La médiation est la condition suffisante du dynamisme

Qu'est-ce que la médiation ?

On peut bien sur essayer d'en donner une définition générale.

Définition générale de la médiation

« La médiation est donc un processus qui fait évoluer une situation en mettant différents êtres en relation dans un contexte dynamique impliquant la réorganisation des données en lien avec la situation et favorisant l'émergence d'un sens autre ou d'une nouvelle interprétation. » 
Source : Lexique Praxis / Médiation

On peut aussi penser à des sens plus spécifiques comme la médiation au sens juridique ou la médiation culturelle.

L'éditorialisation, médiation spécifiquement numérique ?

Mais pour le contexte qui nous intéresse, il y a une médiation spécifiquement liée au numérique qui a déjà beaucoup retenu notre attention en lien avec le travail de définition du dynamisme auquel cette note tente de contribuer. Il s'agit bien entendu de l'éditorialisation :

«Les éditorialisations sont une forme plus spécifique de médiations qui ont cours en contexte numérique.»

Il est difficile d'échapper aux médiations sous leurs multiples formes dans la vie en général. 

Le sens de la médiation : produire du divers

Et le rôle global des médiations est d'infléchir le cours des choses pour qu'il s'oriente dans une direction un peu différente. 

Ou, pour le dire plus simplement : 

les médiations ont pour fonction de produire des différences.

Exemples de médiations

Une touche de peinture sur un tableau ? Une médiation.

Une pensée qui amène une modification du contexte dans lequel se prendra une décision ? Une médiation.

Un calcul qui fait apparaître un résultat ? Une médiation.

Un chant d'oiseau ? Une médiation.

Un lever de soleil ? Une médiation.

Or, pour chaque lever de soleil qui poind le bout du nez, il y a des millions de perspectives qui peuvent constituer une parcelle (une touche de peinture !) dans le portrait global de ce à quoi ressemble, au fond, le lever de soleil en question.

Plusieurs types de médiations

Il y a donc des relations de différentes types: des médiations artistiques, des médiations psychologiques ou mentales (voire morales), des médiations intellectuelles ou logico-déductives (qui peuvent être computationnelles), des médiations naturelles (biologiques ou physiques) qui ont aussi un pendant perceptuel ou phénoménologique.

Les médiations techniques occupent un rôle privilégié pour faire la pédagogie de la médiation. Car il apparaît évident pour tout le monde qu'il y a une forme de courbure qu'on doit appliquer à la branche pour en faire un arc. Les cordes doivent être pliées de différentes façons pour former des noeuds.

On comprend donc qu'une forme différente est composée à partir des matériaux utilisés pour réaliser un artefact technique.
Mais les techniques peuvent aussi être des processus, comme des techniques d'autodéfense, qui impliquent que l'on plie les membres de manière à la fois fluide et ferme pour produire certaines figures.

Comme la dit la définition générale, la médiation est un processus qui conduit à l'émergence de sens.
Et ces sens s'incarnent le plus souvent dans des interprétations.

La densité particulière des interprétations, ces méta-médiations humaines

Et il est raisonnable de penser que la densité des médiations que sont les interprétations humaines d'un phénomène comme le lever de soleil - s'inscrivant dans le contexte d'une culture et s'appuyant sur le passé personnel et l'histoire familiale des individus qui s'y livrent, ajoutant de surcroît à leurs connaissances techniques de ce que la chaleur des rayons du soleil peut faire (comme soulever la rosée vers les végétaux puis vers le ciel...) - est beaucoup plus grande que les médiations venant de la manifestation de la faim par la salivation chez un animal (serait-ce au déclenchement du son d'une cloche). Par exemple, pour pouvoir considérer que le jour auquel fait penser le lever du soleil est une date spéciale pour la société dans laquelle on vit (déterminant le début des récoltes, ou la célébration de tel évènement historique ou mythologique), il faut avoir déjà une idée de ce qu'est cette nation ou ce peuple, et pouvoir se référer au calendrier dont il s'est doté pour répartir son action dans le temps en tenant compte de la cyclicité des saisons et des ans. 
Mais bien entendu, pour cela, il faut que s'ajoute une couche supplémentaire de médiations, la mise en matrice du temps sous forme de schémas réguliers. Et on sait qu'il n'y a pas qu'une façon de concevoir une logique du temps.

Les médiations animales sont-elles moins intéressantes que les nôtres ?

