Citoyenneté alimentaire et développement durable

La prise de conscience de la nécessité d’une alimentation plus durable sur les plans environnemental, social et économique s’est accompagnée de l’émergence d’une catégorie de consommateurs engagés qui font plus attention à ce qu’ils consomment. Cette consommation alimentaire, dite éthique, permettrait à ces consommateurs d’exprimer leur préoccupation en « votant avec leurs dollars », encourageant ainsi les producteurs à adopter de meilleurs pratiques. Malgré son potentiel, cette approche ne semble pas, selon l’auteur de cet article, parvenir à enclencher une transformation profonde de notre système alimentaire. Le fardeau du développement durable reposerait encore sur les épaules du producteur, le consommateur se contentant de mieux choisir ce qu’il consomme. De plus, la consommation éthique fait l’hypothèse peu réaliste d’un consommateur discipliné, fidèle, informé, et capable de bien communiquer ses préoccupations par son acte d’achat.

Devant ces limites, divers mouvements proposent une vision plus exigeante pour le consommateur : la citoyenneté alimentaire qui invite le consommateur à coproduire ce qu’il consomme en participant plus activement aux décisions de production et à la gouvernance du système alimentaire. Elle repose de façon générale sur des valeurs comme l’inclusion et l’ouverture (divers acteurs dans le système alimentaire peuvent se revendiquer « citoyens »), la participation, la transparence, la primauté du bien commun et la relocalisation du système alimentaire.

C’est cette approche qu’a adoptée la coopérative de consommateurs Seikatsu au Japon. Cette coopérative, forte d’environ 380 000 membres existe depuis 1968. Elle a développé sa propre chaine d’approvisionnement, avec ses propres standards et un ensemble de principes axés sur la sécurité, le bien-être et l’environnement. Dans cet article, l’auteur a étudié, en combinant de 2008 à 2015 plusieurs méthodes d’enquête, comment la citoyenneté alimentaire se manifeste concrètement dans cette coopérative, les pratiques organisationnelles qui l’encouragent ainsi que leurs impacts sur la durabilité du système alimentaire.

Plus qu’un débouché, une communauté

La citoyenneté alimentaire encouragée par la coopérative se manifeste à travers sa façon d’approcher le développement durable, sa méthode d’audit des producteurs ainsi que le mode de partage des risques entre producteurs et consommateurs.

D’abord, le développement durable est vu comme un processus plutôt qu’une finalité. L’objectif tant pour les producteurs que pour les consommateurs est de s’améliorer continuellement. Ainsi, une liste d’indicateurs est proposée avec certains objectifs obligatoires et d’autres recommandés. Ces standards sont établis conjointement par les consommateurs et les producteurs qui estiment collectivement être les mieux placés pour en décider étant les premiers concernés.

Ensuite, un mécanisme d’évaluation des producteurs existe et se retrouve au coeur de la démarche de la coopérative. Il s’agit des audits collectifs, financé par la coopérative et impliquant ses membres comme évaluateurs. Ces audits s’inscrivent dans un esprit de dialogue, flexible, non mécanique, au cours duquel les membres évaluateurs sont à l’écoute du producteur et disposés à procéder au cas par cas. L’auteur donne pour exemple un audit qui recommandait à la coopérative de continuer à acheter les produits d’un producteur qui avait dû exceptionnellement utiliser des pesticides pour faire face à une menace.

Enfin, la citoyenneté alimentaire dans la coopérative Seikatsu se manifeste par la solidarité des consommateurs envers les producteurs. Conscients que leurs exigences en matière de durabilité entrainent des coûts et des difficultés supplémentaires pour les producteurs, les consommateurs reconnaissent leur part de responsabilité dans les choix productifs. La solidarité se traduit par l’assurance d’un débouché stable pour le producteur motivé à adopter des pratiques plus durables. Ainsi, après l’accident nucléaire de Fukushima en 2011, les consommateurs ont délibérément continué à acheter des produits irradiés qui dépassaient le seuil maximal fixé par la coopérative, pourvu que ces produits satisfassent la norme nationale (moins exigeante que celle de la coopérative). Aussi, plutôt que de laisser la fixation du prix aux caprices du marché, la coopérative négocie un prix qui tient compte des coûts de production encourus par les producteurs. Un fond de soutien a même été créé pour accompagner les producteurs en difficulté ou en transition. Enfin, la solidarité prend aussi la forme de travail bénévole, organisé, fourni aux fermes par les membres.

Tous ces mécanismes concourent à créer un lien de confiance et un dialogue continu entre consommateurs et producteurs. Les visites à la ferme figurent parmi les activités que la coopérative met en place pour renforcer cette relation qui ne se limite pas à un simple contrat marchand d’approvisionnement. Cette relation est perçue comme très différente (plus démocratique, plus valorisante) de ce qu’on retrouve dans d’autres systèmes alimentaires alternatifs basés sur les certifications et les labels délégués à des organismes certificateurs tiers. Elle est le fruit de plusieurs décennies de collaboration, avec ses hauts et ses bas. Ce faisant, la coopérative arrive à créer un fort sentiment d’appartenance chez ses membres. Les producteurs sont vus comme leurs producteurs, les produits sont leurs produits. Le même engagement est observé du côté des producteurs, qui apprécient le fait d’avoir leur mot à dire dans les négociations et la construction d’un système alimentaire plus durable.

Les enseignements

Le Japon est connu comme l’un des berceaux de la réactivation actuelle des circuits courts observée actuellement et comme le pays dans lequel l’Agriculture soutenue par la communauté (ASC) a été inventée avec le fameux système des Teikei. Cet article rend compte d’un autre exemple particulièrement intéressant - et à grande échelle - de circuits courts alimentaires reposant sur un engagement conjoint des consommateurs et des producteurs. Les audits collectifs ne sont pas sans rappeler les Systèmes participatifs de garantie utilisés dans divers réseaux. Les consommateurs qu’on retrouve ici réclament et assument une plus grande place, au-delà de l’acte d’achat. Même s’il s’agit d’une histoire à succès, il ne faut pas perdre de vue pour autant que cette relation harmonieuse entre producteurs et consommateurs ne gomme pas totalement les tensions ni les rapports de force. Ce partenariat s’est construit au fil de longues années de négociations, de conflits et de collaboration.

pdf N°11, fiche n°1 - juin 2020 - juillet 2020

Fiche n°1, Bulletin n°11 – juin 2020 – juillet 2020
Rédaction : Stevens Azima & Patrick Mundler

Ce bulletin vous est offert avec le soutien du Partenariat canadien pour l’agriculture.

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Bulletin de veille bibliographique sur l’agriculture de proximité
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Intégré par Anne-Sophie Thomas, le 24 octobre 2023 17:35
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Environnement, Financement, Fiche

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Publication

1 juin 2020

Modification

10 novembre 2023 11:21

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