Une IG pour le riz sauvage des Grands Lacs ?


Le seul riz sauvage comestible (Zizania palustris) est une plante que l’on retrouve autour de la frontière canado-américaine, dans les Grands Lacs. Les peuples Autochtones qui bordent les rives, les Anichinabés, l’appellent manomin. Ils le récoltent à la main, à l’état sauvage, depuis plus de 2000 ans. Le riz sauvage occupe une place importante dans leur histoire, leur spiritualité, leur culture et même leur économie. Cependant, depuis 1950, un processus de domestication a débuté pour une production de masse, hors des Grands Lacs, dans des champs inondés. Ce riz est pourtant commercialisé comme du riz sauvage et en peu de temps l’État de Californie en est devenu le plus grand producteur mondial, suivi du Minnesota. De plus, avec l’utilisation des Lacs à des fins récréatives, le riz sauvage est perçu par certains usagers comme nuisible. Le riz sauvage et le savoir traditionnel qui lui est rattaché, semblent donc menacés, d’autant que le nombre de riziculteurs traditionnels est en baisse.

L’auteure de cet article analyse ce qui fait la spécificité du riz sauvage des Grands Lacs et étudie la possibilité de l’enregistrement d’une IG sur ce riz en vue de sa protection et de la mise en valeur des connaissances qui lui sont associées. Malgré les promesses de cette IG hypothétique, deux défis de taille devraient être relevés : d’une part, les différences de standards et de législation entre le Canada et les États-Unis en ce qui concerne les IG; d’autre part, la compatibilité de l’IG, outil commercial, avec les diverses perspectives autochtones sur la marchandisation du riz sauvage.

Le riz sauvage : entre paradigme autochtone et paradigme productiviste

Le riz sauvage qu’on retrouve dans les Grands Lacs participe avant tout à la santé de tout un écosystème (il abrite et nourrit des animaux, améliore la qualité de l’eau, etc.). De plus, il est utilisé comme aliment chez les Anichinabés. Dans certaines de ces communautés, il fait même l’objet d’un commerce local. Le riz n’est pas cultivé, il est simplement récolté. La cueillette traditionnelle se fait en canoé. Des règles et des sanctions assurent que seule la quantité nécessaire soit prélevée lors de la cueillette, d’une façon qui permet son renouvellement. Cette cueillette est elle-même un événement rassembleur, suivi du séchage (au soleil et au feu), du vannage puis enfin d’une cérémonie en signe de reconnaissance de son caractère sacré.

La découverte, il y a longtemps, du riz sauvage pendant leur migration, serait un événement marquant dans l’histoire et la spiritualité des Anichinabés. L’exploitation de ce riz se fait donc dans un esprit de responsabilité et de réciprocité des échanges.

A l’opposé du rapport des Anichinabés avec le manomin, un autre système de production s’est établi à partir des années 1950 avec la domestication du riz sauvage et sa culture dans des champs inondés aux États-Unis et au Canada, à des fins commerciales. Les leaders américains sont la Californie (malgré ses fréquents épisodes de sécheresse) et le Minnesota. En Californie, des croisements ont permis d’obtenir des variétés hybrides, homologuées, au meilleur rendement. Contrairement au riz sauvage, l’exploitation commerciale de ce riz, qui continue d’être appelé « riz sauvage », laisse peu de place pour la biodiversité animale.

IG sur le riz sauvage : entre promesses et défis à lever

La possibilité de protéger par une IG les attributs écologiques et culturels du riz sauvage en provenance des Grands Lacs est étudiée par l’auteure. Pour les européens, qui défendent les IG au niveau international, la différence fondamentale entre une IG et une marque privée est que personne (aucun individu, aucune entreprise) n’a de droit exclusif sur l’utilisation de l’IG. Il suffit de satisfaire les conditions rattachées à l’IG pour s’en réclamer. Cette approche n’est pour le moment pas partagée par les États-Unis (à l’exception des vin et spiritueux), qui voient les IG comme des marques privées collectives. Le Canada, de son côté, a évolué avec la signature de l’accord commercial avec l’Union Européenne (l’AECG). La signature de cet accord a conduit en septembre 2017 à des amendements (Bill C-30) à la Loi sur les marques de commerce ouvrant la voie de façon générale aux IG pour les produits agricoles et alimentaires.

La création d’une IG pour le riz sauvage des Grands Lacs pourrait ouvrir à ce produit un marché plus large, y compris en Europe. Pour l’auteure, les différences d’approche entre le Canada et les États-Unis pourraient être contournées grâce à un accord commercial bilatéral offrant des protections similaires exploitant les outils légaux disponibles (une IG au Canada grâce au Bill C-30, une certification régionale aux États-Unis). Mais l’auteure souligne également que d’autres tensions pourraient survenir entre les communautés autochtones qui ne partagent pas forcément la même vision. Certaines ne commercialisent pas le manomin et pourraient s’opposer à une approche « occidentale » basée sur l’IG, résolument orientée vers le marché. D’autres commercialisent le manomin et pourraient être ouvertes à son inscription comme IG. L’auteure préconise alors de travailler activement avec les communautés qui commercialisent déjà le produit, de les impliquer dans l’enregistrement de l’IG et de miser sur une gouvernance collective basée sur leurs savoirs traditionnels.

Les enseignements

L’exemple du riz sauvage des Grands Lacs vient rappeler qu’en Amérique du Nord aussi, il y a des produits alimentaires qui s’inscrivent dans une histoire longue et des traditions. C’est à ces produits que sont destinés les outils de protection comme les IG. En mettant les traditions autochtones au coeur de la démarche et en faisant le lien avec les engagements internationaux concernant le respect des savoirs traditionnels, l’auteure interroge la possibilité pour ces communautés de s’approprier l’IG comme outil de développement.

pdf N°4, fiche n°1 - avril 2019 - mai 2019

Fiche n°1, Bulletin n°4 – avril 2019 – mai 2019
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Ce bulletin vous est offert avec le soutien du Partenariat canadien pour l’agriculture.

note Note(s) liée(s)

bookmark Terme(s) relié(s)

padding Carnet(s) relié(s)

file_copy 183 notes
Bulletin de veille bibliographique sur l’agriculture de proximité
file_copy 183 notes
person
Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 8 novembre 2023 09:37
category
Relève, Fiche

Auteur·trice(s) de note

forumContacter l’auteur·trice forumDiscuter de la note

Publication

1 avril 2019

Modification

8 novembre 2023 11:04

Historique des modifications

Visibilité

lock_open public