On pourrait débattre du degré de densité relatif des médiations humaines et animales et même spéculer sur la question de savoir si les anges ont besoin de médiation pour exister et agir.

Je pars ici du principe que - si les animaux peuvent avoir des proto-cultures - les cultures qui permettent une passation de connaissances nouvelles acquises dans le cours d'une vie de génération en génération viennent constituer un réservoir vivant de médiations qui peuvent être activées pour dévelooper les capacités des membres de cette culture à agir.

Le rôle magique de l'imagination pour créer du sens

Et l'imagination de chaque individu qui est capable d'imaginer un usage différent qui pourrait être fait de telle technique de cuisine ou de communication qui lui a été enseignée, par exemple, devient un générateur de nouvelles potentialités pour ce terreau des déploiements possibles des capacités de cette culture, qu'on pourrait appeler sa richesse ou sa sagesse.

Nous arrivons ainsi à comprendre que des médiations se produisent spontanément dans la nature comme quand une vague dessine des plis dans le sable de la plage et que la vague suivante vient modifier le motif de ces plis. Des ondes produisent des ondes différentes lorsqu'il y a changement de milieu.
Mais la science qui permet de comprendre ces phénomènes naturels et qui a eu besoin de toute une civilisation pour émerger est une hypermédiation, si vous me permettez l'expression.

Et l'individu qui a la révélation d'un nouveau théorème ou d'un nouveau poème incarne quelque chose comme un moment magique de médiation ou l'enchantement de la médiation universelle de la vérité et de la beauté s'incarnant en un sujet humain doté de conscience et capable de traduire cette vision en formule cohérente logiquement ou en vers constituant des strophes.

Les génies ne sont pas les seuls maîtres d'oeuvre de leurs hauts-faits

Sauf que les génies qui innovent ont eu besoin que des milliers d'individus s'interrogent avant eux concernant les raisons qui font que des phénomènes s'enchaînent de telle façon dans telles circonstances ou s'émerveillent de la puissance de la vie et tentent de le formuler de manière à transposer dans la musicalité des mots l'harmonie dont leur coeur a pressenti l'existence.

C'est pourquoi même si les interprétations remarquables, même si elles sont bien portées par des agents individuels, sont aussi héritières de tout une panoplie d'interprétations qui ont contribué, de près ou de loin, à l'aboutissement qu'on applaudit au concert...

Ce qu'il convient de souligner, ce sont les innombrables médiations ou relations qui font que les visions variées qu'on peut avoir d'un être puissent apparaître. Nous y reviendrons.

Sortir de la vision simpliste de la médiation comme quelque chose entre deux autres aux extrêmes

Il faut aussi sortir de la conception simpliste de la médiation comme quelque chose qui se produit entre un état initial et un état final qu'on pourrait considérer comme des états de chose séparés.

La deuxième formulation de la définition «synthétique» d'éditorialisation nous aide à nous en défaire

La réflexion critique sur le numérique articulée en théorie de l'éditorialisation vient briser cette naïveté.

En effet, une éditorialisation (qui - rappelons-le - est une forme de médiation bien importante pour comprendre le numérique et en particulier le dynamisme) est définie comme un «ensemble de dynamiques» qui produit du sens à partir de l'espace numérique qu'elle contribue à constituer.
Cf. 2e formulation de la définition «synthétique» 

Revenir à la note sur le dynamisme où sont présentées, dans la première partie, les deux sens de dynamisme qu'on peut dégager des deux définitions de l'éditorialisation.

L'approche convenant pour étudier la médiation en contexte numérique

L'approche qui nous permet de définir la médiation comme étant au coeur du dynamisme est donc précisément celle qui est sous-entendue dans les définitions données par Marcello Vitali-Rosati dans ses articles : «Qu'est-ce que l'éditorialisation ?» (Sens public, 2016) et «Pour une théorie de l'éditorialisation» (Humanités numériques, 2020), et que nous avons reproduites dans le lexique de Praxis (et qui font partie du lexique numérique en cours de développement, auquel je vous invite d'ailleurs à contribuer,  en vous joignant à la communauté : Culture numérique en questions).

