Un déclin des circuits courts aux États-Unis ?


Rappelons tout d’abord quelques définitions de base. Au Québec, un circuit est considéré comme « court » lorsqu’un producteur vend sans intermédiaire au consommateur (vente directe) ou passe par un intermédiaire au maximum (vente indirecte). Aux États-Unis, le Département de l’agriculture (USDA) pose depuis 1978, des questions sur la vente directe au consommateur de produits alimentaires non transformés. En 2012, une question de type « oui-non » sur la vente par intermédiaire a été ajoutée. Un intermédiaire pouvait être un restaurant, une épicerie, une école, un hôpital ou toute entreprise revendant directement au consommateur, ce qui correspond donc à la définition des circuits courts telle que définie ci-dessus.

Jusqu’en 2012, d’un recensement agricole à un autre, les données étaient utilisées pour analyser les tendances dans la vente directe aux États-Unis. Ainsi, les produits alimentaires vendus directement aux consommateurs sont passés entre 1992 et 2007, de 706 millions à 1,4 milliard de dollars (dollars de 2017). Le nombre de fermes impliquées a augmenté de 50% sur la même période. Mais à partir de 2007, les statistiques montrent un infléchissement. De 2012 à 2015, la vente directe a cessé de croitre et la vente par intermédiaire domine désormais les circuits courts. De 2015 à 2017, la vente directe semble même diminuer en volume de 10%. En comparant les résultats des recensements de 2012 et de 2017, les auteurs montrent par ailleurs que le nombre de fermes a diminué dans la vente directe ainsi que dans la vente indirecte. Ces baisses surviennent alors que les critères pour qu’une ferme soit considérée en circuits courts dans le recensement de 2017 sont moins restrictifs qu’en 2012.

La chute du nombre de fermes en vente directe : ampleur et nature

En effet, diverses questions ont été modifiées dans le recensement de 2017 et certaines ont même été ajoutées. Par exemple, en 2017, les ventes par internet ont été explicitement insérées dans la liste des canaux en vente directe. De même, les produits transformés sont pris en compte dans le recensement de 2017. Quant à la vente par intermédiaire, elle inclut désormais une plus grande diversité d’intermédiaires (et notamment les food hubs, qui agrègent l’offre locale).

Ces transformations dans les questions entre les deux recensements rendent plus difficile l’analyse des tendances et évolutions touchant les circuits courts aux États-Unis. Mais elles n’empêchent pas de comparer les chiffres concernant le nombre de fermes impliquées dans les circuits courts. Or ces chiffres témoignent d’une forte diminution du nombre de fermes engagées dans les circuits courts.

Le nombre de fermes faisant de la vente directe est passé de 144 500 à 130 000 entre 2012 et 2017. Or comme les critères de 2017 couvrent un plus grand nombre de fermes, cette baisse correspond donc à une perte minimale de 10% des fermes en vente directe.

Plusieurs États connus pour leur nombre élevé de fermes en circuits courts sont fortement affectés par cette baisse. La Californie, la Pennsylvanie, l’Oregon, le Wisconsin et Washington, qui figuraient tous dans le top 10 des États avec le plus de fermes actives en vente directe, ont tous connu des baisses au-delà de 10% par rapport à 2012. L’État de Washington accuse la perte relative la plus élevée, avec la disparition de 20% des fermes en vente directe (soit 1137 fermes perdues). Il est suivi de la Pennsylvanie qui a perdu au moins 15% de ses fermes (soit 1174 fermes perdues). Des analyses par régions montrent que les régions de la côte Ouest (Californie, Oregon, Washington) et du littoral médio-atlantique (New York, New Jersey et Pennsylvanie) apparaissent sévèrement affectées par cette diminution. Seuls quatre États qui figuraient parmi les 20 États ayant le plus de fermes en circuits courts, n’ont pas connu de baisse (le Colorado, le Kentucky, le Tennessee et la Virginie). Mais, contrairement aux baisses observées, cette augmentation ne peut être clairement interprétée en raison du relâchement des critères pour la vente directe dans le recensement de 2017.

Cette baisse a surpris les analystes et ses causes restent difficilement explicables. La proportion (et aussi le nombre) de petites fermes en vente directe ont augmenté entre 2012 et 2017 (de 23% à 30% de fermes avec moins de 4 hectares). Il semble néanmoins peu probable que la baisse nette du nombre de fermes en vente directe puisse être principalement due à une conversion systématique des plus grandes fermes à d’autres circuits de commercialisation. D’abord, le nombre de fermes en vente indirecte a aussi diminué entre 2012 et 2017. De plus, les prix des produits de commodités (maïs, soja, …) n’étaient pas favorables sur cette période, ce qui rend peu probable un glissement vers les circuits conventionnels. Les auteurs avancent d’autres causes possibles comme la popularité croissante du commerce électronique qui ferait diminuer les achats directs aux fermes par les épiceries ou les restaurants, ou encore l’étalement urbain et la pression foncière, qui pénaliseraient les fermes de proximité. Ces hypothèses devront toutefois faire l’objet d’études plus approfondies pour être retenues.

Les enseignements

Au Canada, des questions sur la vente directe de produits alimentaires sont incluses dans le recensement agricole depuis 2016 seulement. 12,7% des fermes canadiennes déclaraient pratiquer la vente directe. En l’absence de références plus anciennes, il est impossible de savoir dans quel sens évolue cette proportion. La vente par intermédiaire reste quant à elle non explorée dans le recensement. Il est donc malheureusement difficile d’envisager des études similaires dans un horizon proche. Cela dit, l’analyse présentée ici fait écho à d’autres travaux récents signalant un plafonnement de la vente directe aux États-Unis, même si la vente par intermédiaire semble être en croissance. Assisterait-on à un changement d’échelle des circuits courts? Ou seraient-ce des forces extérieures aux circuits courts qui sont à l’oeuvre, comme par exemple les difficultés d’accès au foncier dans la périphérie des villes ? Il est sans doute encore tôt pour répondre à ces questions, mais la situation mérite d’être attentivement suivie.

pdf Statistique Canada - La vente directe au Canada

pdf N°7, fiche n°1 - octobre 2019 - novembre 2019

Fiche n°1, Bulletin n°7 – octobre 2019 – novembre 2019
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 30 octobre 2023 17:38
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Circuit court, Fiche

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1 octobre 2019

Modification

14 novembre 2023 14:50

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