le cas de l’approvisionnement en produits locaux des cantines scolaires. En effet, les villes françaises sont maintenant tenues par la loi de s’approvisionner pour partie en produits locaux. Cette situation offre aux chambres d’agriculture la possibilité d’élargir leur offre de service en assurant le lien entre les agriculteurs et les élus locaux responsables de ces achats institutionnels. Ce sont donc ces agentes qui créent la confiance et assurent la mise en relation des parties. La logique marchande reste ici encore centrale, car il s’agit de choisir les « bons agriculteurs », ceux qui répondent au profil commercial recherché par les élus en charge des cantines scolaires. Les agentes rencontrées insistent sur le fait qu’elles ne s’introduisent pas plus loin dans la relation, espérant ainsi garder une certaine neutralité et se déresponsabiliser des rapports de force existant dans les négociations de prix entre les élus et les agriculteurs locaux.

L’action des agentes de développement de l’étude ne se limite pas à mettre en relation des producteurs locaux et des acheteurs institutionnels. Elles interviennent aussi en amont pour encourager des agriculteurs à se lancer dans les circuits courts, dans un contexte de rareté d’exploitations locales en mesure d’approvisionner les cantines scolaires. Elles sont parfois obligées de jouer sur le flou entourant ce qui est local ou pas pour inclure dans l’offre locale des entreprises agro-industrielles, même éloignées, afin d’assurer des volumes suffisants. Ce faisant, c’est le rôle des agriculteurs qui est mis en second plan dans ces circuits « courts » au profit de la recherche d’une valeur ajoutée pour l’ensemble du territoire.

Les enseignements

Les organisations de développement agricole ont éprouvé quelques difficultés à se saisir d’un objet qui leur échappait jusqu’ici (les circuits courts) du fait qu’il était rétif à toute structuration, voire était développé par des agriculteurs qui se situaient pour partie en dehors du modèle promu par ces mêmes organisations. Devant leur succès, gouvernements et organisations professionnelles s’investissent désormais dans leur promotion et tentent d’en élargir la portée. Des études précédentes avaient déjà souligné le rôle clé joué par des intermédiaires d’un autre type, à savoir les chercheurs eux-mêmes, dans la validation et la diffusion d’informations pertinentes autour des circuits courts. Ici, on découvre comment dans la pratique, des conseillères agricoles investissent ces marchés en conseillant à la fois les offreurs (le rôle de pédagogue du marché), les demandeurs (les cantines scolaires) et plus largement en endossant le rôle d’agent de développement territorial. Ce faisant, elles contribuent tout à la fois à structurer les marchés alimentaires locaux et à en repousser les frontières. Au risque toujours de les normaliser et de leur faire perdre leurs spécificités et leur diversité.

pdf N°12, fiche n°3 - août 2020 - septembre 2020

Fiche n°3, Bulletin n°12 – août 2020 – septembre 2020
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 23 octobre 2023 17:57
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Circuit court, Relève, Fiche

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Publication

1 août 2020

Modification

10 novembre 2023 11:16

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