Il s'agit d'un perspectivisme

C'est à dire qu'il s'agit d'un perspectivisme au sens de Nietzsche.
Autrement dit : « il n'y a pas de faits, il n'y a que des interprétations. » (C'est un célèbre aphorisme de Nietzsche) «Faits» renvoie dans le texte du philosophe allemand, qui était profrsseur de philologie, à pragmata, qui veut dire «documents».
Et les interprétations sont «donnatrices de valeur» selon Nietzsche (la transmutation de toutes les  valeurs) ou «normatives» comme le dit Marcello Vitali-Rosati. Et cela est vrai du seul fait qu'elles sont précisément ce qui permet que quelque chose qui n'était pas... soit (puisse être). En affirmant de l'inédit, elles éditorialisent le monde et font que celui-ci s'intègre à l'espace numérique, lorsqu'elles sont des interprétations qui s'inscrivent dans la trame des interactions favorisées, aidées, permises ou accompagnées par l'internet et le web, ou par d'autres processus associés comme le peer-to-peer ou les relations tissées par l'IEML ou le web sémantique.

Ce n'est pas forcément un relativisme

Est-ce que cela conduit à un relativisme ? Pas forcément. Pour Nietzsche qui en appelait à une «transvaluation de toutes les valeurs», toutes les interprétations ont une valeur différente (ou à tout le moins, il est faux de dire que toutes les interprétations se valent).

Et lorsque que l'interprétation doit forcément passer par la technique (et que cette technique étant «hypermédiatique») est-ce que cela signifie qu'elle est une «éditorialisation» ? C’est probable et alors il se peut que la reconstruction du sens proposée soit de qualité variable car «les outils d'accès conditionnent l'opération» (Bruno Bachimont, présentation «Le numérique et ses tendances» pour le cours SCI6116 - Archivistique audiovisuelle et numérique (EBSI)).

En quoi est-ce que ce que nous avons appris ici nous permet de comprendre que la médiation est la condition suffisante du dynamisme ?

La médiation définit, pour l'essentiel, le numérique

La médiation définit en bonne partie ce qu'est le numérique mais ne s'y limite pas.

Nous avons vu que la médiation définissait toute chose ou processus qui pouvait avoir un sens.

La médiation vient de différentes sources

Toute culture est médiation
En tant que culture, le numérique est pétri de médiations, et de ce point de vue la médiation dont il est constitué contribue à en faire une évolution dynamique de la civilisation technique.

La composante technique du numérique confirme son caractère médié

Le fait que dans le contexte de la globalisation des échanges effectués par l'intermédiaire du web qui s'appuie sur le réseau planétaire internet, avec l'aide de différentes infrastructures et techniques de communications (par câbles, par fibre optique, par satellites et par antennes relais), tout passe par des modifications du contenu et de la forme afin de pouvoir être traité par des ordinateurs et diffusé sous forme de signaux électroniques suivant différents protocoles, bref le fait que tout ce qui s'exprime et se passe par le biais des réseaux sociaux par exemple soit le fruit d'une transformation technique, fait en sorte que la médiation est incontournable comme nous le disions à propos du numérique lui-même. Elle est le donné premier de toute communication et même de toute présence en ligne ou même sur un écran (ou un disque dur) d'ordinateur isolé.

L'éditorialisation est une médiation spécifique au numérique

Selon les définitions, comme nous avons commencé à le voir, il semble que l'éditorialisation soit un type de médiation spécifique au numérique. Or ce n'est pas tout à fait le cas. Mais il est vrai qu'il y a une parenté claire entre les deux.

La définition générale d'éditorialisation est très proche de ce qu'est la médiation en général :

«l’ensemble de nos pratiques sociales qui nous permettent de comprendre, d’organiser, d’interpréter et de produire le monde» 

Médiation, un terme forcément imparfait

«Médiation» est un terme à la fois approprié et imparfait pour désigner de quoi il s'agit. 
La médiation est à la fois la force qui agit dans le contexte d'un processus de constitution d'un sens multiple, et le résultat de ce travail. Cela peut sembler contradictoire. Mais c’est pertinent de ne pas éliminer cette dualité, car elle reflète bien le caractère circulaire (l’effet rejoint la cause) qui est lié au dynamisme. 

Le lien entre médiation et dynamisme n'est pas fortuit 

Selon Marcello Vitali-Rosati, éditeur, philosophe, auteur et professeur agrégé de littératures de langue française à l'Université de Montréal (titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les Écritures numériques), la multiplicité n'est pas accidentelle dans l'être dynamique que le numérique noue révèle. L'être (naturel ou non) est toujours médié, à l'instar de l'être numérique (qui lui est toujours «éditorialisé» : une forme plus spécifique de médiation). 

