Circuits courts alimentaires et logistique

L’optimisation du dernier kilomètre en circuits courts alimentaires (soit le trajet ultime qui conduit le produit au consommateur final) reste un enjeu de taille pour améliorer le bilan environnemental. Tous les modèles montrent en effet que c’est ce dernier kilomètre qui est le moins efficace et ce quel que soit le circuit étudié. Les circuits courts sont relativement jeunes et les résultats mitigés sur leur performance en matière d’efficacité énergétique montrent que la logistique représente un défi important pour l’agriculture de proximité.

Cet article mobilise les techniques des sciences logistiques pour comparer, par simulation, la durabilité environnementale, économique et sociale de trois stratégies de distribution adoptées pas une coopérative proposant en ligne des produits alimentaires locaux et biologiques dans la région de Linz en Autriche. La stratégie par défaut est celle du « cliquez-collectez » qu’utilise la coopérative. Les consommateurs commandent en ligne et viennent chercher leur commande dans un point de livraison. Les auteurs comparent cette option avec la livraison à domicile réalisée par un prestataire partenaire et une solution résolument innovante appelée (en anglais) la crowd logistics, que nous traduisons ici par logistique partagée (nous aurions aussi pu parler de socio-logistique). Dans cette dernière option, un peu à l’image de ce qu’il se passe pour le covoiturage, ce sont les particuliers qui assurent les livraisons au gré de déplacements qu’ils effectuent pour d’autres raisons.

Stratégie de distribution : entre performance et préférence

La première démarche des auteurs a été d’évaluer la performance des trois options de distribution. Pour cela, ils se sont entretenus avec les représentants de la coopérative et d’une entreprise de logistique partenaire de la coopérative. Une fois les indicateurs pertinents identifiés et la complexité du système de distribution prise en compte (interactions, rétroactions, etc.), ils ont pu utiliser un modèle permettant de calculer la performance de chaque option pour les trois dimensions de la durabilité. Quatre indicateurs sont particulièrement intéressants, sur un horizon allant de 2018 à 2025 : le nombre de clients, les dépenses de livraison, le chiffre d’affaire et les émissions de CO2.

Si on considère l’évolution du nombre de consommateurs desservis par la coopérative, il devrait augmenter continuellement quelle que soit la stratégie de livraison. Pour cet indicateur, le point de de livraison reste toujours la stratégie la moins intéressante et l’avantage de la logistique partagée augmente continuellement. Cette tendance se reflète aussi dans l’évolution des profits de l’entreprise. La logistique partagée est également l’option de distribution qui émet le moins de gaz à effet de serre (CO2) et ses émissions restent relativement stables dans le temps. En effet, cette stratégie mise sur une masse considérable d’individus indépendants qui acceptent (sous certaines conditions) de livrer les produits d’une entreprise, par exemple en mettant à profit leurs trajets habituels. Le potentiel de minimisation des distances parcourues est donc important avec cette stratégie. C’est ensuite la livraison à domicile qui affiche les émissions de CO2 les moins élevées, quoique croissantes avec le temps (tout comme celles associées au point de livraison). Cela s’explique en partie par le choix des auteurs d’inclure le recours à des camions dans les véhicules utilisés pour la livraison à domicile, ce qui optimise le rapport poids transporté/émissions de GES. Mais cette option présente les coûts opérationnels les plus élevés (coûts liés aux camions, salaire des employés, maintenance, etc.), le point de livraison étant évidemment le moins coûteux, puisque le coût est au fonds reporté sur les consommateurs qui se déplacent pour venir chercher leurs produits.

Ainsi, ce premier portrait plaide en faveur de la logistique partagée pour ses avantages environnementaux. Dans un second temps, les auteurs ont voulu déterminer l’option la plus intéressante quand on tient compte des préoccupations des entreprises (selon qu’elles accordent plus ou moins de poids aux trois dimensions de la durabilité et aux enjeux technologiques). Après consultation des acteurs, les dimensions sociale et environnementale ont été affectées d’un poids de 30% chacune dans le mécanisme de prise de décision, l’aspect économique de 25% et l’aspect technologique, 15%. Ce que cela dit, c’est que les enjeux en matière d’interactions sociales avec les consommateurs et d’impacts environnementaux pèsent plus lourd dans la balance pour la coopérative. En utilisant alors un autre modèle pour déterminer l’option de distribution qui s’alignait le plus avec ces préoccupations, les auteurs ont pu classer la logistique partagée comme meilleure stratégie, suivie de la livraison à domicile. L’option du point de livraison est celle qui correspond le moins aux préférences des acteurs. En testant la sensibilité de leurs résultats, les auteurs ont établi que pour détrôner la logistique partagée comme meilleure option, il fallait que l’entreprise priorise la dimension économique de façon presque exclusive. L’option par défaut (le point de livraison) ne devient plus performante que quand la minimisation des salaires, des coûts de maintenance ou d’infrastructure devient une priorité pour l’entreprise.

Les enseignements

Cet article, même s’il se concentre sur une seule entreprise (une coopérative), apporte des réponses intéressantes à un problème encore en débat dans la littérature sur les circuits courts : l’optimisation du « dernier kilomètre ». Il a à la fois le mérite de considérer l’ensemble des trois dimensions du développement durable (environnemental, social, économique) mais aussi de ramener la question à une échelle plus managériale. En plus de se demander si les circuits courts et les systèmes alimentaires locaux dans leur ensemble affichent une efficacité énergétique supérieure, il peut être instructif de chercher à identifier les options de distribution les plus adéquates en fonction des préoccupations et de la réalité de l’entreprise. Le fait que la logistique partagée soit l’option la plus performante que les auteurs ont trouvée signifie aussi que l’optimisation des distances parcourues par les aliments en circuits courts passe sans doute par une utilisation efficace des innovations technologiques, permettant de créer de nouveaux domaines dans lesquels l’économie du partage pourrait apporter des réponses intéressantes. Au Québec, il existe plusieurs applications utilisées pour le co-voiturage. Il serait sans doute temps d’examiner comment ces outils pourraient également être mis au service du transport des produits. Un nouveau défi pour le monde des réseaux alimentaires alternatifs, qui peuvent s’appuyer sur leur agilité et sur des réseaux d’acteurs motivés.

pdf N°13, fiche n°1 - octobre 2020 - novembre 2020

Fiche n°1, Bulletin n°13 – octobre 2020 – novembre 2020
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Bulletin de veille bibliographique sur l’agriculture de proximité
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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 19 octobre 2023 15:56
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Circuit court, Technologie, Biologique, Fiche

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Publication

1 octobre 2020

Modification

14 novembre 2023 13:58

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