Les groupes d’achat solidaires en Italie. Entre bonnes intentions et impacts réels

C’est souvent la figure du sablier qui est utilisée pour décrire le système alimentaire, avec à ses deux extrémités des millions de producteurs et des millions de clients et en son centre une poignée de quelques entreprises géantes de distribution, passage obligé pour que les produits partent des producteurs pour se rendre jusqu’aux consommateurs.

En Italie, un mouvement consumériste critique s’est développé depuis 25 ans par le biais des groupes d’achat solidaire (GAS). Ces groupes sont animés par des consommateurs qui choisissent leurs fournisseurs sur des critères éthiques et de durabilité. Ils se revendiquent comme des acteurs alternatifs prônant d’autres modèles de consommation et de production. Selon les auteurs, après une croissance très rapide, le nombre de GAS se serait stabilisé aux alentours de 900, avec une plus forte présence dans les milieux urbanisés du nord de l’Italie. Mais du fait du caractère très informel de ce mouvement, il est difficile de connaitre leur nombre précis, ainsi que celui des consommateurs engagés.

Pour évaluer la capacité des GAS à transformer le système, les auteurs utilisent le concept « d’innovation sociale », vue comme favorisant tout à la fois une meilleure équité, une plus forte participation citoyenne, une économie plus locale et solidaire. Les auteurs s’intéressent plus spécialement à ce qu’ils appellent la marginalisation des fournisseurs et souhaitent examiner comment les GAS (comme innovation sociale) corrigent les relations économiques inégales qui caractérisent le système alimentaire conventionnel. Pour ce faire, les auteurs mobilisent plusieurs types de données : qualitatives (entretiens et questionnaires) auprès de membres de GAS et quantitatives (enquête en ligne) auprès de fournisseurs. Sans entrer ici dans les détails, retenons que l’enquête quantitative repose sur 1055 questionnaires complétés par des fournisseurs de GAS, mais aussi par de petits producteurs ou artisans n’ayant jamais travaillé avec des GAS.

Les GAS comme innovateurs sociaux ?

Même si le terme « d’innovation sociale » résonne peu dans les représentations des membres des GAS, tous revendiquent vouloir soutenir de nouvelles relations économiques et réduire la vulnérabilité de leurs fournisseurs grâce à des prix équitables. Pour autant, ils n’estiment pas que leurs fournisseurs font partie des groupes sociaux en difficulté. Considérant qu’ils ont un travail (sous-entendu, ils sont chanceux d’en avoir un par rapport à d’autres publics plus marginalisés), les membres consommateurs des GAS ne parviennent pas à percevoir les difficultés dans lesquelles peuvent se trouver de petits fournisseurs déconnectés des marchés de masse. Les auteurs notent même comment une forme de condescendance peut s’installer de façon insidieuse, dès lors que les membres des GAS sont convaincus qu’ils supportent adéquatement leurs fournisseurs par leurs achats, d’autant que souvent, ils donnent bénévolement du temps pour que le GAS puisse fonctionner. Pourtant, la taille modeste d’un GAS n’est pas suffisante pour garantir un revenu équitable à un fournisseur. Malheureusement, les membres des GAS sont souvent méfiants envers toute institutionnalisation du mouvement, ce qui freine l’émergence de structures plus formelles rassemblant les GAS et capables d’élargir la demande de façon à sécuriser les fournisseurs. Autre problème : les fournisseurs des GAS ne sont pas impliqués dans la gestion et l’organisation des GAS, si bien qu’il y a peu d’interconnaissance entre consommateurs et fournisseurs. Souvent, seul le consommateur référent pour un produit a des relations avec ses fournisseurs. Ce référent a d’ailleurs tout pouvoir pour changer de fournisseur en cas de problème. Les auteurs soulignent ainsi que dans les GAS, les rapports de force restent nettement en faveur des consommateurs.

Le rôle des GAS dans l’inclusion économique de leurs fournisseurs

La seconde partie des résultats traite, en comparant fournisseurs et non fournisseurs des GAS, du rôle que ces derniers jouent dans l’amélioration de la situation économique de leurs fournisseurs. Il s’agissait en quelque sorte pour les auteurs de vérifier la cohérence entre intentions (pratiquer un commerce plus juste) et impacts (améliorer la situation économique des fournisseurs). Qualitativement, les fournisseurs des GAS et les membres consommateurs estiment tous que c’est l’autre groupe qui est le plus bénéficiaire. Ces perceptions ont été croisées ensuite avec les résultats de l’enquête quantitative qui répartit les 1055 participants en quatre groupes de taille comparable : les neutres qui pour la plupart n’ont jamais été en contact avec des GAS; les promoteurs, très impliqués, qui bénéficient d’une expérience positive avec les GAS et manifestent un haut niveau de confiance ; les découragés, peu impliqués, qui ne font plus confiance à personne et se sentent dépassés ; et enfin les bénéficiaires potentiels, qui n’ont pour la plupart jamais travaillé avec les GAS, mais manifestent une certaine confiance envers ce type d’innovation. En croisant les types avec diverses variables, les auteurs montrent que les GAS ont un effet positif sur le bien-être, la confiance et l’autonomie des fournisseurs, mais que cela ne se traduit pas par une amélioration des revenus. Toute chose égale par ailleurs, ce sont les « neutres » qui disposent des revenus moyens les plus élevés.

Les enseignements

Cet article traite d’un sujet souvent difficile à aborder avec des consommateurs convaincus qu’ils en font déjà beaucoup pour les producteurs (et dans ce cas, pour les artisans également) dès lors qu’ils s’inscrivent dans un circuit défini comme alternatif et donc forcément perçu comme étant plus juste et équitable. Cet article fait écho à diverses recherches qui se sont intéressées à l’équilibre des relations entre producteurs et consommateurs dans les circuits de proximité. Il serait erroné de voir dans ces résultats, la seule incapacité des consommateurs engagés dans les GAS à comprendre la réalité socio-économique de leurs fournisseurs. L’effort qu’ils font pour se tourner vers des pratiques de consommation plus responsables est réel. Mais l’efficacité du système de distribution de masse est telle, qu’ils ont du mal à comprendre que les efforts qu’ils font ne compensent pas toujours les efforts que doivent aussi faire leurs fournisseurs. Cela dit, l’article met aussi en évidence les avantages non monétaires que retirent les fournisseurs de leur participation active aux GAS en termes de confiance et d’autonomisation.

pdf N°9, fiche n°4 - février 2020 - mars 2020

Fiche n°4, Bulletin n°9 – février 2020 – mars 2020
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 26 octobre 2023 16:03
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1 février 2020

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26 octobre 2023 17:37

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