L'éditorialisation, telle que définie par Marcello Vitali-Rosati, est une forme de médiation technique dont l'action est de faire évoluer l'organisation des lieux (formant le milieu que, faute de mieux, on appelle «espace numérique») en relation avec les actions d'écriture qui définissent la trame numérique (inscriptions qui peuvent être dites «médiatiques» parce qu'elles passent par le web et laissent des traces susceptibles de faire l'objet de nouvelles écritures/éditorialisations). 

La culture numérique est l'illustration paradigmatique de cette multiplicité et de cette médiation en action qui sont le lot et la loi de l'être, tel que le théorise la métaontologie.

Les fragments n'ont pas moins d'être que le document qu'ils recomposent

Et les fragments composant un objet n'ont pas moins de réalité que l'objet lui-même contribuant à variété des états de cet objet. Mais ce qui compte vraiment ce sont les innombrables médiations ou relations qui font que ces visions variées d'un être puissent apparaître, et se constituer éventuellement en une variété de sens. 

« Qu'il soit naturel ou numérique (culturel et technique), tout être est multiple au point de vue de la métaontologie. »


Le web est l'hypermédia où l'éditorialisation est le paradigme de la médiation

Le fait que l'on parle du web puis d'hypermédia nous amène à réfléchir au contexte particulier.

La médiation est une manière de dire que de la pensée peut pré-exister à l'être humain.

Les actions d'écrilecture s'inscrivent dans le contexte du web

Rappelons ce que nous disions à propos des interprétations.

 «En affirmant de l'inédit, elles éditorialisent le monde et font que celui-ci s'intègre à l'espace numérique, lorsqu'elles sont des interprétations qui s'inscrivent dans la trame des interactions favorisées, aidées, permises ou accompagnées par l'internet et le web, ou par d'autres processus associés comme le peer-to-peer ou les relations tissées par l'IEML ou le web sémantique.»

Nous ouvrions par cette phrase la porte à ce que des éditorialisations puissent se produire dans un autre contexte et générer une autre type d'espace. Les éditorialisations en contexte d'écriture manuscrite, à l'ère du volumen et du codex, ont pu conduire à une transformation de l'espace du Moyen Âge à la Renaissance. 
Le fait que nous parions d'éditorialisation en lien avec le numérique venait du fait que l'espace numérique était ainsi généré. En effet, si le monde est produit par les éditorialisations et que celui-ci s'intègre à l'espace numérique, cela ne veut pas dire qu'il n'y a rien hors du numérique. Mais ça veut dire que tout ce qui nous concerne, nous veillons à ce qu'il se retrouve, d'une manière ou d'une autre par des moyens informatiques.

Et pour caractériser l'espace numérique, on peut utiliser l'expression «hypermédia» et on a raison de mentionner l'internet et le web comme ses piliers.

Rappelons que nous avons dit que la science (en tant que phénomène complexe, intégrant les savoirs, ceux qui les font et les processus par lesquels ils adviennent) pouvait être considérée comme une hypermédiation. 

Mais on pourrait en dire de même de la culture, vous en conviendrez. Et ce serait aussi vrai de la technique incluant les arts et les pratiques de médiation culturelle évidemment. *Idem* de la société et des médiations (arbitrages, enseignements, négociations, recommandations) de toutes sortes qui y ont cours. Enfin la sphère intime d'où se développe la spiritualité avec ses convictions profondes en este une autre. Il n'y a donc pas qu'une hypermédiation : il y en a plusieurs.

Le web est un lieu privilégié de médiations car on dirait qu'il a été conçu pour intégrer tous les autres moyens d'expression.

La lecture est un acte créateur d'espace en contexte numérique

L'«écrilecture» renvoie à une mise à niveau des pratiques de lecture et d'écriture dans la perspective de la théorie de l'éditorialisation de Marcello Vitali-Rosati, mais aussi de groupes qui ont écrit des manifestes en lien avec le fait qu'il fallait en finir avec la survalorisation de l'écriture par rapport à la lecture.

Voir colloque ÉCRIDIL 2018 : Le livre, défi du design. Version 0. Note sur le livre numérique.

« Le web et le livre sont d'abord des architectures de lecture »

Voir The Read/Write Book (Centre pour l'édition électronique ouverte, 2009).

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Intégré par Fabrice Marcoux, le 7 juin 2023 00:51
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7 juin 2023

Modification

24 mars 2024 13:13

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